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[CRITIQUE] THE MASTER

Porté par un stratosphérique Joaquin Poenix, The Master est le film de Paul Thomas Anderson qui arrive le mieux à combiner virtuosité formelle et émotion.

La mer, bafouée par le sillage d’un bateau. Désordonnée mais cohérente, sans cesse en mutation, en mouvement. Voilà le plan inaugural de THE MASTER, le 6ème long-métrage de Paul Thomas Anderson. Un plan symbolique qui pourrait résumer à lui seul tout ce qu’est le film. Et ce qu’est Freddie, le personnage principal. Ce vétéran de la 2nde guerre mondiale, aperçu dès le plan suivant, qui doit reconstruire sa vie maintenant que le conflit est terminé. Il faut maintenant se réinventer, se (re)trouver.

THE MASTER est un film sur l’errance. Les 20 premières minutes, brillantes, se ponctuent sans cesse de fuites, comme un éternel recommencement. On cerne assez vite à quel personnage nous sommes confrontés avec Freddie. Une sorte de fou imprévisible, travaillé intérieurement par un mal-être insondable, qui va rencontrer son maître. Ce duo de figures maître/élève, Paul Thomas Anderson l’a déjà potassé auparavant dans sa filmographie (Hard Eight et Boogie Nights). Freddie a tout du personnage typiquement andersonien. Il est seul, sans famille, sans attache, rongé par une inquiétude existentielle. C’est parce qu’il est seul qu’il y a la place pour un maître, destiné à devenir sa famille de substitution. On se souvient de Boogie Nights, où Eddie s’émancipait d’une famille dans laquelle il n’avait pas sa place pour trouver en Jack un père de substitution qui lui convenait. Dans la construction des personnages, on peut dire clairement que THE MASTER est le film qui se rapproche le plus de Boogie Nights.

Passé ce point de comparaison, THE MASTER repose sur une autre dynamique que celle du deuxième essai de Paul Thomas Anderson. La mise en scène est désormais plus posée, plus composée, moins abondante en mouvements de caméra spectaculaires. Un virage déjà amorcé avec le somptueux There Will Be Blood. On sent que son cinéma a pris une autre dimension avec ces deux films, il gagne en épaisseur sur l’écriture et l’efficacité, tout en continuant d’embrasser l’ambition qui le caractérise dans la conception de ses projets. On a l’impression que depuis Boogie Nights, et en exceptant Punch Drunk Love, il tente de faire son grand film l’inscrivant au panthéon des auteurs importants du cinéma américain. Voilà pourquoi il enchaîne deux sujets de suite mettant en scène des moments importants de l’histoire américaine. THE MASTER dispose d’un cachet visuel fort séduisant, de par la lumière mais aussi la reconstitution parfaitement réussie. Paul Thomas Anderson se rapproche de ses personnages, en fait moins de caisses pour épater la galerie (ce qui fait de Magnolia son film le plus indigent, à mon humble avis) tout en arrivant à constituer un paquet de plans d’une précision diabolique qui reste dans la rétine. L’occasion de dire merci au 70mm et au chef opérateur Mihai Malaimare Jr, deux grands acteurs de la réussite visuelle.

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Passé ce délice visuel, ce qui nous reste c’est évidemment le duel Joaquin Phoenix/ Philip Seymour Hoffman. Cette scène, en champ-contrechamp seulement (et le « seulement » n’est pas péjoratif), durant laquelle Lancaster demande à Freddie de lui répondre sans cligner des yeux est un moment de cinéma absolument jouissif, où deux monstres de charisme transcendent l’instant. La scène est d’autant plus magnifique qu’elle est montée en parallèle avec un flashback, permettant aux spectateurs d’appréhender Freddie comme autre chose qu’un simple rigolo un peu dingue. Phoenix incarne à la perfection cet homme imprévisible, son cabotinage que certains pourraient trouver encombrant agit en parfaite adéquation avec le caractère de celui qu’il incarne. Du pathétique touchant se cache sous son air simplet. Cet aspect caractérise bon nombre de personnages andersonien déjà vu dans d’autres films auparavant (Dirk Diggler et Little Bill dans Boogie Nights, John dans Hard Eight, Barry dans Punch Drunk Love). Réduire la prestation de Joaquin Phoenix à du simple cabotinage est, à mon sens, assez injuste. Il trouve, lorsque c’est nécessaire, une touchante retenue à des moments plus inscrits dans l’émotion (le dernier face à face, les flashbacks). Et la mise en scène se positionne intelligemment en retrait. Jusqu’à présent, on avait plutôt retenu Paul Thomas Anderson pour ses nombreux moments de bravoure cinématographique et c’est intéressant de le voir allier une virtuosité formelle à de l’émotion. En ce sens, THE MASTER est son film le plus accompli.

”En alliant virtuosité formelle et émotion, Paul Thomas Anderson fait de The Master son film le plus accompli.”

Le 2 février 2014, Philip Seymour Hoffman nous quitte subitement. Le choc est immense. De Boogie Nights à La 25ème Heure, en passant par La Guerre Selon Charlie Wilson et Truman Capote, il est facile de trouver un film dans lequel on a pu l’apercevoir. Au total, plus d’une quarantaine de projets en l’espace d’un peu plus de 20 ans. Dans le flot de sa filmographie, un réalisateur revient régulièrement : Paul Thomas Anderson. Le réalisateur l’a convié pour 5 de ses 7 films, où il est passé de simple apparition le temps d’une scène (Hard Eight) à rôle principal sur mesure (THE MASTER). Quelque chose s’est construit entre ces deux hommes. Une relation étroite qui a mis du temps à dévoiler sa vraie forme et dont l’issue tragique imposée par la vie fait surgir une fascinante beauté. De quoi offrir à Philip Seymour Hoffman l’occasion de vivre une vie parallèle, épisodique, dont le point d’honneur est ce THE MASTER.

Souvenez vous d’Hard Eight, dans lequel il incarnait, le temps de quelques petites minutes un jeune homme défiant Sidney dans un casino. Il était désinvolte, provocateur et, surtout, agaçant. De film en film, il a gagné un peu plus en présence tout en n’endossant jamais l’un des premiers rôles. C’est chose faite avec THE MASTER et quel rôle ! Comme si Seymour Hoffman incarnait un seul et même personnage ayant grandit au fil de la filmographie de Paul Thomas Anderson, jusqu’à atteindre sa maturité. Le metteur en scène a senti qu’il était temps de boucler la boucle. Le jeune chien fou qu’il était dans Hard Eight est désormais un vieux sage, prenant à son tour un autre chien fou sous son aile. 2 ans avant sa mort, il trouvait là son dernier grand rôle. Troublante similitude, son décès survient au moment où il est arrivé au bout de sa croissance au sein de la filmographie de Paul Thomas Anderson. Un magnifique parallèle se crée, donnant une autre dimension à ce film déjà bien riche.© Metropolitan FilmExportRiche parce qu’il ne se repose pas sur le schéma strict maître/élève mais redéfinit cette relation à mesure que le film avance, avec pour apogée une échappée dans le désert en forme d’échec pour Lancaster. Dans un travelling latéral vers la droite, Freddie l’abandonne. Ce travelling s’oppose au précédent où Lancaster filait dans un travelling vers la gauche. C’est ce même mouvement d’appareil qui ponctuait la dernière fuite de Freddie avant de rencontrer son maître… Au bout du compte, Freddie a trouvé son chemin mais pas dans le sens qu’aurait voulu Lancaster. Il prend conscience de l’entreprise complétement fausse construite par ce gourou. On soupçonne même sa femme (l’excellente Amy Adams), au détour de 2 scènes, d’être la vraie directrice de cette entreprise.

Le dernier échange entre les deux hommes est révélateur de l’imposture. « Si tu trouves un moyen de vivre sans servir un Maître, n’importe lequel, alors préviens-nous, d’accord ? Car tu seras ainsi la première personne dans l’Histoire du monde. » dit Lancaster, la voix remplie d’émotions. Un aveu explicite, ayant compris que son protégé ne restera pas avec lui. Lancaster a décidé d’être un maître pour ne pas être un soumis. Freddie s’amusera de tout ça lors de la dernière scène en reproduisant, avec une jeune femme dénudée, l’interrogatoire qu’il a subit. Non, il n’est pas fait pour être un gourou dirigeant des petits soldats. Il n’a d’ailleurs pas tant changé en 2h de film. On le retrouve aussi dragueur, aussi fou. Après avoir passé son temps à ressasser le temps perdu, cet amour impossible, il comprend qu’il n’y a pas de retour en arrière mais qu’il faut vivre ce qui va venir. Sa plus belle thérapie aura été d’apprendre que celle qu’il a aimée a décidé de vivre sa vie. A lui de vivre la sienne désormais.

Maxime Bedini

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THE MASTER
• Sortie : 9 janvier 2013
• Réalisation : Paul Thomas Anderson
• Acteurs principaux : Joaquin Phoenix, Philip Seymour Hoffman, Amy Adams
• Durée : 2h17min
The Master LBDC 31 - [CRITIQUE] THE MASTER
Titre original :The Master
Réalisation : Paul Thomas Anderson
Scénario : Paul Thomas Anderson
Acteurs principaux :Joaquin Phoenix, Philip Seymour Hoffman, Amy Adams
Date de sortie : 9 janvier2013
Durée : 2h17min
4.6

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