Quatrième numéro de notre rubrique ON REFAIT LA SCÈNE ! Après Nicolas Winding Refn, on va aujourd’hui s’intéresser à un autre Danois, Thomas Vinterberg.
Nous allons vous parler d’une scène du long métrage LA CHASSE, un film exemple d’une mise en scène centrée sur le jeu d’acteurs. Même si il fut – dans sa globalité – boudé par une partie de la presse à Cannes (en compétition en 2012), tous se sont accordés sur la qualité de l’interprétation et de la direction d’acteurs insufflée. Il avait déjà exploité un concept similaire dans Festen, Thomas Vinterberg expose de nouveau les terribles conséquences de la petite phrase et de la propagation des rumeurs jusqu’à la définitive perte de contrôle.
Resituons rapidement : Après son divorce, Lucas (Mads Mikkelsen), quarante ans, a trouvé une nouvelle petite amie, un nouveau travail et il s’applique à reconstruire sa relation avec son fils. Une simple phrase prononcée par Klara, la fille de son meilleur ami Theo (Thomas Bo Larsen) va tout chambouler et Lucas va rapidement se trouver au milieu d’accusations pédophile. Le récit se passe en fin d’année et la messe de Noël sera un moment douloureux si Lucas décide de se montrer. Mais avant d’assister aux fêtes d’année, Lucas a vu son statut d’homme respecté bafoué par ses voisins et ses amis. Désormais, tous se retournent contre lui et il devient la victime d’un lynchage permanent insupportable.
« La scène de l’église » vient donc dévoiler un moment que toute la communauté redoute et trouve une place centrale dans la structure narrative du film. En effet, elle sera à l’origine du second basculement relationnel entre les deux protagonistes principaux Théo et Lucas et permettra à ce dernier de retrouver sa situation dans la société…du moins, provisoirement.
Dans le cadre de cette analyse de la « séquence de l’église » , des éléments cruciaux de l’intrigue seront révélés. Les sous titres sont manquants mais n’entravent pas la compréhension de l’extrait.
[divider]LA SCÈNE[/divider]
La scène débute discrètement et on observe Lucas pénétrer dans le lieu de culte. La caméra, placée au dessus des bancs, impose un point de vue global et rappelle forcément la position divine spatiale et temporelle. Ce plan est aussi la traduction de notre point de vue de spectateur, nous avons – presque – tout vu, même s’il subsiste en nous un doute quant à la culpabilité de Lucas. En effet, nous sommes les témoins-clés de ce drame et le personnage de Lucas ne pourra être jugé qu’au regard d’une puissance extérieure omnisciente.
Une fois installé, seul, Lucas va forcer la confrontation à distance avec Théo par l’intermédiaire d’un échange de regard aussi expressif que bouleversant. Au delà de l’impeccable composition de Mads Mikkelsen sur l’ensemble du métrage, c’est certainement ce pur moment de cinéma qui a scellé le grand vainqueur du prix d’interprétation masculine. On ressent – dans le regard de Lucas – toute honnêteté, l’appel à la raison et l’épuisement de cette invivable situation. Il en est de même pour son alter-ego, qui arrive par un simple regard médusé, à nous faire comprendre tout le chamboulement et le déchirement intérieur qui l’anime. Lucas est-il innocent, coupable ? S’est il détourné à tort de son ami ?
« L’empathie à son paroxysme, la puissance émotionnelle dégagée devient totale. Il suffit d’une scène, de ce moment pour renverser le spectateur. »
Devant l’insoutenable supplication de Lucas, matérialisée par ces deux superbes retournements aux yeux larmoyants, Théo est renvoyé devant ses propres incertitudes. Il apparaît d’ailleurs quasi masqué par ses voisins assis devant lui, signe de la confusion alors que Lucas occupe l’ensemble du cadre. La scène se termine par la confrontation tant attendue, on remarque alors que Théo ne réagit plus face au cri de désespoir de Lucas, « Que vois-tu ?, rien ». On comprend aisément que ce silence vaut automatiquement acceptation de Théo, il se résigne et maintenant, le doute n’est plus. La scène suivante viendra confirmer ce que le spectateur soupçonnait.
L’empathie à son paroxysme, la puissance émotionnelle dégagée devient totale. Il suffit d’une scène, de ce moment pour renverser le spectateur. Ici, tout fonctionne parfaitement en raison du cheminement minutieusement préparé par le metteur en scène. Du bonheur, en passant par l’insouciance des moments joyeux, nous avons été les témoins de la lente et harassante chute de Lucas. Souriant en tout début de film, il apparaît ici le visage tuméfié, isolé et dépressif. Il est abandonné, injustement conspué par ses voisins et ses amis. Cet esseulement s’opère à mesure que le métrage avance et Lucas perd petit à petit tout ce qui l’entoure : petite amie, boulot, et surtout le respect. Car LA CHASSE, c’est aussi l’histoire d’un homme matraqué par la société. En ce sens, nous retrouverons – dans cette scène – toutes les thématiques récurrentes du film : La foi, la croyance, la pédophilie, le rejet social et l’image de la femme manipulatrice.
Tout d’abord, nous avons Lucas, il s’installe sans faire de vagues alors que toute la communauté lui est hostile. Puis sa voisine, répugnée par ses possibles agissements s’écarte de lui en le laissant face à lui même, comme nous le suggèrent les quelques scènes précédentes (rejet au supermarché, etc…). Lucas est désormais seul, dans un lieu divin et devant tous ses pairs. Il y a quelque chose de terriblement révélateur, comme s’il passait devant un jugement dépassant allègrement le cadre de l’humanité. Qui sommes nous pour juger un homme sur la base de rumeurs et d’absence de remise en cause ? Lui seul connaît la vérité et nous sommes complètement déboussolés.
La mise en scène apportera de la nuance par de vifs et succincts plans qui pointeront l’objet de la discorde sur des tons clairs – à savoir Klara. A contrario, Lucas sombre dans la noirceur et la désolation. Ces plans, entrecoupés par la sincérité du visage du coupable désigné en viendrait presque à diaboliser la fillette aux cheveux blonds. LA CHASSE emploie, effectivement, un ton assez particulier envers la gente féminine. Si le film se montre en faveur de la masculinité, on aperçoit à l’inverse la femme de Théo parasiter ses réflexions par d’incessants et négatifs murmures. Signe qu’on est mieux entre mecs ? Tout ceci est à l’image de la scène d’introduction dévoilant des hommes chasser, se baigner et profiter de la nature sans la moindre figure féminine. Dans tous les cas, un message qui peut faire tiquer les plus féministes d’entre nous.
Finalement, c’est en grande partie par le jeu d’acteurs et une mise en scène assez virtuose que la scène de l’Église et plus globalement le long métrage dans sa totalité, force l’empathie et l’humidité oculaire. Un moment de cinéma d’une puissance inouïe, emportant tout sur son passage.