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LE FILS UNIQUE, l’entrée d’Ozu dans le cinéma parlant – Critique

Tsume, une paysanne qui donne tout pour que son enfant Ryosuke puisse profiter d’une bonne éducation à Tokyo. 10 ans plus tard, elle décide de lui rendre visite.

Ozu, un réalisateur primordial

Yasujirō Ozu est un cinéaste majeur au Japon mais également à l’international, fort d’une filmographie aux thèmes récurrents et inhérents à la société japonaise de son époque. Sa période d’activité s’étale sur trois décennies de la fin des années 20 avec Le Sabre de pénitence (1927), au début des années 60 avec Le Goût du Saké (1962), en passant par des films aujourd’hui considérés comme incontournables tels que Bonjour (1959) ou Voyage à Tokyo (1953). À travers ces différents films il dépeint la société japonaise, ses déviances, ses traditions, ses codes figés qui se confrontent à une mondialisation d’après guerre fracassante.

Tsune, modeste fileuse de soie, va sous l’influence d’un jeune professeur (Chishū Ryū, qui deviendra un acteur récurrent chez Ozu), dévouer et sacrifier son existence pour que son fils Ryosuke puisse aller au lycée et faire des études supérieures afin qu’il puisse se faire une place de choix dans la société. Malgré ce sacrifice, son fils va se confronter à la dure réalité, à un monde du travail sans pitié qui ne laisse que très peu de place aux gens comme lui dans un Japon d’avant-guerre dans lequel l’industrialisation est en pleine expansion.
Cet échec relatif de Ryosuke va frapper Tsune de plein fouet lorsqu’elle se rendra par surprise à Tokyo des années plus tard pour rendre visite à son fils. Ryosuke n’est alors qu’un petit professeur qui vit de façon très modeste, il est marié et vient d’avoir un enfant.

Photo du film LE FILS UNIQUE
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Cinéma parlant et thèmes récurrents

LE FILS UNIQUE est un film majeur de la monstrueuse filmographie de Ozu. En effet il signe une transition relativement tardive vers le cinéma parlant. C’est également un film important chez Ozu car on va retrouver dans ce film les thèmes majeurs qui vont alimenter son cinéma par la suite : l’enfance, l’étouffante importance de l’image sociale, le mariage, le choc des générations et l’industrialisation du Japon qui oppose ruralité et urbanisation explosive.

Une des thèmes centraux de LE FILS UNIQUE est celui des transfuges de classe, qui dénote de l’importance du statut social et de la perception qu’en ont les autres. On n’agit ni ne pense pour soi mais par rapport aux autres et à leur perception. L’importance du regard des autres sur la « normalité » et la réussite d’une famille est centrale chez Ozu, on la retrouvera par exemple dans Le Goût du saké où le père, cadre dans une entreprise industrielle, va se rendre compte qu’il est grand temps de marier sa fille suite à une discussion avec ses collègues.
Signe d’une société japonaise conformiste, hiérarchique et traditionaliste au sein de laquelle la réussite professionnelle et le mariage sont primordiaux et où les fantaisies sont pointées du doigt. Ce traditionalisme institutionnalisé sera un élément clef du cinéma d’Ozu.

Photo du film LE FILS UNIQUE
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Des enjeux universels et intemporels

Toutefois, malgré une représentation qui prend uniquement place au Japon, les enjeux semblent universels et intemporels. La question des transfuges de classe obsède le cinéma et la littérature partout à travers le monde, la centralisation des activités économiques au sein des capitales se fait également ressentir mondialement dans les sociétés occidentales et notamment en France.
On peut notamment penser au rêve américain, omniprésent dans le cinéma américain et notamment dans un des films mythiques de King Vidor, La foule (1928) ou encore aux œuvres d’Annie Ernaux ou de Didier Eribon pour la littérature.

Ozu va impliquer le spectateur directement à l’intérieur de cette cellule familiale grâce à une réalisation pudique, une caméra qui bouge peu, des cadres à hauteur de tatami et une utilisation timide des dialogues. Pour son premier film parlant, il n’hésite pas à utiliser le silence et les bruits hors champs comme des éléments majeurs de sa narration. Les émotions passent alors à travers les sourires gênés de la mère et du fils, ce qui semble être leur seul moyen de communication pour cacher le drame d’une vie.
On entre en empathie d’une part avec Tsune qui après avoir vendu sa maison, ses terres, mis de côté son existence et accepter des conditions de vie miséreuse se retrouve confrontée à son fils qui ne semble pas répondre à ses espérances et qui semble avoir perdu tout envie d’évoluer.
Mais on est également touché par Ryosuke, qui subit la pression du sacrifice de sa mère. Ce n’est qu’avec un geste de pure bonté de Ryosuke que Tsune va pouvoir prendre du recul par rapport à ses attentes, se détacher de cette vision conformiste et se rendre compte que la réussite professionnelle n’est pas le seul facteur de réussite dans la vie d’un homme.

C’est une histoire profondément humaine à laquelle tout le monde peut s’identifier qui soulève la question de l’importance mais surtout du poids de l’héritage pour l’enfant et du sacrifice pour les parents. À travers une représentation très juste d’un réalisme social acerbe, Ozu cherche à questionner le spectateur sur son propre rapport aux différents thèmes abordés, tout en s’éloignant d’un misérabilisme qui pourrait très vite devenir insupportable. LE FILS UNIQUE est annonciateur de l’œuvre colossale de Yasujirō Ozu.

Hugues PORQUIER

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Titre original : Hitori musuko
Réalisation : Yasujirô Ozu
Scénario : Yasujirô Ozu, Tadao Ikeda
Acteurs principaux : Chôko Iida, Shin'ichi Himori, Masao Hayama
Date de sortie : 15 septembre 1936
Durée : 1h27min
4.5

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