Fortement décriées, victimes de la crise sanitaire dont la sortie a été éternellement repoussée, c’est après une longue attente que nous avons vu les dernières aventures de James Bond. Dommage que beaucoup ne l’ait pas apprécié à sa juste valeur : MOURIR PEUT ATTENDRE s’avère être la porte de sortie idéale pour Daniel Craig, définitivement le plus grand interprète de l’espion. Tentative d’explications.
Conclusion d’un cycle
La tâche n’était pas des moindres pour Cary Fukunaga : conclure l’arc narratif le plus expérimental qu’ait connu James Bond, ses meilleures heures à l’écran aussi, ses aventures les plus novatrices et touchantes. Ériger une porte de sortie à la mesure de l’unanimement acclamé Daniel Craig, telle est la mission principale de ce nouvel opus, attendu depuis désormais deux ans. Il est évident qu’il ne fallait pas s’attendre aux sublimes divagations ésotériques d’un Skyfall, et l’on est rassurés de voir MOURIR PEUT ATTENDRE marcher initialement dans les pas de ses récents prédécesseurs. Oui, le James Bond du XXIème siècle est un héros sensible et tourmenté, schizophrène dans sa manière d’appréhender son monde. Espion dévoué ou romantique marqué par le sceau de la trahison originelle, ce double-visage est l’instrument principal de la réussite des derniers films. Fukunaga se démène pour répondre aux problématiques engendrées par cette bipolarité. Si MOURIR PEUT ATTENDRE avance de prime abord dans des sentiers battus, les cartes jouées par ses péripéties sont tout aussi étonnantes qu’audacieuses.
Blessure originelle
A l’image de l’explosion aux abords de sa tombe, Vesper Lynd n’est plus qu’un lointain souvenir. Le message est presque trop explicite : Bond est enfin parvenu à effacer le poids d’une épée de Damoclès le menaçant depuis l’épilogue de Casino Royal. Dans Spectre, Christophe Waltz s’amusait encore des traumatismes de l’espion en jouant avec ses plaies non cicatrisées. C’est aussi ce qui expliquait le semi-échec du précédent opus, peu enclin à se risquer sur des terrains inconnus. L’ellipse initiale de MOURIR PEUT ATTENDRE, longue de cinq ans, est toute aussi significative de cette volonté de faire table rase du passé. Le James Bond version 2021 fait peau neuve. Il n’est plus ce corps meurtri, volontairement antipathique, qui traversait les épreuves avec force de caractère. En plus d’accepter l’amour qu’il éprouve, il en devient l’allégorie. Qu’on ne s’attende pas à retrouver un modèle de froideur, interprète glacial dévoué à l’hédonisme : Bond risque désormais sa vie pour sauver femme et enfant. Un choix radical, résultat cohérent de la politique entamée par Martin Campbell en 2006. Les scènes d’action sont métonymiques de ces nouveaux enjeux, à taille humaine : pas d’envolées spatiales ou d’explosions démesurées ici. Fukunaga opte pour une tension minimaliste au travers d’une courses poursuite forestière à hauteur d’Homme. Et c’est ici que MOURIR PEUT ATTENDRE vainc le complexe du « dernier opus ».
Mission accomplie
Attention : MOURIR PEUT ATTENDRE n’atteint jamais l’intensité visuelle d’un Skyfall ou le rythme progressif en élévation de Casino Royale. Pour la simple et bonne raison qu’il n’en a pas la prétention. La mythologie entourant Daniel Craig a déjà été façonnée, creusée. Le sacrifice, la dévotion intacte envers la sainte patrie, le complexe d’Oedipe… Depuis sa résurrection lors d’une partie de poker d’anthologie, Bond a été confronté à de multiples péripéties esquissant une éthique et une morale qui lui sont propres. Spectre avait voulu en rajouter une couche, dénuée de saveur et donc sans grand intérêt. Fukunaga pense son antagoniste comme un opposant des plus simplistes, dont les motifs restent toutefois légitimes. Il est vrai que James Bond fait partie de ses héros qui existent au contact d’ennemis foudroyants, au charisme inéluctable ; il se trouve que la version de l’espion sous les traits de Daniel Craig dépasse désormais la stature du personnage et de ce qui devrait en découler. Devenu un archétype de la culture contemporaine, le James Bond moderne n’avait pas besoin d’un ultime épisode exhibant les prérequis inhérents à son statut. La seule ambition de MOURIR PEUT ATTENDRE est de conclure une époque bénie, où l’espion a vécu ses meilleures heures. Le récit, certes un tantinet trop long, se consacre avec rigueur à atteindre cet objectif et 007 devient le fer de lance d’une aventure qui n’a à souffrir aucune comparaison : Quantum of solace ou Spectre opéraient eux aussi des choix discutables, voire difficilement défendables (sans toutefois nuire à l’efficacité du spectacle engendré). MOURIR PEUT ATTENDRE braque sa caméra sur le héros éponyme autour duquel gravitent de sympathiques pierres angulaires (on se réjouit de retrouver Q, M et d’attachantes alliées). L’ensemble hétéroclite qui en découle traduit les obsessions charriées par la saga Craig : James Bond a désormais plongé dans un univers purement réaliste, bien loin de fictions hautement technologiques de l’ère Brosnan. Désormais, c’est clair : le monde tel qu’il l’a côtoyé lui suffit.
Emeric