NI LE CIEL NI LA TERRE

NI LE CIEL NI LA TERRE, entre monde rationnel et croyances – Critique

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Nous avons vu NI LE CIEL NI LA TERRE, premier film du réalisateur Clément Cogitore, qui nous a accordé un long entretien. Le titre du film est tiré d’un verset du Coran : « Ni le ciel ni la terre ne les pleurèrent et ils n’eurent aucun délai » et répond aux deux intentions du réalisateur : évoquer un espace spirituel entre ciel et terre tout en annonçant le programme du film.

Ce jeune réalisateur inspiré reconnaît avoir pris un chemin qui va en dérouter plus d’un, rendant le film volontairement inclassable, et surtout, n’offrant au spectateur aucune résolution d’énigme !
Certains se sentiront en effet frustrés par l’idée de devoir s’accommoder avec l’idée d’un mystère… Mais il faudra lâcher prise.

Car ce film, dont le scénario commencé en 2010 avait pourtant anticipé le retrait des troupes françaises, ne traite pas vraiment de la guerre, même s’il est contextualisé dans un Afghanistan aride, au milieu de nulle part, à la frontière pakistanaise. Il nous fait partager le quotidien de cette communauté de militaires en guerre, leur éloignement familial et leurs vies secrètes qu’ils n’ont pas le droit de communiquer à leurs proches. Sont également montrées avec justesse les négociations difficiles, parfois hors protocole, traduites par un militaire interprète, aussi bien avec les villageois afghans qu’avec les Talibans.
Thomas Bidegain, scénariste d’Audiard et notamment de Dheepan, a collaboré au scénario du film. Celui-ci, bien que validé en amont par les militaires, a toutefois pris certaines libertés avec la mise en scène telles le choix des uniformes ou l’absence de l’Etat Major, renforçant ainsi l’idée de l’isolement.

Diaphana
© Diaphana

NI LE CIEL NI LA TERRE ne traite pas directement de la peur non plus, et pourtant de peur il sera question. La peur de ces hommes entraînés au combat face à cet ennemi invisible et inexplicable. Face aux disparitions des militaires d’un côté, des Talibans de l’autre, chacun tentera de trouver une explication plausible, bouleversant sa propre grille de lecture occidentale rationnelle et sa vision du monde. Ont-ils déserté ? Ont-ils été enlevés ? Sont-ils morts ou encore vivants ? Est-ce Allah en colère qui se venge ? Chacun répliquera à  sa manière par des actes tantôt logiques, tantôt désespérés et inutiles que, par respect pour le cheminement de l’histoire, nous avons pris le parti de ne pas raconter. Car jusqu’au bout, nous sommes restés accrochés et scotchés par cette façon novatrice et multiple de nous emmener aussi loin avec autant d’intensité !

Les doutes, les questionnements, l’angoisse tirailleront le capitaine Antarès BONASSIEU/Jerémie Renier et ses hommes, notamment William/Kevin Azaïas ou Jérémie/Swann Arlaud. Le film s’attache à nous montrer ce jeune mâle dominant, responsable de la sécurité de ses hommes qu’il n’abandonne jamais sur le terrain mais impuissant face au danger que tous courent. Nous l’accompagnons dans son processus d’évolution, la façon dont il lâche prise peu à peu, toujours sur le fil du rasoir, évitant de justesse une mutinerie de la part de ses hommes. Le film aborde avec sensibilité et réalisme l’équilibre fragile entre respect des ordres militaires, et envie légitime de la part de ces hommes de fuir face à l’inconnu. D’autant que l’on parle peu chez les militaires, qui ne s’autorisent pas à exprimer leurs émotions, même lorsque l’Aumônier vient sur la base.

Un film énigmatique et intense qui confronte une communauté rationnelle de militaires au monde invisible et mystérieux des croyances.

Le réalisateur, qui dit s’intéresser aussi bien à l’étude du Coran qu’à celle du Chamanisme, du visible et de l’invisible, à la psychanalyse ou aux récentes découvertes scientifiques sur les origines des rêves a souhaité évoquer, non pas les religions, mais les croyances que se construisent les hommes pour résister au chaos du monde. Il reconnait aussi avoir voulu traiter de l’absence et du deuil, ainsi que de la façon dont on accompagne un vivant dans la mort et un corps dans la terre selon les cultures et les croyances.

Nos sens sont en éveil dans ce huis-clos magnétique, et c’est sans doute l’une de ses forces, cette capacité à nous interpeller par de nombreux biais. La vue grâce à l’image bien sûr et la diversité des moyens de tournage que nous offre le réalisateur : caméra à l’épaule à hauteur d’hommes souvent filmés de dos, caméra à infra rouge, caméra thermique, rajoutant à l’ambiance anxiogène des nuits pendant lesquelles se passent ces phénomènes étranges.
L’ouïe grâce à la musique, tantôt médiévale avec la viole de gambe qui évoque de vieilles musiques rituelles, tantôt l’électro, dont le phénomène de répétition provoque la transe d’un soldat désespéré libérant toutes les tensions de son corps. Mais aussi grâce aux silences qui entourent ces hommes.

Les acteurs sont tous extrêmement justes et crédibles, avec une énergie et une tension qui renforcent le propos du film, Jérémie Renier en tête, qui , même si nous savons qu’il est capacité de tout jouer, parvient toujours à nous surprendre, mais aussi Kevin Azaïas, révélé dans Les Combattants, Swann Arlaud, Finnegan Oldfield et Marc Robert.

Présenté à la Semaine de la Critique à Cannes et dans d’autres nombreux Festivals, ce film mystique et énigmatique est promis à une belle carrière.

Sylvie-Noëlle

Note des lecteurs3 Notes
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