En trois saisons Damon Lindelof aura offert avec The Leftovers et ses questionnements humanistes un des derniers chefs d’œuvre de la télévision, à l’écriture et la construction brillantes.
Durant sa première saison, THE LEFTOVERS trouvait sa force dans l’émotion qu’elle véhiculait en se focalisant sur des personnages ordinaires, tous touchés, directement ou non, par une tragédie. Celle du 14 octobre, lorsque 2% des êtres humains ont soudain disparu de la surface de la Terre sans la moindre explication. La série débutait alors trois ans plus tard dans la petite ville de Mapleton. Pour la seconde saison, une partie des protagonistes principaux quittaient Mapleton pour Jarden, ville épargnée par les disparitions. Dès lors, les codes de la série furent quelque peu chamboulés. Allant d’un nouveau générique à une déconstruction du récit plus marquée – les deux premiers épisodes se répondent tel un miroir -, permettant à THE LEFTOVERS d’assumer finalement sa part fantastique héritée de Lost. Pas besoin de se lancer ici dans une analyse des liens évidents entre les deux séries co-écrites par Damon Lindelof (avec Jeffrey Lieber et J. J. Abrams pour Lost, avec Tom Perrotta pour The Leftovers), d’autres avant s’y sont déjà attelés (comme Pacôme Thiellement et Sarah Hatchuel à Série Mania). Il faut cependant rappeler cette particularité de la série, qui est de jouer avec l’invraisemblable en mettant les protagonistes dans des situations irréalistes, parfois inexplicables, mais auxquelles des réponses possibles viennent toujours maintenir la cohérence et la crédibilité. Possibles, car Lindelof ne s’intéresse pas tant à la vérité, mais plus au parcours. C’est d’ailleurs avec la saison 2 qu’il admettait pleinement que « la série est simplement une fiction et qu’il n’est pas nécessaire d’imposer la raison dans l’imaginaire, mais de protéger celui-là de celle-ci » comme l’expliquait Pierre Sérisier du Monde. Avec cette troisième et dernière saison, la boucle THE LEFTOVERS se referme avec fulgurance et une grâce qui en font sans doute la meilleure série de ces dernières années.
Après une première saison grandiose, plus simpliste dans sa conception, mais qui aura offert le summum de l’émotion de la série, la seconde avait chamboulé toutes nos attentes pour un résultat tout aussi passionnant. Le paroxysme était atteint lors du final, avec la réunion du cocon familial. Avec cette troisième saison, les créateurs poursuivent le questionnement dramatique autour de la perte d’un être cher, mais surtout sur l’incapacité à faire son deuil, dès lors que le corps est absent. Un récit où se mêlent philosophie et religion pour un constat humaniste. THE LEFTOVERS saison 3 s’ouvre (comme la saison 2) sur une séquence d’introduction étonnante, sorte de court-métrage qui n’a, semble-t-il, pas de rapport direct avec le reste de la série, à part la thématique abordée, celle de la perte. Suivant, au milieu du XIXe siècle, le quotidien d’une communauté de Pèlerins qui se désagrège. Pas de dialogue, uniquement de la musique, I Wish We’d All Been Ready de Good News Circle, pour accompagner des images à la photographie léchée, en contraste presque avec ce qui est représenté. En montrant l’église où se réunissent les habitant, qui se vide au fur et à mesure, laissant supposer la perte de croyance ou pire, Lindelof y va d’une représentation symbolique pour exprimer le ressenti, la détresse face à la perte et l’abandon. En moins de dix minutes, le showrunner nous rappelle sa capacité à nous prendre à contre-pied, à nous surprendre en faisant preuve d’audace, non pas gratuite, mais toujours en cohésion avec le sujet. Une introduction qui permettra d’aborder, déjà, les derniers épisodes avec le bagage nécessaire ; une sensation d’empathie la plus profonde.
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Vient alors le retour des protagonistes. La « famille » s’est reconstruite quelques années après qu’on les a laissés, à la fin de la saison 2, et prend des airs de communauté avec Kevin Garvey, ses deux enfants, son ex Laurie, sa nouvelle compagne Nora, le frère de cette dernière, ainsi que John Murphy et son fils. Un groupe qui semble uni et sain, ayant fait table rase du passé. La vérité est évidemment tout autre et à nouveau THE LEFTOVERS viendra pointer leur mal-être enfoui et la remise en question de leur foi, religieuse, mais pas que. Un nouveau voyage, cette fois en Australie, les mènera à se questionner, à accepter leurs erreurs, à en faire de nouvelles, à se séparer et à se sacrifier. On pourrait y voir une forme de pessimisme, seulement il s’agit de résolutions les plus humaines possible. Comme la réunion de Nora et son frère Matt (épisode 6), ou celle de Kevin et son père à la fin de l’épisode 7 avant d’entamer la fin du monde, chantée par Patty Duke avec The End of the World. On ne répétera d’ailleurs jamais assez l’importance de la musique dans la série, celle de Max Richter, magnifique, autant que les musiques additionnelles. Ici, Lindelof l’exprime même lors de chaque générique, le même que celui de la saison 2, mais sur lequel viennent se greffer d’autres morceaux, annonçant chaque thèmes abordés.
La force de THE LEFTOVERS est alors sa capacité à ne pas juger les protagonistes, et par extension, nous-même qui nous identifions, mais bien à présenter avec empathie chacun de leurs choix, rendant légitime leurs actions. Il faut pour cela faire preuve d’une certaine exigence et accepter que la série puisse livrer ses réponses en temps voulu, car elle n’adopte pas un ordre de narration chronologique. Damon Lindelof exprimait dernièrement l’importance de ne pas binge watcher la série. En effet, celle-ci nécessite d’être digérée, épisode après épisode. Ne serait-ce que pour se laisser le temps d’encaisser les séquences, plus nombreuses dans cette troisième saison, dans cet « autre monde », ce lieu qui existerait après la mort, imaginé ou non par Kévin, le choix et les hypothèses étant laissées au spectateur.
Au final rarement une série aura fait preuve d’une telle intelligence d’écriture et d’une vraie maîtrise sur toute sa durée. Avec sa construction exigeante, pouvant rebuter au premier abord car elle ne donne pas toutes les indications au spectateur, mais qui au moins ose proposer quelque chose d’innovant. À l’heure où les séries se standardisent (en dépit de grandes qualités indéniables) pour correspondre avant tout aux attentes du public plutôt que d’amener ce dernier vers l’élévation, THE LEFTOVERS apparaît comme la dernière œuvre capable de nous sortir de notre zone de confort. Un prix à payer utile, car alors ouvre la porte à l’émotion la plus pure et véritable. Un moment de grâce qui se sera étalé sur trois saisons de dix épisodes (huit pour la dernière), durant lequel bonheur, tristesse et réflexions se seront confondus à la perfection. Merci Damon Lindelof, et encore bravo.
Pierre Siclier
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L’article date du 14 avril 2017
• Créateur : Damon Lindelof et Tom Perrotta
• Acteurs principaux : Justin Theroux, Amy Brenneman, Christopher Eccleston
• Diffuseur : HBO (US) / OCS City (France)
• Format : 10x52min