ALPHA, quand Julia Ducournau raconte les années SIDA – Critique

Photo du film ALPHA
Crédits : Diaphana Distribution
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3.5

En compétition à Cannes. Avec ALPHA, Julia Ducournau revisite les années SIDA. Un film qui multiplie les niveaux de lecture, offrant matière à réflexion dans ce qui s’avère être son œuvre la plus touchante et symbolique.

La paranoïa s’est emparée des habitants. Voilà plusieurs mois qu’une mystérieuse maladie sévit, transformant les infectés en statues de marbre (sublime trouvaille visuelle). On n’en sait pas grand-chose, si ce n’est qu’elle se transmet par le sang.

Alors quand Alpha, 13 ans, rentre chez elle avec un tatouage fait lors d’une soirée trop arrosée, sa mère s’inquiète : l’aiguille était-elle stérile ? Et surtout, sa fille chérie va-t-elle tombée malade, elle aussi ?

Allégorie des années SIDA

Sur la chronologie d’ALPHA, peu d’informations sont données. On se plaît à imaginer une époque intemporelle, comme en témoignent ces rues du Havre qu’on ne peut dater. L’absence de téléphones portables, aussi. Wikipédia tranche net : l’action se déroule dans les années 80, en pleine crise du SIDA. Ou, du moins, d’un mal qui y ressemble fortement.

ALPHA est un film aux multiples strates. Le plus littéral reste celui-ci : un film d’épidémie, saupoudré de body horror, comme une relecture de ces années troubles par Julia Ducournau (Grave, Titane). Notons d’ailleurs que les homosexuels et les drogués en sont les premières victimes, allusion peu subtile à cette période qui a tant marqué la réalisatrice dans sa jeunesse.

Ces hommes et femmes devenus des parias du jour au lendemain, voilà ce qui intéresse réellement la cinéaste à la Palme d’or. Rejetés par la société, pointés du doigt par les autres. Après tout, le doute plane : peut-on attraper la maladie par un baiser ? Ou au contact de quelqu’un ? Personne ne sait vraiment, renforçant le mépris à l’égard des infectés.

Génération perdue

« Tu sais qu’il y a un virus qui circule ? », demande l’infirmière à Alpha. « Je n’ai que 13 ans », se contente de répondre l’adolescente, comme si son jeune âge l’éloignait du danger. Elle est à l’image de sa génération : insouciante, et donc vulnérable. Du genre à traverser la vie sans se méfier de la maladie qui rôde.

Julia Ducournau évoque ainsi une jeunesse sacrifiée : la génération alpha. Ceux qui sont désormais ados, nés entre 2012 et 2020 – comme notre héroïne, qui en porte d’ailleurs le nom. Et qui ont le plus souffert du Covid-19, en grandissant dans des années confinées. La réalisatrice palmée convoque ainsi l’imaginaire d’une autre époque, usant d’allégories pour parler de la nôtre.

Amour toxique

Un second mal frappe aussi les protagonistes : l’amour. Un amour si viscéral qu’il en devient poison. Le personnage de la mère, interprété par Golshifteh Farahani, en est la figure de proue. « Une bonne mère, une bonne sœur, une bonne infirmière », résume Tahar Rahim, méconnaissable en junkie infecté. Trop bonne, justement.

Ce dernier en est la principale victime. Infecté et accro, il ne tient plus vraiment à sa vie. Alors pourquoi sa sœur tient-elle autant à le garder debout ? À ce stade, ses efforts relèvent presque de l’acharnement thérapeutique – une thématique sous-jacente dans l’intrigue.

Car dire au revoir est bien trop difficile. ALPHA, c’est aussi cela : la douleur de laisser partir. Pour ce faire, la cinéaste fait coïncider deux chronologies. Des temporalités qui s’entremêlent, où les vivants croisent les fantômes du passé. Il est toutefois difficile de distinguer ces deux périodes, si ce n’est grâce à l’étalonnage (et les cheveux plus ou moins bouclés de Golshifteh Farahani).

Avec ALPHA, Julia Ducournau livre son œuvre la plus sensible, mais aussi la plus dense. Les férus d’horreur y verront un simple film d’épidémie, là où les autres y trouveront de nombreux fils à tirer. Et quitteront la salle avec l’envie d’y revenir, pour s’imaginer de nouvelles interprétations.

Lisa FAROU

Auteur·rice

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