Je vois rouge
Bojina Panayotova © 2019 JHR films

JE VOIS ROUGE, une enquête intimiste – Critique

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Bojina Panayotova exhume le passé soviétique de ses parents à travers une enquête fantasque.

Bojina a 8 ans lorsque tombe le mur de Berlin, ses parents quittent alors la Bulgarie pour s’installer à Paris où elle grandit et étudie, d’abord la philosophie puis le cinéma à la Fémis. Quand elle retourne 20 ans plus tard dans son pays, la société est en pleine effervescence. Les manifestations s’intensifient pour dénoncer les collusions entre la Mafia locale et le milieu politique. À travers des slogans explicites, “ordures rouges”, le mouvement populaire accuse la classe politique dirigeante d’avoir recyclé son vieux régime soviétique. Cette première confrontation avec la jeunesse Bulgare qui se retourne vers son passé pousse Bojina à faire de même en interrogeant sa propre enfance soviétique.

Je vois rouge
© 2019 JHR Films

Avec ses grandes lunettes et son attitude fantaisiste, la jeune réalisatrice endosse le rôle de l’enquêtrice 2.0. Mais en empruntant la piste familiale, Bojina Panayotova se retrouve face à la réticence de ses parents à parler d’une période qu’ils préféreraient laisser derrière eux. Les activités au sein du parti, les liens avec la police secrète, très vite l’enquête intimiste glisse vers le film d’espionnage. La réalisatrice s’en amuse avec une certaine espièglerie. Le film joue avec les fantasmes convoqués par cet imaginaire soviétique qui s’immiscent dans les interstices laissés par les secrets d’une époque trouble. L’utilisation de la musique, le montage qui alterne entre prises de vues documentaires et images d’archives, participent à créer cette porosité entre les genres.

Je vois rouge
Bojina Panayotova et sa mère Milena Mikhaïlova Makarius © 2019 JHR films

Bojina Panayotova utilise le réel, l’ordinaire, qu’elle transforme en matière cinégénique. Lorsqu’elle se concentre sur le cas de sa mère, celle-ci entre dans le film comme un véritable personnage de fiction, presque romanesque. Charismatique et mystérieuse, là encore ce sont les fantasmes et l’imaginaire cinématographique qui façonnent l’archétype en investissant les vides à combler.

Et tandis que l’intrigue progresse, la position de Bojina se radicalise. L’objet de sa recherche vire à l’obsession psychanalytique. Les champs contre champs par skype deviennent des scènes d’interrogatoires de plus en plus intrusives. L’investigation que mène Bojina prend des allures d’inquisition et la recherche intimiste des débuts se change en quête cinématographique totalitaire. Au delà des secrets à découvrir dans les archives de la stasi bulgare, l’intérêt du film se cristallise sur ce conflit générationnel qui prend forme entre la jeune femme et ses parents.

Je vois rouge
© 2019 JHR Films

L’univers fictionnel mis en place se fracasse contre la complexité des rapports humains. Tout à coup le système cinématographique se fissure et la vérité ne peut survenir qu’à l’extérieur de ce cadre. Les parents désertent les plans du film de leur fille, c’est comme s’ils fuyaient une nouvelle fois la tyrannie d’un système moraliste. Portée par un élan absolutiste, Bojina fait l’expérience de sa propre part despotique en employant des méthodes proches de celles qu’elle dénonce.

Cette manière d’utiliser sa vie, l’intime, comme matière première cinématographique n’est pas sans rappeler le l’œuvre de Chantal Akerman. Plus récemment on pense à Carré 35 d’Éric Caravaca, où l’on retrouve ce même mouvement qui part de la mythologie familiale pour relier la grande Histoire. Une étude de cas macroscopique pour mieux comprendre les drames individuels à la lumière de l’époque qui se dessine. Ou bien c’est l’inverse, comprendre l’époque à travers le prisme humain. Dans les deux cas la mécanique d’incarnation y est fascinante.

Hadrien Salducci

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Titre original : Je vois rouge
Réalisation : Bojina Panayotova
Scénario : Bojina Panayotova
Acteurs principaux : Bojina Panayotova, Milena Mikhaïlova Makarius, Nicolaï Panayotov
Date de sortie : 24 avril 2019
Durée : 1h24min
3.5

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