Après le succès critique et populaire du film Au revoir là-haut , que vaut COULEURS DE L’INCENDIE, seconde adaptation de la trilogie de Pierre Lemaitre ? Sous la direction de Clovis Cornillac, sans être un feu de paille, COULEURS DE L’INCENDIE ne réussira pas l’exploit de son prédécesseur.
Il faut dire que la barre était placée haute. Au revoir là-haut a brillé par son propos, sa mise en scène et sa poésie, une œuvre véritablement cinématographique où la réalisation sans faille de Dupontel était en corrélation étroite avec l’histoire, que ce soit la vision de la guerre, la santé mentale, la volonté d’aller de l’avant. Le deuxième opus de la trilogie nous propose un point de vue plus noble mais une œuvre moins spectaculaire visuellement. Captivante, sans plus.
Février 1927, suite à la mort de Marcel Pericourt, Madeleine, sa fille se voit hériter de l’empire financier qu’a bâti son père. Cérémonie durant laquelle le fils de Madeleine, Paul, va avoir un geste inattendu, lourd de conséquences pour la suite des événements. Gustave Joubert, collaborateur très proche du défunt père de Madeleine, va réussir à soutirer toute sa fortune. Face à un collaborateur avide de pouvoir, un oncle, bon à rien, et un journaliste monstrueux, la fille de Marcel Pericourt va devoir établir un plan minutieux et infaillible pour se venger.
Le début était prometteur avec une scène d’ouverture intéressante par son plan séquence et l’introduction de certains personnages. Mais le film s’engouffre dans une première partie sans saveur où tout s’enchaine sans qu’on ait le temps de ressentir une quelconque émotion, notamment lorsque Madeleine apprendra ce qu’a manigancé Gustave à son égard.
On commence vraiment à s’immerger dans l’histoire lors d’une conversation entre Madeleine et un ancien sergent-chef, Lucien Dupré, qui marquera la début de l’enquête puis de la vengeance de Mme Pericourt.
On est plongé dans le contexte de l’entre deux-guerres, où les années folles laissent place à l’incertitude face au Krach boursier et une crise économique qui va se répercuter sur une partie de l’Europe. Une époque où le patriarcat est dominant. Les hommes sont avides d’argent et de pouvoir. Les femmes sont sous-estimées et pas du tout prises au sérieux, comme un faire-valoir que l’on attribue aux hommes dans un souci de posture et de pouvoir dans la société. Seulement, l’oeuvre réussi à briser en partie ces codes en donnant une place considérable aux femmes.
Le rapport de force s’inverse entre la première et la deuxième partie du film, les femmes reprennent l’ascendant. La douleur, les larmes et la flagellation laissent place à la vengeance, la détermination et l’ingéniosité. L’atout majeur du film repose principalement sur cet aspect, brillamment mis en lumière par certains personnages et par ceux qui les incarnent.
Léonce, interprétée par Alice Isaaz, est l’un des personnages qui incarnent le plus cette renaissance. Femme qui joue sur deux tableaux tout au long du film, elle jongle entre une naïveté assurée et une habilité maîtrisée. Bien que sous l’influence de Madeleine, elle réussira à tout mettre en œuvre pour renverser son mari et parvenir à ses fins.
Solange Gallinato, interprétée par la majestueuse Fanny Ardant, renversera aussi, à sa manière, le patriarcat. Vue comme une chanteuse adoubée par le troisième Reich, donc par Adolf Hitler, elle prendra un risque remarquable lors d’une scène d’humiliation assez plaisante envers le dictateur, quitte à détruire sa propre carrière.
Mais, si ces deux protagonistes ont été plus que convaincants, le personnage principal laisse dubitatif. Bien que les motivations de Madeleine sont compréhensives et brillamment exécutées, Léa Drucker, elle, l’est moins. Son interprétation n’est pas marquante et son jeu n’est pas concluant, ce qui fait qu’on ne s’attache pas à son personnage, de la même manière que Lucien Dupré, interprété par un Clovis Cornillac sans charisme et sans saveur.
En ce qui concerne l’interprétation des « puissants », Benoit Poelvoorde et Olivier Gourmet sont vrais et attachants. D’un côté, on observe un homme imbu de sa personne, pour qui la fortune importe plus que le reste. Un homme qui est prêt à tout pour prouver au monde sa supériorité humaine et financière. Un rôle que Poelvoorde joue à merveille. De l’autre, on est pris d’un affect particulier pour Charles Pericourt (interprété par Olivier Gourmet) qui évolue dans un monde où il n’est pas à la hauteur, se laissant guider aveuglement par un homme qui n’a pas de considération pour lui. Olivier Gourmet, de part ses mimiques et sa voix, nous replonge dans l’atmosphère des années 30.
Clovis Cornillac arrive à donner du sens à certaines relations entre les personnages mais ne développe pas assez certains passages de l’œuvre écrite, qui auraient pu considérablement émouvoir le public, notamment la relation entre Paul et André Delcourt, journaliste et ancien précepteur du fils de Madeleine. Une relation qui a conduit Paul à avoir un geste tragique, mais qui n’est pas assez développée, notamment du point de vue de l’enfant, ses ressorts psychologique, sa tentative de reconstruction.
Au bout de 2h10, on assiste à une scène finale fascinante par sa mise en scène mais peu surprenante. Le jeux de regards entre Madeleine et les autres personnages montrent sa fierté d’avoir accompli sa vengeance, et montre le désemparement des puissants face au piège tendu.
Malgré une réalisation soignée et un casting majoritairement convaincant, COULEURS DE L’INCENDIE nous procure un sentiment de frustration, où certains personnages auraient gagné à être d’avantage développés, où certaines intrigues auraient mérité plus de profondeur.
Amaury Dumontet
• Réalisation : Clovis Cornillac
• Scénario : Pierre Lemaitre
• Acteurs principaux : Léa Drucker, Benoît Poelvoorde, Alice Isaaz
• Date de sortie : 9 Novembre 2022
• Durée : 2h16min