On a rencontré Thomas Lilti pour la présentation de Première Année, troisième pan de sa trilogie du monde médical.
Rencontré à Bordeaux pour la présentation de PREMIÈRE ANNÉE– qu’on peut également voir en avant-première au Festival du Film Francophone d’Angoulême-, le réalisateur Thomas Lilti nous a offert ses réflexions sur les difficultés éprouvantes rencontrées par les étudiants post-bac, et particulièrement en médecine, mais aussi sur le choix d’un univers romanesque pour défendre un cinéma politique qui dénonce les multiples dysfonctionnements dans le système médical.
Après Hippocrate et Médecin de campagne, diriez-vous que vous arrivez avec Première année au terme de votre trilogie de la représentation du monde médical ?
– Thomas Lilti : Je ne pense pas que ça marque la fin, car c’est une source toujours renouvelable d’idées, de récits, d’aventures, je ne me ferme pas la porte car j’ai le sentiment qu’il y aura encore plein de choses à raconter. Quant à cette trilogie à l’envers, je n’avais pas imaginé qu’après Hippocrate il y aurait d’autres films sur la médecine, puis est venu Médecin de campagne, moins autobiographique. Ce n’est qu’après que j’ai eu envie de raconter cette première année. Première année vient en effet clôturer cette trilogie, avec ce petit pied de nez où le personnage de Vincent Lacoste vient interpréter un personnage plus jeune que celui d’Hippocrate, et en même temps il n’interprète pas ce personnage, plutôt joué par William Lebghil… d’ailleurs les deux s’appellent Benjamin.
Le film s’adresse-t-il aux seuls étudiants en médecine ?
– Thomas Lilti : Non, même s’il y a eu en amont un grand engouement auprès des étudiants en médecine, c’est un film de société qui s’adresse à tout le monde, concerné de près ou de loin par les études. Il traite des années post-bac où il y a une énorme compétition des études supérieures, où on a le sentiment qu’il n’y a pas de place pour tout le monde, en médecine ou dans les autres filières. Au départ d’ailleurs c’était un film sur l’Université, qui ne se passait pas dans cette première année de PACES (Première Année Commune aux Études de Santé). Je voulais raconter la difficulté de suivre des études supérieures après le bac quand on a 18 ans, qu’on se retrouve dans un monde compétitif, quand on ne sait pas trop ce qu’on a envie de faire, laissé à soi-même. Et puis, progressivement, je suis revenu à ce que je connais de mieux. J’avais aussi envie de réécrire un rôle pour Vincent Lacoste.
Pourquoi avoir inséré dans le film une forme de documentaire ?
– Thomas Lilti : Tous mes films ont cet aspect-là mais la représentation du réel seule ne m’intéresse pas tant que ça. Ce qui est source d’inspiration dans mon travail, c’est de mêler l’aspect documenté et ce sentiment de réel avec un univers romanesque et des personnages de fiction pure inspirés de gens que j’ai connus, de moi-même ou mes projections, mais à qui il arrive des choses plus grandes, plus fortes, plus belles et plus douloureuses qu’au commun des mortels. Ça me donne envie de faire des films et d’imaginer comment je mêle les deux.
Antoine (Vincent Lacoste) possède la vocation mais ne réussit pas, quand Benjamin (William Lebghil), sans avoir la vocation, est brillant et possède les codes pour réussir. Quels sont-ils?
– Thomas Lilti : Comme pour toutes les études supérieures et dans la vie, avoir les codes c’est grandir dans un univers dans lequel on a acquis malgré soi et sans en avoir conscience un héritage et une transmission culturelle et sociale, qui fait que l’entourage, les parents ou les frères et sœurs ont été des modèles. Benjamin a ainsi vu des gens qui lisaient des livres et passaient du temps à étudier, sa mère est universitaire, son père est médecin, son frère suit des études brillantes. Travailler, apprendre, tout cela lui est familier et est une suite logique de son entrée dans la vie adulte. Pour Antoine, c’est le contraire. D’un point de vue social, leurs deux mondes ne sont pas diamétralement opposés. Cela fait toute la différence mais cela ne fera pas forcément de Benjamin un bon médecin. Il se dit sans doute que son père sera fier de lui s’il fait comme lui.
« Ce qui est source d’inspiration dans mon travail, c’est de mêler l’aspect documenté et ce sentiment de réel avec un univers romanesque et des personnages de fiction pure. »
Peut-on dire qu’il y a dans vos films un fil rouge pour dénoncer l’injustice?
– Thomas Lilti : Même si c’est toujours un peu difficile de parler de son travail, je crois que ce qui est présent dans mes films, sous des allures d’un cinéma de divertissement, c’est que les gens apprennent quelque chose, dans un univers inconnu. Il y aussi l’envie d’être dans un cinéma, que j’assume comme un cinéma politique, pas spécialement engagé car mes films ne sont pas des tracts politiques ou des brûlots, mais au sens où je porte un regard sur quelque chose qui me semble être un dysfonctionnement du système. J’ai beaucoup de tendresse pour mes personnages, quels qu’ils soient, les positifs comme les autres, mais à un moment ils sont abîmés et en souffrance parce que le système est pervers et fonctionne mal. C’est ça le point commun de tous mes films.
Dans Première année, vous dénoncez donc un système ?
– Thomas Lilti : La première année est une année de sélection et non d’apprentissage. Je crois que dans l’apprentissage il faut donner le gout et l’envie. J’ai croisé peu de gens dans mes études qui m’ont transmis leur passion. Pendant cette première année, il n’y a aucune transmission. La seule transmission qui existe dans le film est entre les deux personnages, car la force de Benjamin est d’apprendre et de transmettre. Ce que j’ai appris en première année m’est totalement quasiment inutile. On augmente la difficulté de ce concours afin de pouvoir les départager de façon clairement absurde. C’est un bachotage qui n’a pas vraiment grand sens et sans lien évident avec ce que sera la pratique. Il faudrait changer le mode de sélection. Car cette première année a comme particularité que seuls 10% accéderont à la deuxième année, donc on sait dès le départ que 90% de gens seront en échec. On fabrique une machine à faire échouer des jeunes gens qui ont des rêves, qui vont devoir faire une croix sur un métier qu’ils rêvaient de de faire. La norme c’est d’échouer, pas de réussir. On peut évidemment énumérer les raisons pour lesquelles le système s’est perverti au fil des années, dont le numerus clausus.
Vous évoquez la fatigue intellectuelle des étudiants, proche du burn-out ?
– Thomas Lilti : Ça a toujours existé et ça ne fait qu’augmenter, même dans les autres filières. Il y a une grande souffrance, et on grandit depuis le collège avec un message très présent dans notre éducation répété par tout le monde (les parents, les journalistes, les politiques): il n’y a pas assez de place pour tout le monde. Donc il faut se battre pour avoir les meilleures places. On est donc prédisposé à cette bataille qui nous attend et se renforce avec les années. En cela cette première année est presque une caricature de ce monde-là. Les conséquences sont les troubles psychologiques et anxieux, les burn-out. Et il ne faut pas croire que parce qu’on a réussi son concours, le traumatisme n’a pas eu lieu. Il était autant présent chez ceux qui réussissent que chez ceux qui échouent. Il y a ainsi énormément de témoignages d’étudiants en 5ème ou 6ème année d’études qui arrêtent leurs études ou font une année de césure pour essayer de retrouver leurs esprits. Les études de médecine en particulier sont des études brutales. La première année est extrêmement violente, les autres aussi. Quand on rate, c’est qu’on est un crétin. Ça passe par plein d’humiliations. Moi j’ai réussi cette première année du premier coup, qui avait dû mettre un voile sur le traumatisme. Albert Jacquart disait « on forme ces étudiants à devenir dès la première année des tueurs » ; on prend les meilleurs tueurs pour devenir des médecins. Mais s’il y a une chose à sauver de ces années d’études supérieures, c’est que des liens très forts se créent entre les gens, des groupes d’amis ou des couples se forment, car ils ont le sentiment d’avoir partagé la même épreuve. La seule bouée de secours, c’est la rencontre et l’humanité.
Quelle attitude idéale les parents doivent-ils adopter lorsque leurs enfants se retrouvent dans ces situations ?
– Thomas Lilti : C’est un sujet passionnant, traité un peu dans le film. C’est très complexe car on sent à quel point les parents sont démunis. Les témoignages des parents me touchent beaucoup. Ils voient leurs enfants s’abîmer dans leurs études, surement pour échouer. Ils n’ont pas les armes pour les aider, souvent parce qu’ils ne comprennent pas.
Vous n’avez pas été tenté justement d’intégrer un vrai méchant, qui donnerait par exemple des faux polycopiés pour faire planter les autres étudiants ?
– Thomas Lilti : Oui on connait ces anecdotes que j’ai pensé insérer mais j’ai tendance à montrer des personnages positifs. Je trouve que le tableau est déjà tellement sombre, on sent le climat de concurrence et de compétition, on voit que certains peuvent se réjouir du malheur de l’autre. Et puis je ne trouve pas toujours très intéressant de raconter ce qu’on sait déjà, que les salauds, des grands ou des petits, même des gens très bien, ça existe.
« J’assume mon cinéma comme un cinéma politique, pas spécialement engagé, mais au sens où je porte un regard sur quelque chose qui me semble être un dysfonctionnement du système. »
Vous dites que votre réussite à ce concours vous a aussi permis d’oser faire du cinéma ?
– Thomas Lilti : Un peu comme le personnage de Benjamin, ce concours m’a aussi permis de me dire que j’étais capable de faire ça et de me poser la question de savoir si c’était ce que je voulais vraiment faire. J’ai quand même été au bout de mes études et je suis docteur en médecine, et ça m’a aussi donné le droit de faire autre chose. J’ai beaucoup pratiqué. Avoir été médecin m’a ouvert pas mal de portes dans le cinéma parce que ça renvoyait l’image d’un gars sérieux et travailleur, qui avait très envie. Par contre, dans le monde de la médecine je ne disais jamais que je faisais du cinéma !
Vous vous êtes amusé en faisant dire aux acteurs un texte très médical et incompréhensible pour le spectateur?
– Thomas Lilti : J’ai adoré l’idée qu’on n’y comprenne rien, comme une langue étrangère qu’on ne peut pas sous-titrer, pour renforcer l’idée de l’apprentissage. Les acteurs ont appris leur texte de façon quasi phonétique. J’ai quand même essayé de mettre quelques termes compréhensibles pour les spectateurs.
Pouvez-vous nous parler de la série Hippocrate, qui sera prochainement diffusée sur Canal +?
– Thomas Lilti : Je sentais qu’il y avait encore plein de choses à raconter sur l’hôpital, mais je n’allais pas faire Hippocrate 2. Parce que le film a été un succès, il y a eu l’envie de Canal + d’imaginer d’en faire une série, parce qu’en France, il a bien eu des séries hospitalières et des soap, mais pas des séries sociales et réalistes. Elle sera diffusée en fin d’année, il y aura 8 épisodes de 52 minutes, et l’écriture de la saison 2 commence en septembre.
Propos recueillis par Sylvie-Noëlle
[button color= »white » size= »normal » alignment= »none » rel= »follow » openin= »samewindow » url= »https://www.leblogducinema.com/critiques/critiques-films/premiere-annee-une-amitie-a-lepreuve-dun-concours-critique-871255/ »]Découvrez notre critique de PREMIÈRE ANNÉE ![/button]