Voyager est un mélange d’excitation et de stress permanent. Dans le cas de l’avion, l’équilibre penche d’un côté ou de l’autre selon qui nous sommes. Dans BORDER LINE, il n’y qu’un seul choix possible car lorsque nous sommes un latino-américain souhaitant déménager dans l’Amérique de Donald Trump, l’anxiété ne peut que prendre le pas sur la joie.
Un mur plus difficile à passer pour certains
Les étrangers ont la vie dure aux États-Unis, du moins certains d’entre eux. La difficulté que la plupart ont à entrer sur le territoire américain est le symptôme de cette xénophobie ambiante. Dans le métrage, cela est visible dans la salle d’attente où seulement des minorités ne venant pas d’Europe sont présentes. Le plus terrible dans cette histoire est que ce sont des membres de ces mêmes communautés oppressées qui opèrent ces contrôles abusifs. Néanmoins, bien que cela soit être déplorable, nous ne pouvons être surpris. Le métrage lui-même annonce la couleur via un extrait radiophonique parlant de Donald Trump et de sa volonté de construire un mur à la frontière entre les États-Unis et le Mexique. BORDER LINE est ainsi profondément engagé et, pour transmettre son message, doit nous mettre au plus proche de ce problème.
Même langue, mais un traitement différent
Dans BORDER LINE, nous suivons un couple hispanique faisant face à un mur invisible qui les empêche de vivre le rêve américain. Toutefois, seulement un des deux est « problématique ». En effet, Elena (Bruna Cusi) est espagnole et donc n’a rien à se reprocher. À l’inverse, Diego (Alberto Ammann), son compagnon, est vénézuélien et pose donc injustement problème. Il est alors intéressant de voir la différence de comportement entre les deux personnages. La femme a davantage de répondant et est plus apte à dire la vérité, au contraire de l’homme qui est précautionneux et tend à mentir. Le film s’articule d’ailleurs sur cette dynamique, les enquêteurs utilisant « l’innocence » d’Elena pour faire tomber Diego. Cela reste malgré tout une technique vicieuse digne d’un interrogatoire de police plutôt qu’à un contrôle de routine.
Une garde à vue frontalière
BORDER LINE est un voyage droit vers quatre murs. C’est un huis clos anxiogène dont nous ne sortons jamais. Le début fait exception avec un départ purement fictionnel, notamment avec l’utilisation d’une musique extradiégétique. La réalité va pourtant bien rattraper le couple dès leur arrivée dans l’aéroport américain via une contre-plongée qui les bloque contre le plafond, un plan montrant symboliquement qu’ils ne vont plus décoller. Les deux personnages sont alors plongés dans un interrogatoire d’une heure où ils ne sont aucunement ménagés. Le couple n’a plus le contrôle du rythme, les enquêteurs imposant le leur sur la réalisation et le montage. Nous passons en revue toutes les étapes d’un interrogatoire avec en particulier l’inspectrice hispanophone – censée être empathique – qui utilise le retour à l’anglais pour briser une possible proximité, ou le classique « good cop / bad cop ». La pression se ressert alors sur le couple au même titre que le cadre sur leurs visages. Les codes du film policier interviennent là où ils ne devraient pas être dépassant ainsi le cadre d’un changement de vie pour aller dans l’intime.
Anatomie d’un couple
Plus qu’une œuvre sur deux expatriés, c’est un film sur un homme et une femme. BORDER LINE met à nu, et de force, la vie d’un couple. Le voyage se faisant à deux, il faut que les deux parties soient sur la même longueur d’onde pour ne pas avoir de futur remords. Les enquêteurs axent ainsi leurs attaquent sur ça dans une séance de thérapie mettant à mal les deux protagonistes. Le film dévoile alors progressivement leur séparation. Filmés côte à côte, ils vont s’éloigner au fil de l’interrogatoire. Le plan où l’agent Vasquez (Laura Gomez) se trouve entre les deux est très parlant, toutefois elle les interroge en même temps. Les protagonistes sont de plus en plus pris à partie, leur unicité étant cassée. La vraie rupture se fait alors lorsque est évoqué un moment particulier de la vie de Diego. La caméra change de point de vue en prenant celui d’Elena, un changement nous informant directement d’un élément capital de l’intrigue sans que la femme ne dise rien. Séparés mentalement, ils le seront alors physiquement dans un enchaînement de séquences haletantes. L’emprise des enquêteurs sur leurs esprits est totale, de même que sur le nôtre. Tout est fait pour que nous leur donnions raison, que ce soit sur la situation des personnages ou sur leur intimité. Le métrage nous emporte malignement sur le terrain de la curiosité et du jugement avant de nous y faire face dans un plan final mémorable.
Des différentes sources de stress précédemment cités, BORDER LINE en ajoute une troisième due à sa réalisation et à son montage maîtrisé. Juan Sebastian Vasquez et Alejandro Rojas nous placent dans la peau de ce couple d’expatriés, peu importe notre origine ethnique ou notre situation amoureuse.
Flavien CARRÉ