Independence Day : Resurgence a été chroniqué par Antoine dans le cadre de la rubrique Réflexions Poétiques.
Réfléchir sur le blockbuster hollywoodien, et plus particulièrement sur sa pratique ritualisée du remake ou de la suite – les deux ne s’opposant d’ailleurs pas toujours à Hollywood – implique nécessairement une analyse de la réécriture intertextuelle (co-présence d’autres films par voie de citation, de référence ou d’allusion), voire hypertextuelle, dans le but d’affirmer l’autorité du premier volet. Le cas d’INDEPENDENCE DAY : RESURGENCE s’avère à ce titre plus intéressant que le dernier Star Wars ou Pixar (Le monde de Dory) : les deux INDEPENDENCE DAY étant signés par le même cinéaste, le « plus américain des réalisateurs allemands », Roland Emmerich (White House Down, Le Jour d’après, 2012, Stargate, etc.).
Vingt ans après la sortie d’INDEPENDENCE DAY (1996), Emmerich se lance dans une « suite » mastodonte au budget doublé (200 millions de dollars) et au casting largement rajeuni (Liam Hemsworth, Jessie Usher, Maika Monroe, Travis Tope, Joey King…), sans néanmoins oublier ses propres « ruines » (Jeff Goldblum, Bill Pullman, Judd Hirsch, Brent Spiner, Vivica A. Fox). La logique qui prime ici, « faire du neuf avec du vieux », est celle qui semble régir la structure du blockbuster moderne. Les cinéastes effectuent la copie des schémas narratifs d’origine et recyclent les caractères de personnages stéréotypés (la tête-brûlée, le bon soldat, le geek, l’idylle amoureuse, les filiations parentales, etc.). En bon spécialiste du film de catastrophe, Emmerich est un habitué des trames scénaristiques attendues et sa vision du monde, un brin datée, a toujours fait le charme désuet de ses « meilleurs » films : un aspect vintage et décomplexé qui donnait par exemple à White House Down ses plus beaux moments.
Tandis qu’ici, il n’y a qu’à chiffrer les transformations ou les variations présentes dans cette suite, ou plutôt ce remake (on s’y perdrait presque), pour prouver que le regard du cinéaste n’a pas évolué depuis vingt ans. Ou, peut-être, qu’intégrer deux personnages asiatiques (Grace Huang et Chin Han) serait sa traduction personnelle d’un monde où les frontières s’affinent, voire disparaissent (sic). Plus américain que n’importe quel cinéaste américain contemporain, Emmerich offre à son public old-school le blockbuster qu’il attend et qu’il chérit : une ode à la gloire de l’homme, ou plutôt de l’américain, et de Dieu face aux figures aliénantes (technologie futuriste et menace étrangère).
Alors oui, le film semble resurgit, d’où son titre prophétique, des années 1980, voire 1990 ; vision d’un monde un peu binaire rempli d’autocitations et de références faciles (le clin d’œil à Jurassic Park avec le regard dans le rétroviseur de Goldblum), mais hélas incapable de prendre ses distances avec ses illustres prédécesseurs (Alien, Rencontre du 3ème type, King-Kong, Starship Troopers, Poséidon).
« Plus américain que n’importe quel cinéaste américain contemporain, Emmerich offre à son public old-school le blockbuster qu’il attend et qu’il chérit : une ode à la gloire de l’homme, ou plutôt de l’américain et de Dieu face aux figures aliénantes. »
INDEPENDENCE DAY : RESURGENCE pousse ainsi la copie à son paroxysme avec ces mêmes personnages-types, postés dans les mêmes vaisseaux et aux prises des mêmes relations humaines. Et si les vaisseaux sont logiquement plus imposants et les personnages secondaires plus nombreux, les scènes d’action et de destruction semblent quant à elles moins spectaculaires (en plus d’être moins nombreuses). Elles sont finalement vidées de leur dimension apocalyptique ; Emmerich ne filme plus les rues et ces anonymes fuyants le chaos ambiant et une mort certaine à l’instar des meilleures scènes du premier film (la séquence de l’Empire State Building), mais préfère largement s’attarder sur quelques individualités aux trajectoires figées dans leur caractère archétypal.
L’intérêt du premier volet résidait pourtant dans cette manière de passer du particulier à l’universel, du microscopique au macroscopique via des effets spéciaux et des maquettes impressionnantes ; un rapport d’échelle qui rendait saisissant la violence des destructions de foule et de monuments célèbres. Schéma mythique du jugement dernier d’une société occidentale déclinante, mais finalement sauvée par ses fondateurs (le Président, le Militaire et le Scientifique), le film catastrophe d’Emmerich exorcisait la crise et la conjurait par un retour aux valeurs puritaines et traditionnelles : vision ô combien consolatoire que celle d’une poignée de survivants devant reconstruire un monde purifié.
Dans cette « suite-remake » (il faut trouver un terme cinématographique à ce nouveau genre), Emmerich ne propose aucun regard sur l’œuvre originelle (alors que certains personnages ont vieilli), sur sa filmographie ou même sur le genre de la science-fiction, mais s’intéresse uniquement à la filiation et à l’héritage que son film soi-disant culte est censé évoquer auprès du public (les nouveaux films Star Trek sont à ce compte beaucoup plus ingénieux narrativement). Entreprise étrangement égocentrique, alors que cette réécriture aurait dû lui offrir une occasion en or de juger, de mettre au goût du jour, ou bien d’inventer un sujet plus contemporain, INDEPENDENCE DAY : RESURGENCE ne fait que réitérer machinalement et bêtement les mêmes schémas et archétypes sans aucune imagination visuelle ou déplacement des codes génériques.
Le film a beau jouer la carte de l’amplification, de la surenchère via une imagerie numérique elle-même incapable de dépasser l’imagination, normée et fatiguée, de leur auteur (la Reine extraterrestre du film est un mixte entre un Alien, un Transformers et un King Kong), il n’en ressort finalement qu’une pâle copie du premier film ainsi que de tous les autres films qu’il s’amuse à citer. L’hyperréalisme provoqué par les effets numériques qui, dans le cadre du film catastrophe, servent à nourrir notre imaginaire de la fin du monde, semble également atténuer la violence ressentie à l’écran. Par son excès de spectacularisation, la violence numérique fait perdre au film sa trace de vérité documentarisante (aucune image de ruines ?).
Tandis que les hommages et autres clins d’œil semblent par moment ratés, ce qui n’était tout de même pas le cas dans Star Wars VII : du discours patriotique du président au sacrifice paternel en passant par l’humour vaseux des deux jeunes mâles virils (leur relation « crypto-gay » est digne de Tom Cruise et de Val Kilmer dans Top Gun), la redite ne fonctionne plus, le monde a changé, mais seul Emmerich ne semble pas l’avoir compris, ou du moins, ne veut pas le voir, fidèle à son amour inébranlable des mythes pastoraux américains.
Avec la sortie prévue en 2017 de Blade Runner 2 et des deux films Alien (Covenant de Ridley Scott et Alien 5 de Neil Blomkamp), il sera alors grand temps de définir ce genre hollywoodien du remake sous couvert de suite, sorte de paradigme du blockbuster moderne, afin d’y déceler la sclérose mais surtout la limite d’une esthétique de la ruine cinématographique, incapable de proposer autre chose que des schémas narratifs éculés ou des figures d’une iconographie populaire totalement formatée et circonscrite à quelques modèles tout-puissants qu’Hollywood recycle copieusement.
Cette « superstructure », ce processus infini de reproduction, appelle à se renouveler éternellement (le Mythe de l’Éternel Retour est inusable et intemporel alors même que les héros vieillissent) tant que la violence que ces films étalent furieusement à l’écran n’est plus capable de clore le moindre film, car, abusée et abusive, elle nous détache de toute réalité humaine.
[button color= »white » size= »normal » alignment= »center » rel= »nofollow » openin= »samewindow » url= »#comments »]Votre avis ?[/button]
[divider]BANDE-ANNONCE[/divider]