15 euphoria - EUPHORIA, Trouble Don't Last Always - Critique

EUPHORIA, Trouble Don’t Last Always – Critique

Quinzième jour du Calendrier de l’Avent et nouvel épisode spécial Noël. Un « dinner », un parrain, sa filleul et Otis Redding.

Les épisodes de Noël ont toujours tenu une place particulière dans les séries. Mais depuis quelques années on observe une nouvelle tendance, la diffusion surprise d’épisodes spéciaux conçus et diffusés en dehors du déroulement des saisons. C’était le cas avec l’épisode spécial de Black Mirror (dont nous avons parlé dans un précédent article) ou encore de Sense8, tous deux sortis sur Netflix.

Blanc comme neige, l’épisode spécial de Black Mirror

Écrits et conceptualisés comme des objets uniques, indépendants du fil de leur saison, ils font la plupart du temps office d’interlude. C’est l’occasion pour les créateurs de faire voler en éclat le format standard de l’épisode afin de prendre le temps de se concentrer sur un sujet ou bien de faire vivre les personnages en dehors du cours de l’intrigue. Blanc comme neige, l’épisode spécial de Black Mirror, faisait ainsi basculer la forme sérielle vers des logiques de long-métrage puisque sa durée s’étalait sur 1h15. Tandis que Lana Wachowski installait l’épisode de Noël de Sense8 sur 2h. Plus récemment, et même s’il ne s’agit pas d’un épisode de Noël, la série The Third day diffusée sur Amazon Prime Video (Dennis Kelly et Felix Barrett) proposait en guise d’épisode spécial un live facebook de 12h pour faire le lien entre la première et la deuxième saison.

Alors que la fin de tournage de la saison 2 avait été retardée par la pandémie de covid-19, Sam Levinson a imaginé cet intermède afin de faire patienter jusqu’à 2021. Cet épisode spécial rompt avec le formalisme survolté de la première saison. Le créateur a opté pour un concept minimaliste, recentré autour d’un dialogue entre Rue et Ali, son parrain des narcotiques anonymes. La scène prend place dans un dinner la veille de Noël alors que la jeune femme vient de replonger dans la drogue suite à l’abandon de Jules. La première saison s’était démarquée par sa mise en scène frénétique composée de mouvements de caméra hypnotiques, de chorégraphies hallucinées qui démultipliaient les espaces scéniques, le tout nimbé de lumières surnaturelles et fluorescentes. EUPHORIA épate par le déploiement d’un formalisme qui épouse les montées émotionnelles de son héroïne. Si la saison 1 avait fait de cette inconstance un manifeste esthétique, Trouble Don’t Last Always prend l’exact contrepied. Cet épisode spécial a été pensé comme une respiration, une parenthèse entre les deux saisons, une longue gueule de bois cotonneuse, véritable redescente entre deux pics de MDMA.

Euphoria Special Episode 1 - EUPHORIA, Trouble Don't Last Always - Critique

Sam Levinson prend son temps pour installer sa longue séquence de dialogue, prépare méticuleusement un cadre propice au jaillissement progressif de l’émotion. Le concept de l’épisode repose sur l’interprétation de Zendaya et Colman Domingo. Les deux comédiens enchaînent les longues tirades qu’ils se lancent l’un à l’autre. Ali pousse Rue dans ses retranchements, l’invite à regarder sa toxicomanie en face. Le masque que la jeune femme portait se fissure peu à peu laissant apparaître ses blessures profondes. C’est alors que le titre Cigarettes and coffee d’Otis Redding résonne au milieu de l’épisode qui prend lui aussi une pause dans sa structure. Ali est sorti pour téléphoner à sa fille, on entrevoit l’intimité égratignée du personnage, restée à l’intérieur du dinner, Rue l’observe comme un possible reflet déformé d’elle-même. On sent Sam Levinson prêt à lâcher les chevaux, le chant mélancolique d’Otis Redding prépare le lit de l’émotion qui s’apprête à se répandre dans la scène.

Ali se confie à son tour, l’emprise de la drogue sur sa vie, ses échecs et ses regrets. La discussion continue jusqu’à aborder en profondeur des sujets aussi variés que la dépression, la mort ou la religion. Rue creuse toujours plus profond, jusqu’à atteindre la source de ses angoisses, le bouleversement peut enfin avoir lieu, emportant tout sur son passage. Le Malheur n’est pas éternel pose aussi la question de l’origine sociale de ce « malheur », est-ce une malédiction vouée à se reproduire sans cesse ? Car dans le dinner, trois générations de drug-addict se confrontent et ce n’est pas un hasard si toutes les trois sont incarnées par des personnages noirs. Sam Levinson ne manque pas d’aborder le mouvement Black Lives Matter, faisant un parallèle évident avec les causes sociales et systémiques de la misère. Ali c’est la génération de George Floyd qui regarde avec bienveillance la nouvelle génération pour l’aider à briser le cycle infernal de cette misère. Il est évidemment question de rédemption, concept biblique récurent dans la culture américaine. Mais quant à l’idée d’une révolution politique, Ali lui préfèrera une révolution spirituelle. Étymologiquement le mot révolution désigne une rotation complète d’un corps mobile autour de son axe. En ce sens les innombrables mouvements de caméra présents dans la première saison d’EUPHORIA expriment cette idée. Un mouvement de rotation pour se redéfinir, se réinventer. Alors que la promesse d’un nouveau départ sous-tend toute la première saison, le mentor réaffirme ici cette nécessité.

C’est un étrange réveillon de Noël auquel nous assistons, aucune dinde au menu, pas de chant de noël ou de décoration criarde. Pourtant l’essentiel est bien là, deux individus esseulés qui se rassemblent autour d’un repas pour s’arracher au désespoir de leur existence. Les résonances avec la réalité que nous vivons sont évidentes, l’atmosphère désenchantée s’y accorde parfaitement. Alors on se laisse porter par les vapeurs ouatées de cette nuit douce-amère. Le peintre Edward Hopper, éternellement cité dans l’iconographie hollywoodienne, est une nouvelle fois convoqué, une évocation qui semble ne jamais avoir été autant à propos. Les individus semblent plus que jamais séparés les uns des autres, isolés derrières des vitres infranchissables. Une main qui se tend vers une autre pour renouer un contact salutaire paraît dès lors le plus subversif des actes et la plus précieuse des attentions.

L’épisode diffusé le 6 décembre dernier est en réalité la première partie, pour la seconde, le rendez-vous est pris pour fin janvier 2021 sur OCS.

Hadrien

Note des lecteurs0 Note
0236198.jpg r 1920 1080 f jpg q x - EUPHORIA, Trouble Don't Last Always - Critique
Titre original :Euphoria
Créateur.rice.s : Sam Levinson
Acteurs : Zendaya, Colman Domingo, Hunter Schafer
Date de sortie : Décembre 2020
Durée des épisodes : 54 minutes
4
surprenant

Auteur·rice

Nos dernières bandes-annonces

Rédacteur
S’abonner
Notifier de
guest

0 Commentaires
le plus récent
le plus ancien le plus populaire
Commentaires en ligne
Voir tous les commentaires
0
Un avis sur cet article ?x