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Entre poésie gothique et liaisons interdites, LE CORPS ET LE FOUET expérimente autant sur le fond que sur la forme. Si bien que, soixante ans plus tard, le film de Mario Bava n’a rien perdu de son charme et de sa force évocatrice.
Réalisé sous le pseudonyme de John M. Old, LE CORPS ET LE FOUET continue de susciter le débat au sein de la filmographie de l’Italien Mario Bava. Thriller gothique scabreux pour certains, géniale étude de la couleur pour d’autres, le film fut grandement désapprouvé à sa sortie, en raison de son contenu fétichiste à tendance sadomasochiste. On y voit effectivement Daliah Lavi prendre du plaisir sous des coups de fouet dispensés par Christopher Lee. Lequel incarne un baron fraîchement déshérité et en disgrâce.
Vues d’aujourd’hui, ces scènes engendrent toujours l’effroi. Non par la survenue prétendument immorale du plaisir, mais par leur violence esthétisée, renforcée par la froideur sadique de Christopher Lee. Là où soixante ans plus tard, un Christian Grey manipulateur et abusif passe désormais pour un héros romantique sans aucune nuance (sic), le personnage du baron Kurt Menliff reste toujours décrit comme un agresseur, cruel et avide de vengeance. Ce qu’il est effectivement, sans le moindre doute possible.
Sexualité & déviances
Pour clore le débat sur cette question, rappelons que les représentations du BDSM contenues dans 50 Nuances de Grey, comme dans LE CORPS ET LE FOUET, s’avèrent sensiblement faussées. Puisqu’elles excluent la notion de consentement, pourtant primordiale dans ces pratiques. Toutefois, le film de Mario Bava ne se sert pas de cette représentation pour en condamner les adeptes, comme l’entend l’interprétation première et superficielle… Le personnage de Kurt Menliff symbolise bien davantage les pulsions sexuelles refoulées de son amante, Nevenka.
LE CORPS ET LE FOUET détient effectivement une dimension psychologique, où les points de vue objectif et subjectif s’entremêlent. Si bien qu’il devient difficile de discerner si Nevenka fantasme les apparitions de son ex fiancé disparu ou si elle en vient à perdre la raison. Le film esquisse là un propos sur la libération sexuelle et se questionne sur le bien-fondé du refoulement des déviances les plus intimes. Nevenka prend conscience de sa sexualité et refuse de s’y livrer pour se conformer aux bonnes mœurs. Le conflit interne grandit inexorablement en elle et la mène tragiquement à sa perte.
Dans un décor gothique et sombre…
Pour appuyer cette dimension dramatique, Bava magnifie son décor, manoir gothique grandiloquent, et laisse peser les motifs du romantisme noir – mausolée, cercueils, roses et poignard serti – dans un clair-obscur d’une beauté d’autant plus remarquable, que la photo du film reste époustouflante, malgré ses 60 ans. Les couleurs rouge, verte et violette traversent le cadre pour signifier à la fois la mort, la douleur et la survenue du fantastique, dans un procédé qui n’est pas sans rappeler les expérimentation d’Henri-Georges Clouzot.
Réalisateur prolifique, Bava nous a laissé une filmographie emplie d’œuvres mineures. Si bien qu’une génération de cinéphiles eut, par le passé, tendance à relativiser son aura. Or, à se pencher sur ses films les plus aboutis, on s’aperçoit toujours un peu plus des talents de chef opérateur du réalisateur italien. Si seul Ubaldo Terzano, sous le pseudonyme de « David Hamilton », reste crédité à la photo, nul doute que LE CORPS ET LE FOUET porte en lui la signature visuelle de Bava et se distingue même comme l’une de ses plus belles réussite.
Lily Nelson