[dropcap size=small]P[/dropcap]our réaliser son second long-métrage (d’abord présenté sous forme de court-métrage en 2013), Damien Chazelle est parti de sa propre expérience de batteur de jazz lorsqu’il était au conservatoire. Il met ici en scène son rapport avec son professeur extrêmement exigeant, sa peur de rater, la question de l’échec et tous les efforts à endurer pour atteindre l’excellence. Avec Whiplash (coup de fouet) il fait du rapport maître/élève un véritable duel, un champ de bataille où l’élève subit les violences physiques et morales de son enseignant, avec une vision de la perfection à atteindre par la souffrance. Un film aussi surprenant qu’extrême.
Andrew (Miles Teller), 19 ans, rêve de devenir l’un des meilleurs batteurs de jazz de sa génération. Mais la concurrence est rude au conservatoire de Manhattan où il s’entraîne avec acharnement. Il a pour objectif d’intégrer le fleuron des orchestres dirigé par Terence Fletcher (J.K. Simmons), professeur féroce et intraitable. Lorsque celui-ci le repère enfin, Andrew se lance, sous sa direction, dans la quête de l’excellence…
Premier plan : la caméra avance dans un couloir sombre. Au fond, sur-encadré par les contours de la porte, un garçon joue de la batterie. La caméra poursuit sa progression vers le batteur tel un chasseur face à sa proie. Il s’agit de Terence Fletcher, l’un des professeurs du conservatoire de Manhattan. Son apparition coupe Andrew, le jeune batteur, dans son élan. Dès lors une confrontation entre les deux protagonistes principaux du film se met en place. Andrew, sous la demande et le regard de Terence, qui le manipule déjà, se remet à jouer. Montage en rythme, alternance de plans, quasiment face caméra sur chacun des deux protagonistes, une rapidité et un dynamisme qui crée un champ/contre champ particulier. L’envolée musicale s’arrête net, Terence Fletcher vient de quitter la salle. Il ne faut pas longtemps à Whiplash pour emporter le spectateur dans une vague puissante et féroce. En seulement quelques minutes magistrales, les bases viennent d’être posées.
Pour son film Damien Chazelle régale avec une mise en scène parfaitement adaptée à son sujet. Whiplash suit donc le parcours d’Andrew et son rêve est de devenir le meilleur batteur de jazz de sa génération. Le réalisateur utilise des procédés simples comme une légère contre-plongée sur Terence, ce qui insiste sur la domination de ce dernier sur Andrew. Lui reste en plongée, assis sur son siège de batterie et soumis à des situations d’enfermement (encadrement de la première scène, forme arrondie de son instrument). Car malgré ce que pouvait laisser penser la scène d’introduction Andrew démarre au niveau le plus bas. Il officie comme batteur remplaçant, souvent limité à devoir tourner les pages du titulaire de l’orchestre de première année. Lorsque Terence Fletcher le repère et le fait rejoindre son orchestre il est loin d’avoir gagné sa place. Whiplash développe un discours surprenant, où seul le travail acharné permet d’aller au-delà de l’excellence. A plusieurs reprise l’exemple du saxophoniste réputé Charlie Parker est cité : après une humiliation il travailla comme un acharné avant de devenir l’un des plus grands saxophonistes de l’histoire du jazz.
”Whiplash s’impose clairement comme l’un des meilleurs films réalisé sur la musique”
L’humiliation semble donc être un outil de motivation adéquat. C’est en tout cas ce qu’a décidé d’appliquer Terence Fletcher avec ses élèves. J.K. Simmons, qui l’interprète avec brio, se révèle un professeur tyrannique, vicieux et insultant. Fletcher pousse ses élèves à bout, jusqu’à l’épuisement, voire pire. Et c’est ce qu’il y a de vraiment fascinant dans le film. Car aucun élève ne veut abandonner. En cela ils ont eux-mêmes, une part de folie (responsabilité ?) puisqu’ils sont prêts à endurer les pires atrocités de leur professeur. Ce dernier en profite et se montre sous deux visages. Parfois sympathique et à l’écoute, il ne fait que manipuler pour pouvoir utiliser les faiblesses d’Andrew, toujours dans le but de l’amener à se transcender. L’ambiance pesante se répand jusqu’au spectateur qui étouffe autant qu’Andrew. Un effet produit notamment par l’échelle de plan (quantité de gros plans), le décors global (une grande partie du film se passe lors des répétitions au sein d’un des studios de l’école), et les couleurs sombres et boiseuses (noir, marron, jaune pale).
En face de J.K. Simmons il y a Miles Teller, également incroyable et métamorphosé. Le jeune acteur fait évoluer son personnage à travers son corps. Souvent courbé, il se renferme et se replie sur lui-même. La douleur physique et morale est visible sur son visage qui porte des cicatrices et ses mains en sang. Evidemment il faudra attendre la dernière séquence pour voir le duel entre les deux protagonistes avoir lieu. Une dernière séquence déchaînée qui laisse sans voix. Elle fait d’ailleurs écho à la première scène. Pendant qu’Andrew joue, Terrence officie en chef d’orchestre. Désormais le champ/contre champ n’est plus rythmé par des coupures. L’ensemble est lié par un mouvement panoramique de la caméra qui passe d’un personnage à l’autre. Comme un combat de boxe chacun porte les coups à sa manière. La tension est à son comble tandis qu’on se demande si l’un des deux finira par craquer. Whiplash se transforme en un film d’action. La dernière partie du film fait office de bataille finale avec son lot de rebondissements et de surprises. Le tout, toujours rythmé et accompagné par des musiques entraînantes et virtuoses, des compositions de jazz, avec lesquelles la mise en scène de Chazelle se cale parfaitement.
Whiplash s’impose clairement comme l’un des meilleurs films réalisé sur la musique. Damien Chazelle parvient à nous emmener sur un terrain loin d’être le plus abordable. Le jazz n’est pas le style musical le plus populaire. Il le rend parfaitement accessible avec des titres comme Whiplash d’Hank Levy, compositeur notamment pour les big bands de Stan Kenton et Don Ellis, et Caravan composé par Juan Tizol et rendu célèbre avec diverses interprétations par le Duke Ellington’s Orchestra. Le réalisateur va jusqu’à nous faire vibrer sur ce son endiablé parfaitement maîtrisé.
Evidemment Whiplash évoque Full Metal Jacket (Stanley Kubrick, 1987). Fletcher rappelle dans son attitude et la mise en scène le sergent-instructeur Hartman (Lee Ermey) et l’humiliation qu’il fait subir à une section de Marines durant la guerre du Viêt Nam. Comme dans le chef d’œuvre de Kubrick il y a l’indignation devant l’attitude de celui au pouvoir. Mais en acceptant de se soumette à lui, les élèves ne reçoivent pas pour autant notre compassion. Damien Chazelle ne fait pas pour autant une glorification de cette méthode, en atteste la rébellion d’Andrew qui se défait du joug de son instructeur et l’avenir tout de même indéterminé de ce dernier.
Les autres sorties du 24 décembre
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– CRITIQUE
– 3 PARODIES de WHIPLASH
• Titre original : Whiplash
• Réalisation : Damien Chazelle
• Scénario : Damien Chazelle
• Acteurs principaux : Miles Teller, J.K. Simmons, Melissa Benoist
• Pays d’origine : U.S.A.
• Sortie : 24 décembre 2014
• Durée : 1h45min
• Distributeur : Ad Vitam
• Synopsis : Andrew, 19 ans, rêve de devenir l’un des meilleurs batteurs de jazz de sa génération. Mais la concurrence est rude au conservatoire de Manhattan où il s’entraîne avec acharnement. Il a pour objectif d’intégrer le fleuron des orchestres dirigé par Terence Fletcher, professeur féroce et intraitable. Lorsque celui-ci le repère enfin, Andrew se lance, sous sa direction, dans la quête de l’excellence…[/column]
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