La nuit fut courte et c’est avec les yeux picotants que nous nous sommes rendus à la rencontre matinale avec la réalisatrice Marie Dumora pour son film Belinda présenté hier soir en plein air.
Belinda de Marie Dumora
Belinda est une jeune femme presque comme les autres. Elle aime Thierry et planifie leur mariage. Une calèche tirée par un cheval, une robe et des chaussures dorées pour rappeler le motif de sa robe. Mais la vie de Belinda est parcourue d’embuches, Thierry est en prison, son père y fait des séjours réguliers, sa mère élève de nombreux enfants et tout semble autour d’elle lui mettre des bâtons dans les roues de sa vie qu’elle aimerait libre. Enfant, Belinda a grandi dans un foyer de l’est de la France, séparée de sa soeur Sabrina, a fugué à maintes reprises, a évité de devenir vendeuse de chaussures, est revenue aider sa mère puis s’est installée avec son père en attendant la libération de son amoureux incarcéré. Belinda a une confiance inouïe dans la vie. C’est ce qui la tient et ce qui porte ce très beau film, véritable hymne à tous ceux qui restent dans l’ombre à cause de leur vie « moche ».
« Je me situe du côté de la littérature, de Faulkner et de Proust »
Marie Dumora est une tisseuse. Elle tourne ses films en les reliant un à un, en y ajoutant les fils du temps. Elle a rencontré Sabrina et Belinda alors qu’elle filmait un foyer dans Avec ou sans toi. Puis elle a continué à suivre ces deux jeunes femmes de leur enfance à leur âge adulte. Belinda démarre d’ailleurs sur des extraits de Avec ou sans toi où l’on voit les deux fillettes récupérées par leur éducateur et second père, Monsieur Gersheimer, après avoir fugué. Quand on lui demande comment a t-elle su éviter un certain voyeurisme, Marie Dumora explique s’être placée du côté romanesque de leur histoire. Ce portrait de cette famille Yeniche de l’est a en effet des airs de saga et Belinda incarne une héroïne moderne avec une force de vie incroyable que Marie Dumora aime comparer à Silvana Mangano dans les films de Pasolini. « Bon j’exagère un peu ».
L’une des grandes forces du film est de nous faire parvenir à regarder différemment ces personnages abimés et en rupture, souvent montrés ailleurs à travers le truchement d’une problématique sociale ou économique. « Ces films-là aussi sont nécessaires, mais ce n’était pas mon positionnement ». Marie Dumora filme la vie de Belinda qui vaut d’être vécue, coûte que coûte, quelques soient les obstacles, les séjours en prison et le manque d’argent. On pourrait y voir aussi une forme de déterminisme, que la cinéaste réfute, tant leur histoire se répète, mais la réalisatrice souligne à juste titre que quelque soit le milieu, la vie se répète. Pour le meilleur comme pour le pire.
Dans une des très belles scènes finales, toujours filmée avec une distance à la fois respectueuse et non sournoise, le père de Belinda raconte la photo familiale (« On dirait du Walker Evans »), le camp de concentration par lequel sont passés ses parents, la ferme avec les poules, et soudain se met à jouer avec deux fourchettes et battre le rythme d’une musique tsigane. Et là dans cet appartement, renait ce qui les relie et les rattache, loin des mots vains et du quotidien parfois sordide. Car ce qui les sauve, ce qui sauve Belinda c’est bien cet amour inconditionnel, maladroit et chaotique qui les unit.
Marie Dumora fait surgir la beauté là où on ne l’attend plus et Belinda est une pousse au milieu du béton, vivace et vivante. Notre coup de coeur !
Histoire du Doc : La Pologne
Direction salle Joncas pour la première séance de la journée avec le programme Histoire du Doc qui cette année nous emmène en Pologne. Présenté par Federico Rossin, ce programme rassemble huit films courts des années 70 et 80 dont le formidable film de Krzysztof Kieślowski Le point de vue d’un gardien de nuit (1977), sorte de « portrait humaniste d’un facho », pour reprendre les mots de Rossin. Filmé en 35 mm, Le point de vue d’un gardien de nuit dresse le portrait d’un homme obsédé par le contrôle. « Tout le monde a une passion, la mienne c’est le contrôle ». Filmé dans son environnement de travail, en train de surveiller des pêcheurs sans permis de pêche, ou en train de dresser son berger allemand, le gardien évoque en voix off ses convictions, son amour de l’ordre et son besoin maladif de tout contrôler. Loin de juger son personnage, Kieślowski s’intéresse davantage à lui donner la parole, parole libre et décomplexée d’un fasciste ordinaire.
La séance de l’après-midi Fragment d’une oeuvre de Peter Nestler étant complète, on s’est replié vers la vidéothèque pour des séances de rattrapage version petit écran. On a arrêté notre choix sur le film de Joseph Truflandier Ca parle d’amour de la sélection Expérience du regard, projeté hier.
Ca parle d’amour de Joseph Truflandier (2016)
Joseph et Carlos décident de tomber amoureux et expérimenter l’amour à travers trois phases : la passion, l’intimité et l’engagement. Pendant un an les deux hommes vivent ensemble et sondent l’amour au sein de leurs propre expérience mais aussi celles de leurs amis que le réalisateur interroge au cours de soirées ou via skype.
Qu’est-ce que l’amour ? Du cul, du confort, de la passion, du désir, des peurs qui nous confondent, de la destruction ou de la sérénité ? Chacun y va de sa définition, son ressenti, ses déceptions et ses croyances. « C’est comme un entretien d’embauche, parfois on est choisi mais on n’aime pas et parfois c’est l’inverse. »
Joseph Truflandier filme leurs deux corps, le sien et celui de Carlos, morcelés, une paire de fesse, un bout de cuisse, leurs pieds et leurs visages comme s’is n’arrivaient pas à être entier dans cette relation presque forcée par le procédé. L’amour peut s’inventer mais peut être pas se commander.
Cette génération de trentenaires semble pour certains assez désabusée et pas décidée à s’aventurer vers une possible souffrance. D’autres au contraire n’envisagent pas une relation sans sentiment profond, de ceux qui nous font devenir qu’un avec l’autre. D’autres encore hésitent, ont peur et croient que l’amour n’est que pure invention. Quant à Joseph et Carlos, ils se rapprochent dans ce mouvement initié par ce projet, s’aiment physiquement, doutent, s’éloignent puis se rapprochent dans une autre forme d’intimité avant de s’engager en se pacsant. Ca parle d’amour parle avant tout de ce besoin irrépressible de se sentir exister, de s’unir à l’autre, pour une heure, pour une vie. Sur Skype le cinéaste demande à des personnes rencontrées de lui chanter une chanson d’amour, celle qui peut-être définirait le mieux leur rapport à l’amour. A travers les mots des autres comme à travers les siens, Joseph Truflandier explore les méandres amoureux. Cela pourrait être une performance, un work in progress. C’est très certainement une éducation sentimentale à ne pas bouder.
Anne Laure Farges