Au XVIème siècle, un alchimiste met au point un mécanisme conférant l’immortalité. Plus de 400 ans après, Jesús Gris, un vieil antiquaire, découvre par hasard le mystérieux objet et en devient la victime. Car la vie éternelle a un prix : sa propre humanité.
Un mélodrame horrifique. CRONOS, le tout premier film de Guillermo del Toro, annonçait déjà la couleur. Réalisé en 1993, il y distillait toutes ses obsessions : les créatures nées d’effets pratiques, la figure paternelle, et surtout, une réflexion sur la mort… En cette fin février, les Films du Camélia offre au public français l’opportunité de découvrir ou redécouvrir ce chef-d’œuvre dans une version restaurée en 4K, sur grand écran.
Cronos, un conte moderne
Guillermo del Toro n’a que 28 ans lorsqu’il donne vie à CRONOS. Le format du conte, qui lui est si cher, est déjà là. À commencer par la voix off qui ouvre le film, marqueur évident du genre : « En 1536, fuyant l’Inquisition, l’alchimiste Huberto Fulcanelli débarqua à Veracruz, au Mexique. » Efficace, oui, car elle présente d’emblée l’horloge de Cronos. Mais cette voix fait bien plus que poser le décor, c’est aussi elle qui nous plonge, dès les premières minutes, dans un univers aussi fantasque qu’intrigant. Avec le Mexique pour cadre – la seule fois où le réalisateur tournera sur sa terre natale.
L’épouvante s’invite insidieusement dans le quotidien rangé de ce vieil antiquaire (Federico Luppi), bousculant peu à peu sa réalité. Cette puissance nouvelle affecte jusqu’à son apparence. Adieu la moustache soignée et le nœud papillon, place à un vissage lisse, aux rides dissipées, et aux chemises légèrement déboutonnées. Dans cet élan de jeunesse, l’homme retrouve aussi son appétit sexuel, ce qui n’est pas pour déplaire à sa compagne !
L’immortalité ? Quelle horreur !
Jesús Gris est un homme nouveau. S’il se réjouit d’abord de cette seconde jeunesse, il réalise vite son attrait… pour le sang humain. D’abord horrifié, notre antiquaire finit par céder à la tentation, lors d’une scène d’anthologie dans les toilettes d’une salle des fêtes. À même le sol, le vieillard savoure le goût ferreux du liquide étalé sur le carrelage.
Le changement s’opère sous les yeux de sa petite-fille, Aurora. Une enfant mutique, qui voit les effets néfastes sur celui qu’elle aime. Les rôles s’inversent : celui qui la portait autrefois sur ses genoux a besoin d’aide. C’est à la petite Aurora qu’incombe cette lourde tâche. À défaut de mots, elle tente de sauver son grand-père par les gestes. Comme lorsqu’elle dérobe le scarabée et le dissimule dans le rembourrage d’une peluche, seule cachette à laquelle pense son esprit d’enfant.
C’est dans ces scènes que Guillermo del Toro retrouve l’essence du mélodrame : la poésie dans l’horreur, la douceur dans l’épouvante… À nouveau, les prémices d’un cinéma fantastique marqué par la beauté.
Le goût du fait main
Jesús n’a jamais voulu de cette immortalité. Mais comment résister face à un tel objet ? Ce scarabée doré a de quoi fasciner. Sa forme de galet, tenant parfaitement dans le creux de la main ; ses pattes de fer, s’accrochant à la peau sans pouvoir les détacher ; le dard de fer qui injecte une mystérieuse substance…
Guillermo del Toro donne vie à l’horloge de Cronos, faisant d’elle un personnage à part entière. À travers plusieurs plans, del Toro plonge le spectateur dans le mécanisme de l’horloge, rendant cet objet presque vivant. Son amour du fait main est palpable, contribuant à l’immersion dans cette réalité fantastique. Idem pour le maquillage arboré par notre protagoniste, tandis que son état se dégrade. Quoique la blancheur de cette peau marbrée soit trop évidente, renvoyant à la matérialité de son cinéma.
À travers la lente transformation de Jesús Gris, Guillermo del Toro rappelle que l’immortalité relève de la malédiction plutôt que du sublime présent. Vivre longtemps, certes, mais à quel prix si, au bout du compte, il ne nous reste plus rien d’humain ?
Lisa FAROU