Révélé en 2019 au festival de Sundance, MOPE retrace la dramatique histoire de Steve Driver, acteur porno de seconde zone, rendu coupable de meurtre… au katana. Disponible en exclusivité sur la plateforme de streaming Shadowz, le film nous embarque dans un univers poisseux à l’humour fataliste et grinçant.
Glauque, drôle et génialement pathétique. MOPE recèle tous les ingrédients indispensables à un bon film de genre. Le métrage de Lucas Heyne est assurément de ceux qui refilent la nausée. À en faire passer Boogie Nights pour une vision gentillette et édulcorée de l’industrie du porno. Le cinéma mainstream s’est, en effet, régulièrement saisi des travers de la pornographie. Du portrait lissé de Larry Flynt dressé par Miloš Forman en 1996 au bucolico-glaçant Lovelace en 2013, on aura rarement abordé la chose de manière aussi brutale que dans MOPE.
Malaise sous-jacent
Dans MOPE, tout suint, tout implose, tout sent mauvais. Dès la scène d’ouverture, le ton est donné. Dans une backroom éclairée d’un seul voyant rouge, ils attendent. On peut presque sentir la sueur sur ces corps bedonnants, abîmés, voire simplement banals… En groupe, entassés à demi-nus, ils se préparent à entrer en scène. Certains la main sur le sexe, d’autres le regard fuyant. Quand soudain, le voyant passe au vert. Ils pénètrent alors dans une pièce où une demoiselle les attend, à genoux, sur une bâche en plastique. Et l’on embarque pour un bukkake géant, dont le résultat final ne nous sera pas épargné.
Or, si le bon goût sonne d’ores et déjà aux abonnés absents, la glauquerie n’atteint pas encore son paroxysme, puisque les hommes présents semblent tous mués par une franche camaraderie. Un certain égard pour l’actrice pornographique est même insinué – le producteur de la scène s’empressant de lui adresser quelques politesses. Et c’est dans ce contexte surréaliste que MOPE fait naître l’amitié entre ses deux personnages principaux. Dans des plans lumineux, devant un paysage mirifique, le rêve de devenir de grandes porn stars en tandem se dessine. Le malaise va rapidement s’ensuivre.
Inspiré de faits réels
MOPE s’attache à retranscrire une réelle descente aux Enfers. Celle de Steve Driver et Tom Dong, deux apprentis hardeurs asservis aux pires vices du milieu de la pornographie. Entrés par la petite porte au début des années 2010, les deux hommes étaient considérés comme des mopes, comprenez « sous-fifres de l’industrie du X ». Peu talentueux et dotés de physiques faiblement avantageux, ils en étaient réduits à accepter de tourner dans des vidéos destinées à des publics fétichistes de niche. Coups de pied dans les parties intimes, scatophilie… Ils étaient prêts à tout pour se faire une place au soleil.
Le film retranscrit parfaitement cette quête vaine et irraisonnée de reconnaissance, notamment dans un montage elliptique où Steve Driver s’abaisse à nettoyer des excréments tombés au sol durant une scène anale extrême. Rien n’est jamais beau, rien n’est jamais excitant, rien ne fait jamais envie. Driver et Dong sont constamment confrontés à ce que l’industrie recèle de plus dérangeant. Réduits à leurs caractéristiques ethniques noire et asiatique, cédant leur consentement à contrecœur, les deux mopes deviennent tour à tour victimes et agresseurs.
La caméra épaule de Lucas Heyne emprunte beaucoup aux codes du porno gonzo. Aussi violente qu’un gang-bang tagué « rough » sur Pornhub, la décadence sociale et intellectuelle de Steve Driver nous explose au visage dans un pathétisme brutal et sans concession. Lorsqu’il en vient au meurtre, la lame pénètre la chair et l’effusion sanglante macule son visage… comme le foutre celui de la courageuse actrice en début de métrage. À la fin, on ne ressort pas tout à fait indemne du cauchemar grinçant dépeint par MOPE. D’autant qu’à l’heure du scandale Mindgeek, son visionnage trouve une résonance bien particulière…
Lily Nelson
• Réalisation : Lucas Heyne
• Scénario : Lucas Heyne, Zack Newkirk
• Acteurs principaux : Nathan Stewart-Jarrett, Kelly Sry, Brian Huskey
• Date de sortie : 27 janvier 2019
• Durée : 1h45min