Une — ou plusieurs — partie(s) de cet article parle de l’intrigue et en dévoile certains aspects. Il est donc vivement conseillé d’avoir vu le film avant de le lire. On vous a prévenu !
Film dramatique présenté à Cannes en 2011, MELANCHOLIA aborde le thème de la dépression avec lyrisme et attributs plastiques indéniables. Déjà encensé dans ses derniers films tels que Antichrist, Dancer in the dark ou encore Manderlay, MELANCHOLIA a valu à Kirsten Dunst le prix de la meilleure interprétation féminine au festival de Cannes en 2011. Le long-métrage en question ici, à l’allure de conte moderne, narre le chemin que se fraie la mélancolie dans l’esprit d’une jeune femme, Justine, qui semble pourtant être au comble de la joie. Beaucoup d’images, d’évocations plastiques, de scènes dignes de tableaux dans ce récit, de subtils informulés de mots et d’échanges à décrypter tant bien que mal afin de saisir l’essence de ce drame poétique.
Le film s’ouvre sur un prologue constitué d’images en mouvement, se succédant, sans lien perceptif entre elles. Ces images, d’une lenteur enivrante, peu commune au cinéma, et sur un air de Wagner, témoignent de l’univers onirique et romantique du réalisateur.
Le choix de Wagner n’est pas dû au hasard. Avec ce passage du prélude de l’opéra de Tristan et Iseult, Von Trier inscrit son œuvre filmique dans la catégorie du drame, qui ne peut qu’aboutir à une fin tragique, qui, par le renoncement de Tristan à la vie, délivre l’homme de ses tourments. Ce qui vaut pour Tristan et Iseult, mais aussi pour Claire, mais surtout pour Justine, comme on le verra dans la seconde partie du film.
Le rythme traditionnel du récit se trouve être brisé par l’apparition d’un synopsis avant même tout commencement de narration, et bouscule la trame de fond. D’autant plus que ces tableaux se succédant appellent davantage à la plasticité de l’image qu’au déroulement d’un scénario.
Le premier tableau est un plan rapproché du visage de Justine, après son mariage. Cheveux coupés et humides, traits tirés, lèves exsangues, yeux mi-clos, le visage figé de la jeune femme apparaît apathique. À l’arrière-plan, sur un fond de ciel rose, comme après un orage d’été, tombent des aigles.
Considérés comme des idéaux de beauté et de prestige, ces aigles tombant du ciel font écho à la situation de Justine. En effet, s’étant débarrassé de tout prestige social, de son splendide mariage à sa promotion en tant que directrice artistique, à ses attributs de féminité, ses long cheveux blond, sa mine resplendissante, elle peine désormais à faire des gestes simples, comme prendre un bain.
Le second tableau est un plan en plongée sur un jardin à la française, surplombé par un cadran solaire. Au centre de ce jardin apparaît en minuscule Justine, dans sa robe de mariée. Ce cadran solaire, qui renvoie sans doute à ce qui se trame dans le ciel, surplombe un jardin parfaitement symétrique, à la française donc, connu pour exalter dans le végétal l’ordre sur le désordre, ce qui renvoi nécessairement à l’état ambivalent de Justine lors de la réception de son mariage, tantôt suivant à la lettre les désidératas de sa sœur concernant la cérémonie, tantôt s’en échappant, pour aller uriner sur le terrain de golf. Entre ordre social et désordre intérieur, Justine oscille.
Sur le troisième plan, on peut observer une toile de Brueghel, Les chasseurs dans la neige, qui part en fumée. Sur cette toile en minuscule, derrière l’église, une maison en proie à un feu de cheminée voit son propriétaire en ascension sur le toit, tenter de faire face au danger. Cette infime tragédie dans l’immensité de la toile et ici, de l’image, renvoie au microcosme que constitue l’état neurasthénique de Justine, dans l’immensité du monde.
Thème ô combien romantique, que celui de l’homme face à la nature. Une nature exaltée, toute puissante, comme sur ce plan où l’on voit, dans une pénombre quasi complète, un cheval qui semble tomber à terre, alors qu’il s’agit d’un cheval qui se lève, vu en marche arrière. Cet animal, puissant et fort, galvanise toute la beauté de celle-ci.
Au quatrième plan, on aperçoit la planète Terre qui cache à peine une étoile rouge, en feu, prête à entrer en collision avec celle-ci. Et cela ainsi de suite sur trois plans encore. L’étoile et la Terre entament alors un balai, dans l’espace, dans une succession de plans coupés par les autres tableaux du prologue.
Ainsi, on s’aperçoit que l’étoile rouge est devenue une planète, la planète bleue. Elles se font face, passent très proches l’une de l’autre pour que sur l’énième plan, la planète bleue désormais plus grosse que la Terre, finisse par absorber cette dernière dans une collision inévitable et préoccupante.
La nature, tout comme Justine, est ambivalente. Parfois inquiétante, d’autres fois protectrice, elle assure un rôle assez ambigu. Elle apparait protectrice lorsque le fils de Claire taille un morceau de bois, qui permettra de leur construire à eux trois un abri où ils réfugieront. Elle est d’autres fois une entrave, comme lorsque que Claire, son fils dans les bras, tente de s’enfuir de sa demeure, tandis que ses pieds s’enfoncent dans une pelouse de terrain de golf, tentant de fuir un mal que l’on ne voit pas, qui ne dit pas son nom ni ne montre son visage.
Ou lorsque Justine en robe de mariée tente de fuir mais est empêchée par des racines sortant du sol qui la ralentissent. Le cadre est entouré de ronces. La nature est, vivante, et inquiétante. Justine, ainsi rattachée au sol, ne peut s’élever, ni se sortir de cette situation dans laquelle elle semble embourbée. Il y a une idée de correspondance entre nature humaine et nature terrestre.
Douzième plan, Justine, dans sa robe de mariée et un bouquet de fleurs à la main – de muguet plus précisément –, apparait sur un lit d’eau. Entourée par la végétation, les yeux fermés, elle s’écoule, sur un lit de mort. D’après le langage des fleurs, le muguet signifie « retour du bonheur ». Dans une nature luxuriante, Justine fait ici penser à une toile du peintre romantique Millais.
Sur cette toile, c’est un personnage de Hamlet, Ophelia, qui apparait, chantant, juste avant sa noyade, un bouquet de fleurs à la main. Tout comme Ophelia, Justine apparait ici sans vie. Son visage mortifère témoigne du mal qui la ronge, et qui vient contraster avec sa toilette, et son bouquet de muguet, symbole de bonheur, qu’elle tient fermement, avec les deux mains.
Un prologue qui fait appel à la plasticité de l’image, à ce qu’elle a de plus évident : sa matérialité. À la fois destructrice et protectrice, la nature, ainsi représentée par Von Trier, permet un parallèle des plus judicieux des tourments de l’âme humaine, auxquels les personnages du film vont être confrontés.
La première partie du film, intitulée « Justine », du prénom du personnage principal, tranche véritablement avec le prologue, par son réalisme. Dans la première scène, c’est à un couple parfaitement heureux que l’on a à faire, occupée à faire avancer une limousine trop longue qui les retarde dans le voyage les menant au château de la sœur de Justine, Claire, pour le repas d’après les noces.
Leurs deux heures de retard ne semblent pas préoccuper la mariée, qui retarde une fois de plus son arrivée parmi ses invités, et prends intérêt au ciel étoilé, plus précisément, à une étoile, rouge, nommée Antares. Antarès est une étoile qui existe actuellement, qui est en fin de vie, d’où sa couleur. On ne sait s’il elle a déjà explosé, lorsqu’on le verra, Antarès aura pour nous le même diamètre que la lune. On peut y voir ici une corrélation avec l’état de Justine, qui va aller en se détériorant.
On ne sait, pour l’instant, si elle est déjà engagée dans une profonde mélancolie, on ne le saura que lorsque son état explosera face à ses proches. Son ambivalence, qui semblent être les légers caprices d’une enfant trop gâtée, continue, et au lieu de se rendre enfin au repas où de nombreuses personnes l’attendent, elle se dirige avec son mari dans son écurie, lui présenter son cheval ; elle ne participe pas non plus à la loterie organisée. Elle apparaît ainsi comme une petite fille insouciante. Elle s’y efforce tout du moins. C’est après le discours de son patron et les interventions orales de ses parents que le sourire de Justine commence à s’effacer.
Claire la prend à part, lui fait promettre de ne pas faire de scènes. « Tu sais ce que je veux dire. » Ces mots de Claire laisse entendre que Justine, qui parait avoir tout ce qu’une femme peut rêver d’avoir, qui semble radieuse, ne serait peut-être qu’une image, de la joie. Après ce passage, Justine profite d’un tiers temps musical pour s’échapper, part sur le terrain de golf, seule, dans la nuit, déchire sa robe, n’y prête aucune attention, ne sait trop quoi faire, puis urine sur le terrain, tout en contemplant les étoiles avec admiration. S’affranchir des règles, des mondanités, le temps d’un instant, lui redonne le sourire. Ces allers-retours vont devenir incessant. Plus on avancera, moins sa propension à dissimuler son vague à l’âme se fera sentir.
C’est comme si chaque décharge de bonheur la faisait sombrer davantage. D’abord après l’annonce de sa promotion en tant que directrice artistique, et maintenant après le discours émouvant de son mari, elle saisit l’opportunité de s’éclipser, à nouveau, pour coucher son neveu, et entame une sieste à ses côtés. Elle fait part de son état à sa sœur, lui expliquant qu’elle sait qu’il faut qu’elle se reprenne.
« Je trime dans ce récit, sombre et profond, ça s’accroche à mes jambes, c’est vraiment très lourd. »
Ces mots, quelques peu confus, de la mariée, témoigne de cette mélancolie qui l’envahit peu à peu, qui s’accroche à son corps. C’est comme si elle était absente, de son mariage, absente de sa vie de son corps, qu’elle ne se mouvait que pour répondre aux contraintes sociales qui sont les siennes ce soir-là. On la somme d’être heureuse, elle a tout ce qui témoigne du bonheur, mais ces contraintes sociales lui paraissent lourdes à porter.
Alors qu’on l’attend, qu’on s’impatiente à nouveau pour couper le gâteau, cette fois Justine apparait nue dans un bain, débarrassée de sa robe. Tout comme sa mère d’ailleurs. Ses difficultés à suivre les codes, à être présente en temps et en heure, étaient les premiers signes de son renoncement, à sa vie, telle qu’on la lui offrait. La lenteur du prologue donnait déjà le ton, de son état de plus en plus apathique, en dehors de toute vie.
Plus elle s’engage dans cette relation, plus elle s’engouffre dans un mal-être qui ne dit pas son nom. Elle s’excuse auprès de son mari, il rétorque que c’est de sa faute, qu’il avait vu qu’elle allait mal auparavant. Qui sait depuis combien de temps déjà Justine sombre, tout en faisant face quoi qu’il arrive, elle à qui il ne serait pas permis d’être malheureuse.
Malgré les attentions de son mari Mickael, qui lui montre une photo d’un verger de pomme qu’il vient d’acquérir pour leur vie à deux, où elle aura l’occasion de se reposer lorsqu’elle se sentira triste, selon ses mots, Justine aborde un sourire de façade, et abandonne la photo sur un fauteuil. Mickael comprend, qu’elle est ailleurs, qu’elle est sans doute déjà partie, plus dans cette relation.
« T’as intérêt à être foutrement heureuse. » Les mots de son beau-frère sous entendent que ce ne serait pas la première fois que Justine manifeste une telle mélancolie. C’est sous forme d’accord qu’il tente de la contraindre au bonheur. Et c’est timidement qu’elle lui répond qu’elle devrait l’être, sur un rire, qui rompt la gravité de la scène.
Quoi qu’il en soit, elle comprend vite que ses proches ne sont pas dupes. Mickael se confie à Claire sur la distance qui la sépare de Justine, Claire lui jette au visage ses mensonges, Justine, démasquée, craque. Tous les livres exposés dans la pièce, aux formes néoplastiques, Justine va les remplacer par des toiles romantiques, dont une de Bruegel, aperçue dans le prologue. Remettre les choses en ordre, leur trouver une nouvelle place, comme pour essayer de mettre de l’ordre dans ses idées, dans sa tête. Elle transpose son état d’âme, au désordre qui l’entoure, puis tente d’y remédier.
Une autre toile attire l’attention. Il s’agit d’Ophelia de Millais, toile pré-raphaëlite. On y voit Ophelia, personnage d’une œuvre de Shakespeare, chantant avant sa noyade, le corps porté par l’eau, des fleurs à la main. Correspondance avec l’affiche du film, et l’un des plans du prologue.
Quelque peu désemparée, la jeune mariée tente d’aller parler à sa mère, qui lui conseille « de foutre le camp », sans vraiment écouter les angoisses de sa fille, qui semblent davantage métaphysiques que liées à sa vie future de jeune mariée, ce que ne semble pas comprendre sa mère.
On la retrouve dans la salle de réception, ne pouvant plus se cacher derrière des sourires radieux. Dans une dernière tentative de lui redonner le sourire, Mickael boira après elle, à la bouteille, un spiritueux. Ce qui la fera sourire, le temps d’un instant.
Mais essayant en vain de parler à son père, qui semble occuper ailleurs, elle ne trouvera pas l’oreille attentive qu’elle espérait. C’est sa sœur qui jettera le bouquet de la mariée à sa place, devant ses hésitations. Sa nuit de noce sera avortée.
Elle quittera la chambre, où se trouve Mickaël, puis sur un coup de tête, ira faire l’amour avec Tim, son nouveau collègue, tout en le repoussant quelque temps plus tard. Elle rompt ainsi son pacte social, son mariage, puis son ascension professionnelle, en démissionnant. Gestes irréfléchis mais libérateurs, gestes authentiques, en ce qu’elle laisse le fond de sa pensée rejaillir, faisant fît des conséquences.
« J’aurais essayé ». Aveu non dissimulé de Justine à sa sœur, de sa tentative, de faire bonne figure, en vain. Cette première partie se terminera sur une sortie à cheval avec Claire, et l’impossibilité pour le cheval de Justine, Abraham, de traverser un pont, pour sortir de la propriété. La voilà murée, et par là-même, sa sœur avec, et le reste de la famille n’ayant pas quitté le château, tandis qu’Antares, l’étoile rouge, a disparu…
Si cette seconde partie est intitulée « Claire » c’est davantage car c’est elle à son tour qui va sombrer, lorsqu’au cours de la première partie, c’était sa sœur. Justine est toujours présente, et au cœur de l’intrigue. C’est sous un autre jour qu’on la découvre. Elle qui était si radieuse, apparaît désormais sous les traits d’une femme à qui il manque de la vie. Ses cheveux sont coupés, les traits de son visage sont durs, son regard vague, et son teint très pâle.
Dès la première scène, il apparaît qu’elle a de sérieuses difficultés à effectuer des gestes somme toute quotidiens, comme prendre un taxi, pour rejoindre la demeure de sa sœur. Son état mélancolique a laissé place à une profonde dépression. Chaque geste, chaque mouvement semble être une difficulté de plus. Ouvrir la porte de la voiture du taxi, monter à l’intérieur, tout cela elle ne peut l’effectuer sans le renfort d’une tierce personne. C’est ce qu’on appelle cliniquement l’aboulie. La scène du bain, de la tentative du bain, illustre cette perte d’élan vital, caractéristique de l’état dépressif. Nue devant la baignoire, Claire la portant à dessous de bras, lever sa jambe pour entrer dans le bain lui est impossible. Parler non plus.
C’est par un gémissement, quasi animal, qu’elle manifeste son mécontentement. Elle apparaît impotente. La nécessité de se laver, autant sociale que vitale, lui est impossible. La jeune fille a des difficultés à se mouvoir, son corps est ralentit, son état mental se reflète jusque dans son corps. Elle reste prostrée, incapable de s’alimenter, à la limite de la catatonie. À ce moment précis, elle sort d’une clinique, et tente de se ressourcer chez Claire. Sa présence semble ennuyer son beau-frère, John. Car la question de son influence semble déjà remuer John. C’est un effet de contagion qu’il redoute.
L’étoile rouge de la première partie, refait surface, cette fois sous la forme d’une planète. Il semblerait que l’astre se soit développé, et effraie désormais Claire, et son mari, même s’il ne lui montre pas, si bien que le fait que Claire ait passé du temps sur internet, à rechercher des informations sur cette planète, cette menace, soit sujet à dispute dans le couple. Car en effet, selon certains scientifiques, cette planète pourrait bien entrer en collision avec la terre et provoquer de ce fait l’extinction de la race humaine.
Plus qu’une simple incursion d’un élément de science-fiction dans un film largement réaliste, il semblerait que cet épisode soit davantage une métaphore de l’état dépressif de Justine que d’un événement cosmique. Ce n’est pas un hasard si la planète se nomme Melancholia. Et ce qui pourrait inquiéter Claire, ce serait une éventuelle hérédité de la maladie, qui pourrait justifier, une contagion. On la voit d’ailleurs à maintes reprises effectuer des recherches sur cette planète, qui a pour résultat de l’inquiéter davantage, voir de la paniquer. Ces recherches pourraient tout aussi bien être des recherches sur la mélancolie, l’état dépressif, la mort et le suicide (dont son mari sera victime).
A ce propos, il y a une dépression masquée dite hypocondriaque, où le patient, ne semble pas souffrir moralement, mais développe une paranoïa quant à ce qui serait susceptible de lui arriver. Ainsi, Claire nourrit elle-même sa dépression, en ne cessant de rechercher des éléments anxiogènes, qui vont alimenter son mal-être. Elle ira jusqu’à aller acheter ce qui doit être des anxiolytiques, au cas où, sans avis médical ni avoir entrepris un quelconque travail thérapeutique, que son mari avalera afin de mettre fin à ses jours.
Ce catastrophisme, représenté par l’éventualité de la collision avec la planète bleue, pourrait être le symptôme d’une distorsion de la réalité, fréquemment observée dans les dépressions à caractère psychotique, allant de pair avec l’ambivalence observée lors du mariage de Justine, son retrait social, la pauvreté psychomotrice et la désorganisation de son comportement, comme lorsqu’elle urine sur le terrain de golf, ou qu’elle mange la confiture, à l’aide de ses doigts, à même le pot, comme le ferais une enfant de cinq ans.
A cela il convient d’ajouter le désintérêt dont elle fait preuve pour tout ce qui semblait la rendre heureuse auparavant : l’idée de monter son cheval, ou son investissement dans un métier qu’elle aimait, jusqu’à avoir des hallucinations olfactives. En effet, son plat préféré, le pain de viande, ayant désormais le goût de cendres, autrement dit, de la mort. C’est à une perte de contact avec la réalité que l’on a à faire, perte de contact qui va toucher sa sœur, Claire, ainsi que John.
Le fait qu’à plusieurs reprises, dans la partie une comme dans la seconde, Justine et Claire ne puissent traverser le pont à cheval et sortir de la propriété, pourrait refléter l’idée qu’elles ne pourront sortir de cet état maladif, et y resteront emprisonnées. Ce qui rendra Justine violente au point de frapper de toutes ses forces son cheval, Abraham, dans une crise d’hyper agressivité.
Ses angoisses métaphysiques se traduisent dans cette idée de fin du monde imminente, qui va toucher également John, et Claire, Claire qui ne taira pas sa peur, et John, qui tentera de la rassurer, bien qu’il apparaît évident qu’il s’inquiète également. Pour preuve, le stock de marchandises qu’il cache près de l’écurie, au cas où il arriverait quelque chose, sans en parler à sa femme, pour ne pas l’inquiéter davantage. Pour preuve également l’attention qu’il porte au jouet inventé par son fils.
De fer et de bois, le cercle d’acier permettant de mesurer la taille de la planète, et de s’assurer qu’elle rétrécit. C’est d’ailleurs, un matin, lorsqu’il s’apercevra que la planète se rapproche et donc a grossi, qu’il se donnera la mort. Ce cercle, et cette planète qui grossi à-vue d’œil, fait irrémédiablement penser à une tumeur, que l’on pensait disparue, et qui ressurgit, plus grosse qu’auparavant. Un cancer qui les menace.
En exprimant ainsi les tourments de l’âme, d’une manière transcendantale, Von Trier s’inscrit dans la veine romantique. Cette supériorité de la nature, que constitue l’apparition et le danger de cette planète bleue, confère au sublime. Comme le dit Baudelaire : « le romantisme n’est précisément ni dans le choix des sujets ni dans la vérité exacte, mais dans la manière de sentir. ».
Cet événement cosmique n’est qu’un prétexte à exalter la supériorité de la nature sur l’homme, et la capacité de l’affect mélancolique à entrer en symbiose avec la nature, comme dans la scène où Justine sort en pleine nuit, suivi discrètement par Claire, pour aller s’allonger nue sur un rocher, comme pour communier avec les éléments. La question est de savoir si cette expérience du sublime va les anéantir, comme le pense Claire, ou si elle sera merveilleuse, comme le soutient, John.
Étrangement, plus le cataclysme semble approcher, mieux Justine se porte. Bien qu’elle ait conservé ses idées de fin du monde imminente, et ses idées morbides, la vie est revenue en elle. Mais son visage apparait noir. Elle porte en elle un fatalisme morbide. Se considérant surement comme muré dans son mal, elle aura fini par accepter cette mort imminente, ce qui aura eu un effet : celui de faire disparaitre son état premier de petite mort, pour une attitude largement résignée.
« La terre est malfaisante. »
S’exprimant ainsi, Justine manifeste un état de désespoir infini. Ou plutôt de délire, mystique, selon lesquels la terre est malfaisante, qu’elle s’apprête à disparaître, et qu’il ne faudra pas la regretter. Le fait est que son délire systématisé, apparait de plus en plus cohérent, et par là-même, convainc son entourage.
Dans le même temps, « petit père » a disparu de la maison. Premier signe pour les hôtes de ce phénomène de propagation infectieuse, devenu évident, leur domestique a fui sans dire un mot. À raison.
Dans son délire, il pourrait y avoir une vie possible ailleurs. Or, ce n’est pas le cas, tout comme sur la planète bleue la vie humaine est impossible puisque il n’y a pas de terre, dans le délire de Justine, la vie n’apparait possible nulle part. Elle finit d’en convaincre sa sœur, avec un argument, qui fera autorité : elle connaissait le nombre de haricots présents dans la bouteille, lors de la loterie ayant eu lieu le soir de son mariage. 678. Elle sait certaines choses, elle sait, qu’ils sont seuls. Le génie de Von Trier ici consiste à ne jamais mettre en doute la parole de Justine et ainsi, à lui donner du crédit, en semant le trouble dans la pensée du spectateur.
Le suicide de John arrive brutalement. Alors qu’il apparaissait être la voie de la raison, son suicide démontre tout à fait le contraire. Son attitude positive étant davantage motivée par le souhait de préserver Claire et leur fils, que réelle. Premièrement, son initiative de faire des provisions « au cas où », était le premier élément témoignant de ces incertitudes face à la planète Melancholia, tout comme son toast « à la vie » le soir où la planète devait passer tout près de la Terre, montrait qu’il avait des doutes, quant à leur survie à tous.
Un premier symptôme somatique du mal être naissant de Claire, se situe dans ses difficultés respiratoires, crise de spasmophilie, dû sans doute à ses angoisses. Elle comprendra qu’il n’y a plus d’espoir quand elle tentera de quitter sa propriété son fils dans les bras, qu’elle ne pourra aller plus loin que le pont, puis reviendra sur ses pas, désespérée. C’est alors qu’il se mettra à grêler. La grêle, sur leur vaste terrain, peut faire penser que ce qui tombe du ciel, c’est le contenu disparu de la boite de médicament, qui a servi à John, lors de son suicide. Image macabre de ces grêlons blancs qui stagne sur la pelouse, par milliers.
La famille est ainsi brisée. D’ailleurs, le nom de Justine, « Steelbreaker », littéralement disjoncteur d’acier, peut amener à penser qu’elle est capable de briser ce qu’il y a de plus dur, un véritable bloc, une famille uni et saine d’esprit. Elle est un visage d’Antarès, l’étoile rouge devenue planète Melancholia.
Par trois fois le petit garçon avait évoqué l’idée d’aller construire une grotte magique avec sa tante. Par deux fois elle l’avait remis à plus tard. La troisième fois, l’idée de son neveu viendra à point nommé pour se réunir tous les trois, avant la collision.
Film à la fois plastique et réaliste, onirique et romantique, MELANCHOLIA de Von Trier apparait comme une véritable œuvre filmique en ce qu’elle révèle un symbolisme, un symbolisme d’esthète, à décrypter. L’exaltation de la nature, en correspondance directe, à la nature de l’homme, vaut la peine de s’attacher aux détails savamment disséminés par Von Trier.
Sujet rarement aussi bien traité, la mélancolie telle qu’elle figure dans cette œuvre filmique enivre autant qu’elle pourrait rebuter, si les plans n’étaient pas aussi esthétiques. Le film nous laisse tout de même sur notre faim. Sont-ils morts comme nous le laisse penser la collision avec Antares, où ont-ils trouvés refuge dans une immanence, dans un monde intérieur, comme le suggère cette cabane, qui pourrait être, une métaphore de l’intériorité ?
Emilie Claire BELKESSAM
Cet article a été publié suite à une contribution d’un·e rédacteur·rice invité·e.
Si vous souhaitez écrire une actualité, une critique ou une analyse pour le site, n’hésitez pas à nous envoyer votre papier !