Un avant-dernier acte en demi-teinte pour le phénomène Game of Thrones, qui sacrifie sa subtilité pour avancer plus vite. Trop vite. Et perdre son charme et ses personnages en chemin. Attention spoilers !
The night is dark and full of spoilers. Un choix rédactionnel a été fait d’adresser cette critique aux spectateurs ayant vu la septième saison de GAME OF THRONES. Si tel n’est pas le cas, cher lecteur, il est encore temps pour toi de rattraper ton retard ou de chercher autre billet vierge de révélations. Et même si cette saison a été globalement assez avare en grands retournements de situations, il serait quand même dommage de s’entamer ainsi le visionnage. Quant aux autres, point d’inquiétude, l’homme qui écrit ses lignes n’a pas lu les leaks du scénario du huitième acte, il n’a donc absolument rien de plus à révéler.
Ah si, les romans. Mais ils sont en retard. Donc à part supputer sur les brouillons de George R.R. Martin pour The Winds of Winter (bientôt dans vos librairies, mais nous serons tous probablement en train de manger les pissenlits par la racine d’ici là), tout sera rédigé dans les règles de l’art.
Drôle de destin que celui de GAME OF THRONES. Nul doute que si toute l’équipe scénaristique avait su qu’ils allaient devoir œuvrer sans la carte George R.R. Martin au crépuscule de la série, ils auraient probablement pris davantage leur temps. Ou l’auraient peut-être interdit de Comic-Con dès 2011. C’était déjà le cas l’an dernier, et c’est encore vrai en 2017 : David Benioff, D.B. Weiss et leur gang scénaristique doivent désormais écrire des dialogues et structurer leurs intrigues sans avoir un très utile tome de A Song of Ice and Fire entre les mains. Fort heureusement que, depuis la première saison, la série a pris lentement mais surement ses distances avec l’œuvre originale pour finalement se retrouver avec des intrigues et des personnages sensiblement différents de ceux des livres. De quoi se faire la main, donc.
Il faut cependant s’interdire une chose : comparer GAME OF THRONES avec les pavés desquels elle est adaptée. Ce serait ne pas lui rendre justice, dans le sens où là où chaque page de George R.R. Martin est probablement le fruit de longues semaines de travail (on attend le sixième tome depuis six ans…) en plus de permettre à leur auteur de s’étaler autant qu’il veut sur de nombreux détails et subtilités de son intrigue et de son univers, alors que la série d’HBO est limitée par des contraintes de format. Une série n’est pas un livre, et même si ces derniers ont une forme qui facilite leur adaptation sur le petit écran (structure héritée du passé de Martin comme scénariste télé, cliffhangers, panel de personnages large et charismatique…), on est en mesure de pardonner beaucoup des raccourcis et des facilités que GAME OF THRONES a utilisés au fil des années.
En fait, le problème de GAME OF THRONES est inverse.
Le problème de GAME OF THRONES, c’est qu’en 2017, elle n’a plus rien à adapter à part des discussions entre les scénaristes et l’auteur des livres.
C’était pourtant déjà le cas l’an dernier, et la sixième saison était une réussite incontestable. On pourrait supposer pendant des heures sur la baisse subite de qualité de la série : est-ce une lassitude des scénaristes qui ont décidé d’en finir au plus vite ? Est-ce dû au fait que ceux-ci aient décidé de ne pas adapter la fin que George R.R. Martin leur a révélé en privé ? Est-ce simplement parce que cette même fin officielle est ratée ? Ou que celle-ci est trop compliquée pour s’adapter au format télévisuel ? Plus que des fautes de goûts scénaristiques sur lesquels nous reviendrons plus tard, la décision la plus incompréhensible aura surement été de ne faire « que » sept épisodes, alors que cette saison en nécessitait la dizaine habituelle. A vrai dire, on sentirait presque qu’une saison intermédiaire se serait perdue en route, tant la saveur n’est plus la même.
Le souci de crédibilité, il est simple à évaluer : pendant que Jon va à Peyredragon, pendant que Ver Gris s’en va assiéger Castral Roc, pendant que les Avengers vont au-delà du mur… tout le monde se tourne-t-il donc les pouces ? Ces déplacements de plusieurs semaines semblent mettre en pause toutes les intrigues de château (Port-Réal et Winterfell) ainsi que les actions militaires d’un camp ou de l’autre. Cela aurait du sens si cette fameuse guerre était une guerre de position, mais quand on veut nous faire croire que Mademoiselle Caprice, ses trois bombes atomiques ailées et son khalasar font une percée pépère en plein Bief (khalasar qui n’apparaît d’ailleurs que sur les champs de bataille – ils sont où nos amis les dothrakis le reste du temps ? Sur le bout d’île vierge qu’on nous vend comme Peyredragon à se toucher la nouille en mode Jarhead sur les peintures de Lascaux des Enfants de la forêt ?) ou qu’on prenne des villes comme on cueille des fraises (Hautjardin et Castral Roc en un épisode), toute logique s’écroule. Le reste du temps, le casting semble se toiser en attendant sagement dans ses appartements… Avec les kilos d’intrigues qu’on nous vend depuis la saison 1, il semble quelque peu improbable que tout ce beau monde ne fasse que boire du vin avec Ser Gregor, ou jouer à Risk sur ses jolies cartes de Westeros (au moins Stannis en avait une utilisation plus singulière).
Le souci de rigueur quant à la structure de la série (et des livres), c’est qu’on abandonne le sel de son succès : lorsque l’on se déplace dans GAME OF THRONES, on n’arrive que très rarement à destination. Les rebondissements se trouvent sur le chemin, pas au terminus. En supprimant ces interactions, d’un lieu à un autre, d’une intrigue à une autre, la série finit par oublier ses personnages, qui ne sont plus qu’au service du récit global, et non plus à celui de leur récit intime. Au fond, ils n’existent plus.
Ce qu’il y a de plus paradoxal dans tout cela, c’est que le seul moment où la série regarde enfin ses personnages dans les yeux, c’est lors de ses scènes d’actions. C’est le seul moment où GAME OF THRONES prend enfin le temps de respirer, d’interroger, d’observer ses personnages se transformer. Et ce, sans dialogues. Ce Jaime impuissant face au feu nucléaire des dragons, ce Tormund hurlant face à sa mort imminente… Si elles sont là pour le spectacle (qui, dans son abondance, perd d’ailleurs de son effet), elles se trouvent une utilité salvatrice dans le rapport physique qu’elles écrivent entre le spectateur et les protagonistes. Jadis, ce rapport fondamental se formait lorsque Tyrion plaidait pour son existence, ou quand Jaime fondait en larmes dans un bain d’Harrenhaal. Aujourd’hui, il s’est presque éteint, pour favoriser l’avancement du fil central – seules subsistent ces moments de spectacle où les yeux essaient de dire autant que les mots, où GAME OF THRONES s’arrête brièvement d’avancer à toute vitesse pour laisser ses personnages vivre en-dehors de leur utilité narrative.
Tout n’a bien sûr pas disparu. Quelques rares moments viennent rappeler à quel point GAME OF THRONES peut être bouleversante : ce Limier plongeant son regard dans les flammes d’une cheminée, ce Randall Tarly attrapant le bras de son fils dans un ultime sentiment compilé de remord et de fierté, ce regard perdu d’un Jaime réalisant la folie de sa sœur et maîtresse, ce Theon confiant à Jon la jalousie, l’admiration et la frustration qu’il éprouve envers lui (chacun est, au final, un miroir de l’autre)… A cette image, le final de cette septième saison aura été une indéniable réussite, rattrapant en partie un acte où il aura été monnaie courante de traverser des lacs en nageant avec son armure, ou encore de trouver malin d’aller capturer des morts-vivants en plein Mordor, pour ensuite en revenir miraculeusement indemne. Chose incroyable, le final aurait même réussi à sauver l’ignoble arc Winterfell qui aura surtout servi à occuper de manière assez peu crédible la partie du casting qui se tourne justement les pouces. Ce fut non seulement l’épisode le plus solide de la saison, c’est aussi probablement l’un des meilleurs season finale du show, notamment parce que l’introspection y était centrale.
GAME OF THRONES a perdu de son élégance, de ses subtilités, de sa finesse dans l’écriture. A côté de ça, tout est pourtant irréprochable : le casting est hors normes (Alfie Allen, Nikolaj Coster-Waldau et Lena Headey en tête), on a jamais rien vu d’aussi impressionnant visuellement à la télévision, la direction artistique est incroyable, tout comme la musique et la mise en scène, mesurée et maîtrisée. On pardonne même à la série sa réinterprétation « cartoonesque » d’Euron Greyjoy, qui aide à dynamiter la mécanique trop bien huilée du scénario.
Cette septième saison est sans doute la moins bonne qu’a connu la série (la cinquième n’est pas loin), pour toutes les raisons évoquées plus haut (intrigues improbables, raccourcis et incohérences bien trop nombreux, rythme fatigant…), mais elle n’aura pas été non plus une déception totale, rattrapée par un excellent dernier épisode et quelques scènes mémorables, dont la meilleure scène de bataille de la série (ce massacre « hiroshimaesque » de l’épisode quatre). Sans canevas littéraires sur lequel se baser, les scénaristes de la série n’ont su composer aisément tous ces personnages entre eux, ils n’ont su construire des intrigues avec intelligence et logique, ou prendre le temps de peser toute l’importance de chaque événement. Chose que les livres avaient initié, et que la série avait su brillamment reproduire pendant longtemps. Les regrets sont présents, mais on ne perd pas espoir quant à l’ultime acte, qu’on espère âpre, déchirant, mais avant tout moins prévisible. Parce que GAME OF THRONES mérite mieux qu’une fin en mode blockbuster un peu désenchanté. Sans ses dialogues, sans les constructions lentes et réfléchies de ses personnages et intrigues, sans sa réaliste cruauté, parfois frustrante mais toujours vibrante, ce monument perd ses fondations. On ne veut pas du spectacle lisse, on veut du GAME OF THRONES.
KamaradeFifien
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• Showrunners : David Benioff & D.B. Weiss
• Acteurs principaux : Kit Harrington, Emilia Clarke, Lena Headey, Peter Dinklage, Nikolaj Coster-Waldau, Sophie Turner, Maisie Williams, Alfie Allen, Aidan Gillen, Isaac Hempstead-Wright, Rory McCann
• Date de sortie : du 16 juillet au 27 août 2017
• Durée : 7x55min
• Chaîne : HBO