Un scénario tenant sur un timbre poste, une caméra maniée d’une façon inégalée, un protagoniste à la croisée des chemins, un antagoniste camouflé, les routes californiennes sous un soleil de plomb : pourquoi Spielberg annonçait déjà son génie en 1971 avec Duel, considéré comme son premier film ?
Spielberg n’en n’est pas à son premier coup d’essai, mais Duel marque un tournant dans la carrière du jeune réalisateur. D’abord sous format télévisé, puis adapté pour le grand écran, Duel est le symbole des prémices d’une grande, très grande carrière.
Il aura fallu 13 jours. 13 jours pour marquer les esprits, 13 jours de tournage. 13 jours pour que la magie opère. George Lucas en sera lui-même époustouflé et devinera le génie du très jeune réalisateur.
Pourquoi est-ce exceptionnel ?
À l’instar de Jaws en 1976, on ne sait jamais quand le danger va frapper. Il est là, tout proche, on le sait, on le sent, on le conscientise, mais impossible de prédire quoi que ce soit. C’est grâce à cet effet que la pression est palpable à chaque moment et monte à la même fréquence que l’anxiété de David Mann. Nul besoin de savoir « pourquoi », tout ce qu’on veut savoir c’est : comment va finir cette course effrénée ?
Le tour de force de Duel, c’est qu’il est très simple de s’identifier à son protagoniste, David.
À qui n’est-il jamais arrivé de s’énerver au volant ? Steven Spielberg nous invite brillamment, intelligemment et subtilement à nous demander ce que nous ferions à sa place. Comme il le dit si bien : il suffit de quelques minutes pour changer le cours d’une vie, celle de David.
Qui est le driver fou ? Pourquoi en veut-il à David ? Est-ce simplement un jeu de psychopathe ?
Parce que Steven Spielberg aime raconter des histoires et par-dessus tout, des histoires humaines, il parvient à humaniser, diaboliser un camion et ainsi, à nous offrir deux personnalités distinctes qui ne se parleront pourtant jamais, mais s’affronteront lors d’un inlassable duel.
Le bien d’un côté, le mal d’un autre, Duel a quelque chose de manichéen. Subtilement, la psychologie des deux protagonistes est installée et s’étend à travers tout l’écran.
L’influence hitchcockienne, notamment appuyée par la bande originale, enduit le long-métrage d’une tension vertigineuse.
Spielberg, à seulement 25 ans, manie la caméra et exécute une gymnastique de prises de vue à couper le souffle. Jonglant entre ces différentes échelles de plan et son montage dynamique, impossible de ne pas se retrouver, nous aussi, dans la fameuse Plymouth Valiant rouge.
L’importance de la réalisation
Des plans larges et une grande profondeur de champ pour nous imprégner de l’environnement hostile auquel fait face David d’une part, des gros plans et cette mince profondeur de champ pour nous enfermer dans son esprit et ressentir sa détresse et l’évolution de son état psychologique d’autre part.
Sans forcément s’en rendre compte, nous évoluons intrasequèment et mentalement au même rythme que David. D’abord lâche, fuyant, inexistant et presque invisible, David n’aura d’autre choix que de changer son fusil d’épaule.
Tenu(e)s en haleine pendant 86 minutes, les dernières secondes sonnent alors comme une délivrance ; un plan plus qu’audacieux. Spielberg suggère, sans faire dans le voyeurisme et le spectaculaire : le duel est terminé et l’un d’entre-eux en ressort vainqueur.
Duel est un huis-clos aussi simple qu’efficace. Les minutes du long-métrage défilent aussi vite que les kilomètres parcourus sur cette longue route embrasée par le soleil, la tension parfois irrespirable et cet inlassable et inexplicable… duel.
Linou