ENCORE HEUREUX est une comédie dramatique à la française comme on les aime, bien écrite, très bien jouée et à l’éventail émotionnel large, une combinaison gagnante.
Benoît Graffin évite intelligemment les situations clichés, gags et autres portraits caricaturaux. Il préfère conserver un savant dosage entre sujet à dimension profonde et traitement léger. Il faut dire qu’il n’en est pas à son premier essai puisqu’il affiche de nombreux succès en tant que scénariste (Après vous, Hors de prix , La fille de Monaco, Quand je serais petit) et signe avec ENCORE HEUREUX son troisième long métrage en tant que réalisateur. Il s’attaque ainsi avec brio au couple, à la famille et… à la galère financière !
Marie et Sam s’aiment, mais Sam est au chômage depuis 2 ans. Ancien cadre supérieur, il ne parvient pas à sortir la tête de l’eau et tente tout et (surtout) n’importe quoi pour gagner une poignée d’euros et reconquérir l’estime de sa femme. Leur fille aînée n’entend pas laisser cette situation durer plus longtemps et s’en mêle. Leur vie quotidienne, déjà atypique, tourne alors au fiasco totalement fou !
Pour incarner ce couple dans une mauvaise passe qui s’éternise, Benoît Graffin a réuni Sandrine Kiberlain et Édouard Baer. Excellent choix ! Le duo d’acteurs fonctionne à merveille. Ils affichent une complicité folle et leur tandem très heureux insuffle au film une lumière joyeuse, un ton ludique et le grain d’intensité qui en fait un film bien nuancé. Édouard Baer est particulièrement émouvant en ours extravagant à la gueule de « chien battu », comme il se définit lui-même ; « J’y peux rien c’est ma gueule » lance-t-il ! Il fait sourire évidemment mais il parvient surtout à nous toucher. Le comédien sait apporter à son personnage d’homme épuisé mais optimiste son étincelle de folie naturelle et sa verve tantôt exaltée, tantôt brisée. Ainsi, il passe de l’enthousiasme le plus total dans les scènes où il pense être sorti d’affaire, à la lassitude touchante au moment où le sort semble finalement s’acharner.
Face à lui, Benjamin Biolay nous conquiert en riche homme d’affaire esseulé et amoureux. Son charisme mystérieux, sa voix chaude et sa nonchalance naturelle s’opposent à la gaucherie charmante du personnage d’Edouard Baer, et en fait un parfait rival. Grâce à eux deux, ENCORE HEUREUX bénéficie d’un duo masculin au charme fou.
Sandrine Kiberlain offre toute sa superbe au film !
Mais la plus belle performance du film – et il faut le dire, qui efface quelque peu celle des autres – revient à Sandrine Kiberlain. C’est elle qui donne incontestablement toute sa superbe au film ! La comédienne prouve une fois de plus l’étendue de son talent, passant avec une aisance naturelle déconcertante du registre léger aux émotions les plus contenues et intimes. Ainsi, si pendant la grande majorité du film elle affiche insouciance et spontanéité, elle se dévoile fragile et vulnérable dans la séquence finale.
Marie, son personnage, assure l’intendance et l’humeur du foyer depuis des années avec un optimisme qui force le respect. Comme le dit la concierge de l’immeuble, « elle ne se plaint jamais », elle sourit même ! La désinvolture à laquelle fait croire Marie n’est rien de plus que l’expression d’une force intérieure redoutable. Car dans ENCORE HEUREUX, la femme se fait lionne et met tout en œuvre pour tenir tête au sort et garantir à ses enfants la normalité de leur vie de famille.
À travers ENCORE HEUREUX, Benoît Graffin fait donc de la femme le sexe fort. Celui qui se lève, se bat, orchestre la vie quotidienne et donne le ton. Alors que dans son film les hommes sont soit déprimés et en hibernation, soit dans l’opulence (et donc dans une sorte de stagnation confortable), c’est bien la figure féminine (mère ou fille) qui est la seule agissante et qui fait, seule, preuve de combativité. Pour le réalisateur, le courage est une histoire de femmes !
Enfin, bien que nous soyons dans le registre tragi-comique, ENCORE HEUREUX rend compte du contexte social difficile des quarantenaires au chômage. Toutefois, il adopte une posture très discrète sur les éventuelles interprétations trop politisées de son film, se contentant d’en distiller le constat à dose homéopathique dans les limites de la toile de fond du récit. Benoit Graffin livre là un film définitivement frais qui pousse à voir le verre à moitié plein, et qui se place du côté de la lumière et de ceux qui croient en demain. Ça fait du bien !
Sarah Benzazon
• Réalisation : Benoît Graffin
• Scénario : Benoît Graffin
• Acteurs principaux : Sandrine Kiberlain, Edouard Bear, Anna Gaylor, Benjamin Biolay
• Date de sortie : 27 janvier 2016
• Durée : 1h33min