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LA VIE D’ADÈLE – CHAPITRES 1 ET 2, fusion des corps – Critique

Apparemment, beaucoup de personnes sont intéressés par ce film. Mais quand ils reçoivent l’information d’une scène de sexe d’une dizaine de minutes, ils reculent de plusieurs pas.

En effet, LA VIE D’ADÈLE est avant tout un film d’amour avant d’être un film sur la vie. Abdellatif Kechiche capture quelques instants de vie, pour mieux développer une histoire d’amour frissonnante. Attention, la forme peut aussi vous rebuter. Presque trois heures de gros plans, ça peut lasser.

Il serait bien mince de seulement dire qu’on voit Adèle Exarchopoulos dans tous les plans. Car le film est vu à travers elle. De là, l’objectif d’un tel film est que le spectateur s’identifie à ce personnage d’Adèle. Et que le spectateur prenne un plus conscience de sa vie, de ce qui l’entoure, grâce à ce film. Dans le fond, Abdellatif Kechiche nous offre la vie. Il nous emmène dans une ballade sauvage de la vie : autant par sa cruauté que par ses joies. Il y a une telle rigueur à ce niveau d’enjeu, que le réalisateur français se met en mode démonstratif.

Une démonstration qui a ses limites. Car à trop vouloir se porter sur le réalisme, Abdellatif Kechiche cherche le réel. Il ne faudrait pas oublier que, comme le disait Christian Metz, le réel est impénétrable. Dès lors qu’on veut le retranscrire, il est soumis à une perception subjective. Et devient donc une forme de réalité. De là, le spectateur ne peut être impliqué. Bien que le soucis de réalisme soit bien fascinant, le spectateur n’entre pas dans l’univers d’Adèle. Car cet univers n’est autre qu’une copie, presque transparente, de celui qu’on connait déjà. Alors, où le spectateur doit-il se placer dans cet univers ?

Tout le problème de la réalisation de Kechiche vient de son découpage. Malheur à ceux qui disaient « 3 heures de gros plan ». Il y en a beaucoup, très souvent, mais il n’en ai rien d’inappréciable. Le seul défaut qui en ressort, c’est le manque de relief. Dit comme ça, on pourrait répondre qu’on s’en tape quand il s’agit de capturer l’intensité d’une personnalité. Mais voilà, à vouloir côtoyer le réel, le cinéaste français oublie ce qui entoure ses personnages. Car l’amour est certes intérieur, provient du coeur, mais la vie est aussi extérieure. La vie ne se compose pas que du coeur et de la psychologie d’un être, tout l’espace autour et sa composition aident à construire une vie.

Ce que Kechiche filme, ce n’est pas tant la vie ou l’amour anecdotique : c’est la fusion des corps, c’est l’essence du quotidien, entre la réalité et le réel.

C’est cette manière de flouter automatiquement l’arrière-plan dans un gros plan, qui ne permet pas à Kechiche de prendre la vie de façon plus frontale. Et ainsi de ne soumettre qu’une réalité de plus, où le toucher du réel devient dangereux. Il faut se rassurer, les gros plans ont tout de même leur avantage. Car Kechiche n’est pas un cinéaste de pacotille, il sait ce qu’il fait. Il sait qu’avec ses multiples gros plans (mais également beaucoup de plans rapprochés, c’est important), il va devenir l’architecte de ses personnages. Aussi bien dans l’esprit que dans le coeur. Le réalisateur, notamment par sa scène de sexe d’une dizaine de minutes, sculpte les corps de ses actrices.

De ce fait, le réalisateur ne capte pas l’amour nominatif. Il va en profondeur des choses. Il passe par tous les états que ce sentiment peut provoquer. Nous pouvons faire l’apologie des scènes de repas (avec ces succulents spaghettis bolognaises), tant la manière dont Kechiche s’en rapproche relève du plaisir. Car l’amour relève aussi du plaisir. C’est un désir, un fantasme, une joie, un instant de paix, un instant de sensualité. Le film en regorge : sensorialité au point que la vie d’Adèle défile comme un ballon rouge qui monte vers la ciel. Ca connait la pluie, l’orage, le beau temps, la neige, la grêle, les tempêtes. Bien que le film se déroule toujours au soleil (on ne s’y attardera pas, trop anecdotique), l’ambiance est aux obstacles.

C’est avec le ton de la sensorialité que le film avancera. Kechiche s’en servira aussi au montage. Il y a une justesse, une précision dans l’enchaînement des plans, que le film en devient plus facile. Quand le film passe d’un pique-nique, à un baiser, pour finir sur une scène de sexe : c’est pour mieux créer l’illusion du fantasme, pour mieux déclarer la netteté de l’amour qu’il explore. Enfin, le montage rendra un grand service au réalisateur. Quand on repense aux travellings que contient le film, comme avec le plan final, il y a cette errance du personnage d’Adèle qui apparait. A partir de là, cette errance se conjugue dans l’évolution. On se cherche, on se trouve, on se détruit, on se re-cherche, etc… Et cetera puisque le film nous laisse dans la confusion la plus totale. Kechiche pose des questions, explore, mais le dénouement ne répond pas à la bataille bonheur/malheur de la vie.

Là où le film touche au plus près de la vie, c’est dans cette expérience. A chaque fois, Abdellatif Kechiche cherche à aller au devant des choses. Même si la frontalité, avec plus de relief, aurait été plus en l’avantage du film, il y a cette fonction de l’art que l’on aime. Avec ce film, Kechiche nous prouve que l’art est encore le message de la vie, et de l’amour. Ce que Kechiche filme, ce n’est pas tant la vie ou l’amour anecdotique : c’est la fusion des corps, c’est l’essence du quotidien.

Teddy Devisme

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Norgaard
Norgaard
Invité.e
11 novembre 2013 21 h 44 min

Je suis assez étonné du peu d’analyses sur ce film reconnaissant la nature sociale fondamentale de la chose … une des clés de lecture la plus intéressante me paraît être la distance sociale entre deux mondes, finalement irréconciliable malgré l’histoire d’amour fusionnelle. Est-ce parce que la lutte des classes n’est plus à la mode ? Kechiche le revendique pourtant.

Norgaard
Norgaard
Invité.e
11 novembre 2013 22 h 44 min

Je suis assez étonné du peu d’analyses sur ce film reconnaissant la nature sociale fondamentale de la chose … une des clés de lecture la plus intéressante me paraît être la distance sociale entre deux mondes, finalement irréconciliable malgré l’histoire d’amour fusionnelle. Est-ce parce que la lutte des classes n’est plus à la mode ? Kechiche le revendique pourtant.

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