C’est dans un café parisien du 11e arrondissement, un jour de grosse pluie, bien loin du soleil du sud-ouest que l’on voit dans Les Rois du monde, que nous avons rencontré son réalisateur Laurent Laffargue. Un homme que l’on connaît avant tout au théâtre mais pour qui le cinéma a toujours eu une place importante. Le voyant enchaîner cafés et cigarettes, nous découvrons un personnage complet et complexe, aussi à part que son film, capable de faire référence à Shakespeare et aux tragédies grecques autant qu’à Haneke ou Sylvester Stallone.
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Le synopsis des Rois du monde décrit le film comme : « une tragédie grecque façon western ».
– Laurent Laffargue : C’est exactement ce que je voulais faire. J’ai notamment été influencé par Homère, Hector et Achille. Cependant je dirais plutôt qu’il s’agit d’une tragédie burlesque. Car il y a une part de comédie dans le film. Sans me comparer aux frères Coen, je dirais qu’il y a un peu de ce même rire spécial. En fait, le problème c’est que le cinéma a parfois tendance à s’enfermer. A partir du moment où on fait de la tragédie on dirait qu’on n’a pas le droit de passer dans la comédie. Or c’est justement ça la vie.
Cette influence du théâtre, on la ressent dans les dialogues et la façon dont ils sont parfois mis en scène, comme en aparté.
– L.F : Oui enfin ce n’est pas que le théâtre qui fait ça. Je dirais que c’est plus du Bertrand Blier. On y pense pas souvent mais ce qu’il fait est très théâtrale. C’est ce que j’adore chez lui. C’est très écrit au niveau des dialogues, de la même manière que ce que faisait Michel Audiard. On écrit plus comme ça. J’ai l’impression que désormais le cinéma est de plus en plus proche du naturalisme.
Dans le film il y a un thème rock qui revient à plusieurs reprise. Un rock puissant, énergique et en même temps porté par une part tragique.
– L.F : C’est exactement ça, je ne peux pas dire mieux ! (rire) On entend ce thème au début, lorsque Céline Sallette danse dans la cuisine, et il a été retravaillé pour des scènes avec les jeunes. Ce morceau, c’est vraiment un tube pour moi. D’ailleurs on a invité Romain Humeau, chanteur du groupe Eiffel, à chanter dessus. De manière plus générale, on a travaillé la musique avec Joseph Doherty de façon à ce qu’elle s’inscrive dans les silences. Elle n’est pas omniprésente car elle laisse place au jeu, aux dialogues, au sens.
Justement cette scène où Céline Sallette danse, vous avez fait le choix d’un plan large, caméra posée, sans montage. Une nouvelle fois une forme cinématographique particulière pour aujourd’hui. Vous nous-en parlez ?
– L.F : En fait cette séquence je l’ai monté, rejoué, resserré, mais à la fin je l’ai gardé dans le plan large. C’est sûr c’est un cinéma particulier. Si on regarde le cinéma d’Haneke, la caméra ne bouge pas. Egalement dans Une Séparation d’Asghar Farhadi. Le film démarre, la caméra ne bouge pas et reste devant un couple qui ne bouge pas non plus. Tout se joue dans le jeu. Alors là plus théâtrale tu meurs ! Et en même temps c’est typiquement cinématographique. On ne sait pas où est la limite en fait.
Finalement, en dépits de votre parcours, principalement dans le théâtre, vous-êtes très lié au cinéma. Comment voyez-vous les deux ?
– L.F : Oui bien sûr j’ai fais beaucoup de théâtre, mais j’ai également beaucoup d’influence du cinéma. Ce que permet le cinéma c’est le gros plan, c’est une manière de jouer qui nécessite moins de volume. Et surtout c’est le montage derrière. C’est pour ça que ce n’est pas le même plaisir pour les acteurs. Ils ont davantage de contrôle dans le théâtre. Avec le cinéma on est un peu plus dépossédé.
”Je suis surtout dans la passion de raconter des histoires. C’est juste l’outil qui change.”
Les Rois du monde forme un triptyque avec deux pièces de théâtre, Casteljaloux et Casteljaloux II. Quelle était votre approche pour celles-ci ?
– L.F : Oui toute cette histoire remonte à 6 ans. D’abord, je l’ai écrit sous une forme plus expérimentale où je jouais seul huit personnages. Sauf qu’en même temps je digressais, je parlais de moi, de mon enfance, de ce que j’étais en train d’écrire. En fait j’étais le lien entre les personnages. Donc le côté autofiction était encore plus prononcé. Par la suite, j’ai écrit pour dix comédiens. Et enfin il y a cette version que j’ai pensé pour le cinéma. Mais dès le départ j’avais cette idée un peu folle de triptyque.
Du coup avec le film, la page Casteljaloux est définitivement tournée ?
– L.F : Pas forcément. Je pourrais en faire une série par exemple. J’ai suffisamment de personnages qui ont des choses à dire. Je pourrais par exemple me consacrer à Jean-François, l’homosexuel de Casteljaloux, ou revenir sur la scène des huissiers, raconter leur vie à côté. Mais bon je vais quand même faire une pause pour l’instant.
Vous pensez poursuivre dans le cinéma ?
– L.F : Bien sûr. J’ai déjà deux scénario en cours. En fait j’ai toujours voulu faire du cinéma. Même au théâtre je fais référence au cinéma. Et finalement ce milieu n’est pas nouveau pour moi. Je suis aussi acteur donc j’ai assisté à beaucoup de tournage. Il y a aussi l’écriture maintenant qui change mon rapport au cinéma. Mais au fond je suis surtout dans la passion de raconter des histoires. Après, c’est juste l’outil qui change.
Vous avez touché à beaucoup de choses dans le théâtre.
– L.F : En effet, durant mes 24 ans de mise en scène j’ai toujours alterné entre grands classiques et auteurs contemporains. De Shakespeare, à Pauline Sales, avec Edward Bond, Daniel Keene ou encore Harold Pinter. C’est un peu mes grands frères tout ça.
Entre cinéma et théâtre, avez-vous ressentie des différences ou des difficultés ?
– L.F : Non pas vraiment. Ce qui compte c’est le sens, ce qu’on veut véhiculer à l’image. Les possibilités sont plus grandes au cinéma, elles sont infinies. Mais la relation avec le public n’est pas pareil. C’est ce qui fait que le théâtre évolue beaucoup. Le spectacle vivant porte bien son nom puisqu’il évolue avec le spectateur, qui est également acteur au théâtre. D’ailleurs il y a ce paradoxe de demander au spectacle vivant d’être prêt le jour de la première. Ce qui est impossible puisqu’il manque le public. Avec le cinéma, on peut être surpris du résultat, mais on ne peut pas le changer.
Dans le film, le personnage joué par Eric Cantona, Jacky, reste calme mais finit par exploser. On pense forcément à lui lorsqu’il était joueur. Et ce jour où, durant un match, il en a eu assez des insultes d’un supporter et s’est jeté sur lui.
– L.F : Oui je m’en souviens. Ce supporter c’était un chef de hooligans en fait. Mais bien sûr que j’ai conscience de ça lorsque je fais le film. J’en joue. L’idée c’est de ne pas réveiller la colère d’un homme. Je le répète souvent mais c’est Sylverster Stallone qui a fait son succès mondial là-dessus. En cela le premier Rocky est génial ! C’est l’histoire d’un mec qui est le plus sympa du monde et dont il ne faut pas réveiller la colère. Mais dans mon film je pense qu’on a pas forcément envie que sa colère se réveille, simplement on sent que ça va peut-être mal se finir cette histoire.
Face à lui il y a Jeannot (Sergi López) qui apparaît complètement fou. Que peut bien lui trouver Chantal ?
– L.F : Non il n’est pas que fou. C’est un homme qui est de plus en plus abîmé et qui a un amour très monomaniaque. Mais je pense que sa folie fascine surtout. C’est une histoire de passion, d’un amour qu’on ne peut contrôler. Mais encore une fois c’est ça la vie ! Si c’était si simple l’amour ça se saurait. On ne choisit pas qui on aime. Et heureusement d’ailleurs que ça nous dépasse.
Enfin face à ce trio d’adultes, Chantal, Jeannot et Jacky, il y a un autre trio, celui des jeunes qui suivent le cours de théâtre de Chantal. Quelle est leur place dans le film ?
C’est surtout une mise en miroir entre le parcours d’un adolescent, Romain, et celui de Chantal. Il y a l’idée de transmission dans leur relation. Ce qu’elle n’a pas pu faire, c’est-à-dire partir, elle fait en sorte que Romain le fasse. La question du départ est essentielle. C’est synonyme d’avancer et d’évoluer. D’ailleurs c’est ce que dit Jeannot à la fin : « Dans la vie, il y a deux sortes d’hommes, ceux qui restent et ceux qui partent ». Là dessus il y a de quoi se poser beaucoup de question je pense.
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