Les destins de Maria Schneider et de Jessica Palud se sont déjà indirectement croisés par le passé. À 19 ans, les deux ont rencontré Bernardo Bertolucci dans des contextes très différents. Quasiment vingt ans plus tard après son expérience de stagiaire sur le tournage de Innocents : The Dreamers, Jessica Palud recroise le metteur en scène italien, toutefois son regard n’est plus porté sur lui, mais sur celui de la femme qu’il a brisé.
Une histoire sans fin
Avec les récents scandales du cinéma français, l’histoire de Maria Schneider semble facile à transcrire à l’écran. Tiré de Tu t’appelais Maria Schneider, le film MARIA se déroule naturellement devant nous. Nous voyions tout ce qu’il y a à voir et nous comprenons tout ce qu’il y a à comprendre. En ce sens, MARIA est extrêmement efficace bien qu’il s’écroule après la fameuse séquence de Le Dernier Tango à Paris. Suite à cette dernière, le métrage s’embarque dans une succession de tableaux digne d’un biopic classique avec des séquences et des messages attendues. Le drame originel était lui aussi attendu, sauf que MARIA joue justement bien avec cette attente. Le passage est tellement intense que le film n’arrive pas à s’en remettre. Ainsi, il avance sans savoir comment il va se conclure. Il en est même conscient car il met à plusieurs reprises des coupures nettes avec un fond noir donnant l’impression que le métrage se termine alors qu’il continue inlassablement. Cet effet n’est pas inintéressant car il peut aussi bien représenter les lumières des projecteurs qui s’éteignent, le fait que le film souhaite s’arrêter pour mettre un terme aux souffrances de Maria ou marquer la force de volonté de l’actrice face à ces dures épreuves. Malgré ces différentes idées, le film doit bien se finir, toutefois il le fait mal. Anamaria Vartolomei réussit cependant à porter ce fardeau par une performance époustouflante n’ayant rien à envier à celle qu’elle interprète.
Seule face à un cinéma phallocratique
Avant de devenir un symbole féministe fort, MARIA est une histoire d’une enfant rêvant de la vie de star. Nous pouvons le voir initialement par ce regard rempli d’admiration porté sur le plateau de tournage où se trouve son père. Derrière ses yeux nous pouvons ainsi y voir son envie de devenir actrice, mais aussi la volonté de se rapprocher de ce parent qu’elle n’a presque jamais connu. Ces deux désirs trouvent un point de jonction lors du tournage du film de Bertolucci. Maria se trouve sur le haut de l’affiche, tenue par une figure paternelle au nom de Marlon Brando. Néanmoins, quelque chose cloche. Évidemment, nous savons que la main de ce père de substitution va lâcher et faire chuter la jeune actrice, sauf que nous ne savons pas quand cela va arriver. C’est excessivement long et très pesant. Durant toute cette particulier, les échanges entre Maria et Brando ou Bertolucci semblent innocents, toutefois ils cachent quelque chose de malsain. Le plan dans la salle de bain où l’actrice est prise en étau entre l’acteur et le réalisateur, tout deux filmés à niveau de hanche, est d’ailleurs sans équivoque et est le symbole de ce qui va se passer. Ainsi, quand cela advient, la séquence ne peut qu’être le point culminant du métrage, que ce soit en termes de narration ou de réalisation. Le passage se construit en deux temps avec d’une part la répétition, et de l’autre le tournage. Le plus perturbant est que l’axe le plus cinématographique n’est pas celui que nous croyions. Pour l’agression sexuelle, le point de vue change avec une caméra filmant les membres du tournage. C’est une séquence insoutenable car dans le véritable film nous n’avons par le contrechamp, alors que là oui. Ce que nous voyions n’est pas une œuvre fictive, c’est la vraie vie. De ce fait, celle de l’actrice change totalement. Maria tombe dans une spirale dont elle ne peut échapper qui fait toujours référence à cette ignominie. La séquence suivant cette dernière colle avec ce qu’elle a vécu. Dans l’acte de ramener un inconnu chez son père il y a le film de Bertolucci, à la différence que cela va la porter ici vers l’addiction aux drogues dures. Le destin de Maria est celui d’une fille brisée par une machine cinématographique patriarcale. MARIA est un coming of age brutal où la vie d’adulte n’est que source de malheur, en particulier lorsque nous sommes une femme pleine d’ambitions.
Celle qui a retiré son bâillon
Aujourd’hui la parole se libère, mais à l’époque nous coupions celle des femmes. MARIA présente une actrice à qui nous avons sans cesse dicté les choses même contre sa volonté. Ça passe particulièrement par l’essence même de son métier : la répétition. Sa mère, déjà alors, l’empêchait de réviser, une chose qui va revenir plus tard avec Bertolucci l’invitant à lâcher le scénario. Ça va malencontreusement se poursuivre après le drame avec les rôles dénudés que les producteurs lui donnent. Les hommes veulent décider pour elle dans un acte d’infantilisation et d’objectification. Lors de l’avant-première de Le Dernier Tango à Paris, nous ressentons ce contrôle avec les photographes ordonnant à Maria ce qu’elle doit faire. Elle ne peut rien dire alors qu’elle souhaite être écoutée. Les hommes bouchant leurs oreilles, ses mots atteindront Noor. Cette étudiante en cinéma lui apporte une aide féminine, une épaule sur laquelle elle peut se tenir. Nous sentons avec elle que Maria peut vivre une relation saine. C’est d’ailleurs avec elle qu’elle confirme son assurance et qu’elle devient une femme forte. En termes d’écriture cela reste plutôt facile, toutefois cela fonctionne. Si avant nous lui ordonnions de regarder la caméra, cette fois c’est elle qui le fait de sa propre volonté.
Au-delà de ses qualités cinématographiques, MARIA nous fait regretter la perte prématurée de Maria Schneider, elle qui manque en cette période trouble. Son combat, et celui de ses compères, se poursuit cependant à l’écran et en dehors de celui-ci. Jessica Palud y participe avec une histoire évidente, toutefois elle devait être racontée pour en retenir ses enseignements.
Flavien CARRÉ