Vous n’en avez probablement pas entendu parler, et pourtant, la merveilleuse série TED LASSO a fait son retour sur Apple TV+ avec sa saison 3 il y a quelques semaines. Et ça tombe bien, car c’était l’occasion qu’attendait ce papier pour sortir du banc et rentrer sur le terrain. Car depuis un moment, l’envie de rendre hommage à cette création bien plus belle et importante qu’il n’y parait était là, tant rares sont les récits optimistes de nos jours, et d’autant plus ceux intelligents et véritablement réussis. Et si la deuxième et la troisième fournées ne sont incontestablement pas au niveau de la première, apparue en 2020, l’occasion est toute trouvée pour rappeler à quel point cette série est une perle. Lettre d’amour à une merveille d’humanité.
Les apparences…
TED LASSO, c’est l’histoire d’un coach de football américain moustachu et excentrique qui débarque en Angleterre pour entraîner une équipe de football alors qu’il n’a jamais fait ça. Créé à la base seulement pour un sketch, la série humoristique Apple est devenue très appréciée. Une création que son genre, son format ou encore ses thématiques auraient pu facilement entraîner vers la facilité. Mais il n’a fallu que quelques instants à Ted Lasso – la série comme le personnage – pour immédiatement tout emporter avec un humour, une agilité et une intelligence remarquables. Car soyons pour être aussi francs et spontanés que ce coach inimitable à l’accent pas possible : personne n’aurait vraiment cru que ce qui était à la base un simple sketch puisse devenir une des plus belles séries apparues ces dernières années voire tout simplement une vraie petite merveille.
« Pour moi, le succès n’est pas à propos de victoires ou de défaites. Mais de combien de ses joueurs seront capables d’atteindre la meilleure version d’eux-mêmes sur le terrain et en dehors ».
Ted Lasso
Mais à ceux qui sont déjà en train de se dire qu’ils n’en ont rien à faire du sport où des jeunes frimeurs sont bien trop payés pour « taper dans un ballon », attendez vous à une bien belle surprise car ce n’est pas le cas.
Si TED LASSO nous plonge pourtant bel et bien dans le quotidien d’un entraîneur de football américain tout droit venu du fin fond du Kansas avec son bras droit (coach Beard !) pour venir entraîner une équipe de football chez nos amis Anglais, ce n’est pas ce qui se passe sur le terrain qui intéresse en priorité les scénaristes Bill Lawrence (créateur de plusieurs sitcoms dont Scrubs), Sudeikis, Brendan Hunt (interprète du coach Beard) et Joe Kelly. Véritable show choral, la série s’attèle en fait à suivre toute une galerie de personnages tous plus irrésistibles les uns que les autres essayer d’évoluer, grandir, s’entraider et surmonter leurs peurs. Et inutile de tourner autour du pot : TED LASSO réussit ça instantanément et brillamment. Pourtant elle aurait pu se diriger facilement vers les situations attendues qui lui tendaient les bras, notamment celle vue et revue du choc culturel ou celle des clichés sur les footballeurs. Sauf que comme nous le décrit la vidéo mentionnée plus bas dans l’article, contrairement à d’autres œuvres, TED LASSO surprend à chaque seconde dans sa capacité à toujours rester aussi drôle que brillante sans tomber dans la mièvrerie – mis à part quelques écarts moins inspirés, notamment dans la saison 3.
Alors que le protagoniste évoque en premier lieu juste un simplet à la personnalité enfantine, une sorte de Mr Bean au débit de parole impressionnant, la surprise qui attend le spectateur autant que les personnages n’en est que plus grande, celui-ci rappelant quelque chose d’aussi simple que véridique à mesure qu’il illumine le monde dans lequel il débarque: il ne faut jamais se fier aux apparences. Car alors qu’on pense être en présence d’une histoire uniquement humoristique, une histoire exclusivement comique, Apple TV+ ne tarde pas à continuer de montrer qu’elle est une des meilleures plateformes et pourquoi sa création footballistique est là: transcender son genre, son format et son sujet et devenir plus qu’un simple divertissement. Et en particulier grâce à ses personnages.
Ted Lasso, philosophe et psychologue
Car ce sont les péripéties, les expériences ou encore les doutes, les victoires et les échecs de l’équipe et des dirigeants qui sont dépeints au milieu des murs du club, avec en premier lieu l’inimitable et déjà légendaire Ted Lasso. Protagoniste né à la base pour les besoins d’un sketch sur NBC en 2013, les scénaristes ont poussé le concept pour le faire mener une série. Lasso, merveilleusement interprété par Jason Sudeikis (qui n’a pas volé son Emmy et trouve là peut-être le meilleur rôle de sa carrière), est un curieux mélange d’optimisme, d’excentricité, d’humour ou encore d’énergie et se révèle être un trésor d’humanité alors qu’on nous le présente au départ comme un type sympathique mais aussi un potentiel couillon. Un imbécile heureux. À première vue. Mais, comme absolument tous les autres, le bonhomme se révèlera bien plus profond qu’il n’y paraît, dispersant sa vision des choses unique jusqu’à inspirer et faire grandir tout le monde, grâce à une écriture soignée, maitrisant remarquablement le dosage entre humour et drama.
Car Ted Lasso, autant coach que blagueur et philosophe, est un éternel optimiste, et la série aussi. Évoluant toujours en majorité selon un ton léger, le show divertit constamment, et le fait sacrément bien, avec une énergie et une sincérité à même de donner le sourire au plus grincheux des pessimistes. Grâce à une direction scénaristique rarement presque toujours inspirée et à chaque instant prête à surprendre et étonner, ou un tempo et un montages rarement pris en défaut, le show surprend constamment et bénéficie d’un ton, d’un style et d’un rythme imparables, à mesure que ces créateurs pourtant tous américains déploient un beau regard sur leur univers anglais. Il était prévisible que Lasso serait bien plus intelligent que ce que tous les autres croient au départ, pourtant la série ne s’essouffle pas et continue son parcours avec élégance. Et le plus impressionnant est à chercher du côté de ce qu’elle fait de son sujet et de ces êtres qu’on aurait jamais cru si humains, attachants, drôles ou touchants.
« J’ai décidé de ne plus jamais recroiser le chemin de quelqu’un sans me demander s’il ne souffrait pas au fond de lui. »
Ted Lasso
Une belle bande de vainqueurs
C’est donc là que la série peut atteindre des niveaux scénaristiques ou thématiques supérieurs. Loin de se complaire dans son pourtant confortable format qui la rendrait facile à regarder (une dizaine d’épisodes de 30min environ), elle s’attache à explorer les existences de personnages différents et tous incroyablement bien castés et écrits (on croirait les interprètes des joueurs directement issus du milieu du ballon rond et non de l’acting tellement chacun est évident, parole d’ancien footballeur). De la femme vaniteuse et autoritaire au bourrin qui grogne et fronce les sourcils en passant par le gros frimeur insupportable comme seul le monde du foot est capable d’en créer, TED LASSO embrasse d’abord les stéréotypes avec humour avant ensuite de les retourner, les redéfinir et les approfondir avec une grande intelligence (mention particulière à l’irrésistible scène où toute l’équipe se met à pleurer devant Le Géant de Fer). On se réjouit alors de se mettre à adorer chacun d’entre eux, pour leurs qualités comme leurs défauts, à mesure que l’écriture transmet de beaux messages sur le collectif ou la bienveillance donc, mais aussi la virilité, le rapport à la célébrité, le monde du travail ou encore la santé mentale avec le remarquable équilibre entre humour et sérieux propre au show.
Voir ces magnifiques et attachants personnages se densifier et interagir entre eux au fil des épisodes se révèle irrésistible et confère à la série une superbe humanité alors que tout ce beau monde avance ensemble, y compris ceux d’habitude oubliés par les clichés d’écriture ou la société. Les simples intendants dévoilent des couches inattendues, les assistants se révèlent, les soi-disant potiches surprennent comme des perles rares et la série de s’affirmer comme un terreau fertile pour retrouver des valeurs qu’on a tendance à oublier… Rares sont les œuvres humoristiques au format court à essayer – déjà –puis ensuite réussir autant à rendre ses histoires aussi divertissantes que profondes et TED LASSO est suffisamment bien écrite qu’elle est de ces histoires qui permettent à chacun de ses personnages, qu’ils soient principaux ou secondaires, de surprendre, faire rire, ou émouvoir et ce, à chaque instant.
Car le show s’affirme au fil des épisodes magnifiquement comme une ode au collectif, à l’entraide et au dépassement de soi, entreprise pas si courante, encore plus avec autant de réussite (Everything Everywhere All At Once est aussi un exemple récent remarquable). Au long de ses trois saisons déjà sorties (avec une possibilité de suite), même si les deuxièmes et troisièmes fournées se montrent moins inspirée et parfois poussives, TED LASSO a consolidé sa place au sein des œuvres riches où chaque détail et personnage secondaire bénéficie d’un traitement remarquable, combinant humours anglais et américains, verbaux ou physiques, sublimés par une mise en scène élégante.
Comme si elle embrassait l’élégance et la classe qu’Arsène Wenger a donné à Arsenal (« Act together, with class and move forward » était la mentalité comme nous le rappelle l’homme dans sa biographie) ou l’agilité et la grâce d’un Zinedine Zidane pénétrant une surface de réparation, ce qui n’était à la base qu’un sketch s’est transformé en une des plus belles créations signée Apple TV+ et une des plus belles créations récentes tout court. En prouvant à chaque instant qu’on peut être drôle tout en étant intelligent, divertissant mais aussi profond ou encore inspirant et toujours élégant. À l’image d’autres créations britanniques telles que l’excellente Fleabag ou les très jolis Paddington, TED LASSO arrive sereinement les mains dans les poches et le regard lumineux pour révéler le meilleur de chaque individu rencontré et nous rappeler certaines choses essentielles, notamment que « le succès n’est pas à propos de victoires ou de défaites. Mais de combien on est capable d’atteindre la meilleure version de nous-mêmes sur le terrain et en dehors. » A l’heure où on est de plus en plus submergés par des contenus comme Emily In Paris qui ont autant de succès qu’ils menacent notre matière grise, TED LASSO vient élever tout ça avec une élégance rare… Barbecue sauce !
Simon Beauchamps