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Crédits : Les Films du Losange

PACIFICTION – TOURMENT SUR LES ÎLES, sublime voyage au bout de l’enfer – Critique

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À Tahiti, un haut commissaire se retrouve contre son gré au centre d’un conflit nucléaire qui ne demande qu’à s’embraser. Avec cet insaisissable thriller psychologique qui vogue aux frontières de la dystopie et de l’absurde, Albert Serra confirme son talent et signe une œuvre majeure.

En apnée. Difficile de reprendre son souffle après ces presque trois heures en terre tahitienne. Une interrogation majeure : que s’est-il passé ? Il nous a fallu du temps pour nous remettre de ce voyage, époustouflant, la rétine durement et longuement marquée. Rarement, cette année, un metteur en scène aura autant fait preuve d’une telle maîtrise du cadre, de la direction d’acteurs et de la narration. Peut-être Jordan Peele avec Nope, mais rien de comparable ici. PACIFICTION – TOURMENT SUR LES ÎLES est de ces œuvres uniques, traumatisantes, chaleureuses et acerbes. L’hétérogénéité du récit engendre une narration unique, un voyage sensoriel halluciné où l’on a adoré se perdre.

Malgré tout, un guide : De Roller, haut commissaire désemparé furetant sur l’île, enquêteur à la recherche d’indices pour déceler un potentiel conflit majeur. Plus qu’un rôle majeur pour Benoît Magimel, c’est un accomplissement et un rite de passage dans la cour des grands. À l’aise en toutes circonstances, son interprétation traduit un panel d’expressions protéiformes face à l’étrange défilé de situations qu’il subit. Le psychédélique, l’absurde et un réalisme glaçant se relaient et participent à la fomentation d’un nouveau type de Héros. Alors qu’il se révèle dépressif, au terme d’un monologue politique qui risque de faire date, le personnage s’accomplit face à l’horreur sous-jacente, et ce grâce à la science sublime du plan déployée par Serra.

Photo du film PACIFICTION
Crédits : Les Films du Losange

L’élément déclencheur du récit est peut-être cette vague, immense, filmée à hauteur d’homme. Impressionnante, terrifiante, elle attise le désir de De Roller qui, sans se décontenancer, enfourche un jet-ski pour aller l’observer de plus près. Une séquence absurde et déjantée, sublime aussi, allégorie explicite de l’art du metteur en scène. Quelques instants plus tard, la vague a un visage, celui d’un rebelle, persuadé du danger nucléaire implicite. De Roller, désormais actant plus que spectateur, assiste à un combat rhétorique tout aussi lunaire, sous les yeux d’un médiateur américain silencieux et désireux de profiter de la potentielle guerre. En cherchant à calmer son locuteur, il entame une lutte d’egos encore une fois cristallisée à l’écran quelques minutes plus tard. De Roller commente un combat de coqs et entame un discours méta sur la place des pions sur l’échiquier. Chez Serra, le personnage semble presque avoir conscience de son rôle dans la fiction, et si sa quête est inassouvie, sa volonté d’éclaircir les brumes mystérieuses et silencieuses de l’île est incessante. Admirable démarche, quand on sait à quel point le cinéma de genre est remis en cause actuellement.

Photo du film PACIFICTION
Crédits : Les Films du Losange

PACIFICTION – TOURMENT SUR LES ÎLES est donc cet ovni qu’on n’attendait plus, un trip envoûtant qui cite Lynch autant que Dupieux tout en engendrant un langage qui lui est propre. En plus de susciter un véritable bonheur de cinéma, le récit trouve un écho fascinant avec son temps. Le danger est bien là et se matérialise à l’écran par l’intermédiaire d’un sous-marin, difficilement discernable, de prime abord. De Roller prend conscience du danger tout en donnant à voir l’un des plus beau plan du film. Une séquence encore une fois représentative de la grammaire cinéphile de Serra : S’il faut accepter de se perdre dans la jungle d’une narration visuelle sublime, c’est au prix d’un rappel terrifiant des affres du réel. Quand le capitaine déclare finalement la guerre et l’explosion à venir, c’est avec horreur qu’on assiste à l’épilogue d’une longue quête de l’image suivie d’une belle gueule de bois. L’odyssée prend fin et comme De Roller, une partie de nous est restée sur ce stade, à écouter la pluie grandissante, apaisé, avec un sourire en coin. La fiction et l’image comme thérapie salvatrice ? Peut-être. Du grand cinéma ? Assurément.

Emeric Lavoine

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Titre original : Pacifiction, Tourments sur les îles.
Réalisation : Albert Serra
Scénario : Albert Serra
Acteurs principaux : Benoît Magimel, Pahoa Mahagafanau, Matahi Pambrun, Marc Susini, Sergi Lopez
Date de sortie : 0 novembre 2022
Durée : 2h45min
4.5
Exceptionnel

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