Les salauds dorment en paix
© 1960, TOHO Co., Ltd. Tous droits réservés.

[CRITIQUE] LES SALAUDS DORMENT EN PAIX (1960)

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Photographie
9
Mise en scène
9.5
Scénario
9
Acteurs
9
Fatalisme
9.5
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0
9.2
Note du rédacteur

Neuf films du cinéaste japonais culte, Akira Kurosawa, reviennent sur les écrans en mars 2016 dans de sublimes copies restaurées par Carlotta Films (découvertes lors du Festival LUMIÈRE 2015). Parmi ces pépites : LES SALAUDS DORMENT EN PAIX. Un film contemporain des années 60 qui survient, dans la filmographie du cinéaste, après trois films historiques (juste après La Forteresse Cachée) et juste avant Yojimbo. Un film qui, une fois n’est pas coutume (ironie…) met en scène Toshirô Mifune. Un film qui, pour changer des samouraïs, des forêts et des sabres, donne à voir des hommes d’affaires, des bureaux et de la corruption dans une relecture d’Hamlet originale. Un film qui marque aussi les débuts de la société de production de Kurosawa. Ce qui lui permet alors de choisir ses propres thèmes. Voilà pour le contexte.

Le long-métrage s’ouvre sur une scène de mariage entre le loyal secrétaire particulier, Koichi Nishi (Toshirô Mifune), d’un puissant homme d’affaires, et la fille de celui-ci. Les festivités du repas de noces sont troublées par une succession d’événements : l’arrestation de l’un des comptables de la société et l’arrivée d’une mystérieuse pièce montée faisant écho au suicide d’un employé cinq ans auparavant. Tout cela jette bien évidemment un froid avant de mettre à jour un vaste scandale financier. Le jeune marié, Nishi, s’avérera être au centre de l’intrigue…

Photo du film LES SALAUDS DORMENT EN PAIX
© 1960, TOHO Co., Ltd. Tous droits réservés.

Sans en dire plus, pour ne pas gâcher la surprise, notons d’abord comment, dans une sorte de boucle parfaite, Kurosawa a puisé ses influences du côté des États-Unis avant d’inspirer à son tour les plus grands Américains. Aussi, l’ouverture du film, avec le mariage et les coupures de presse qui suivent, a inspiré Coppola pour son Parrain. Passée l’anecdote, clairement LES SALAUDS DORMENT EN PAIX cherche à s’inscrire dans la plus pure tradition du film noir. Entre ce noir et blanc maîtrisé de bout en bout, ces lumières soignées et cette recherche constante du cadre parfait, Kurosawa fait preuve d’une technicité d’orfèvre. Le film est beau. Vraiment beau. Il affiche en outre une particularité étonnante, avec le choix d’un format d’image en 2:35 – très large – alors que l’action se situe en intérieur. Utilisé pour la première fois lors de son précédent film (La Forteresse Cachée), Kurosawa s’en était servi pour faire « éclater à l’écran la beauté des lieux ». Dans LES SALAUDS DORMENT EN PAIX, le but est tout autre. Récemment, Tarantino a opté pour une esthétique similaire dans Les Huits Salopards. Chez l’Américain, le dispositif donne alors de l’air et de la grandeur à des espaces clos plutôt exiguës. Il permet de respirer. Chez Kurosawa, il insuffle une sorte de dramaturgie supplémentaire par l’image, donnant, à l’inverse une sensation de vertige ou d’écrasement dans ces environnements faits de finances, de corruptions et de fatalité. En tout cas, le résultat est surprenant et l’image colle à la rétine. Certains plans, comme des tableaux, font déjà du film un incontournable.

« Avec LES SALAUDS DORMENT EN PAIX, Kurosawa livre un de ses films les plus sombres. »

Mais au-delà de l’aspect technique, ultra léché, LES SALAUDS DORMENT EN PAIX marque tout autant par son propos. « J’ai voulu choisir un sujet valable et profitable à la société, au lieu de chercher seulement le succès commercial. J’en suis arrivé à traiter un sujet d’escroquerie. Parmi les « salauds » en ce monde, les gens qui se servent de l’escroquerie sont pires que les autres. Sous le couvert d’une organisation, ils commettent le mal à un point inimaginable pour les gens ordinaires », expliquait Kurosawa pour justifier le fait de ne pas avoir fait un nouvelle œuvre historique. Pour parler d’escroquerie et des « salauds » du monde, le cinéaste et ses coscénaristes partent de la quête d’un fils pour venger son père défunt, traitée comme dans un polar tragique, et posent les jalons d’un questionnement plus grand. Ils explorent alors les mécanismes à l’œuvre dans un système économique et politique japonais d’après-guerre qu’ils dénoncent.

Photo du film LES SALAUDS DORMENT EN PAIX
© 1960, TOHO Co., Ltd. Tous droits réservés.

Ces mécanismes sont aussi traduits dans la mise en scène. Précise. Chaque mouvement de caméra, chaque déplacement d’acteur poursuivent un but. Rien, jamais, n’est laissé au hasard dans ce jeu de pistes à la noirceur insondable. Des bureaux d’entreprises aux ruines d’un Japon peinant à se remettre de la guerre, Kurosawa déroule un message qui pourrait presque paraître sarcastique s’il n’était pas d’un fatalisme glaçant. Avec férocité, le réalisateur semble nous assurer que tout cela est sans fin. Et que, oui, les salauds dormiront bien en paix, semant la mort et le désespoir sur leur passage. Même, Nishi, pose au final la question de la moralité de la vengeance. « Il est difficile de haïr le mal sans pour autant se laisser posséder par lui », dira-t-il.

Après La Forteresse Cachée et son récit d’aventure enlevé, libre et drôle par moment, Kurosawa livre là un de ses films les plus sombres. Haletant, le film se déguste comme une enquête policière avant de laisser place, sous le vernis de la vengeance personnelle, à la machine affreuse que peut être la finance, créant des monstres inconscients de ce qu’ils sont, prêts à trahir les leurs pour sauver leur peau.

Etioun

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Qui marche sur la queue du tigre… (1945)
Je ne regrette rien de ma jeunesse (1946)
Un merveilleux dimanche (1947)
L’Ange ivre (1948)
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– Vivre dans la peur (1955)
La Forteresse cachée (1958)
Les Salauds dorment en paix (1960)
Yojimbo – Le Garde du corps (1961)
Sanjuro (1962)
– Entre le ciel et l’enfer (1963)

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[divider]INFORMATIONS[/divider]

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Affiche du film LES SALAUDS DORMENT EN PAIX

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Titre original : 悪い奴ほどよく眠る – Warui yatsu Hodo yoku nemuru
Réalisation : Akira Kurosawa
Scénario : Akira Kurosawa, Ryuzo Kikushima, Shinobu Hashimoto, Hideo Oguni, Eijiro Hisaita, Mike Y. Inoue
Acteurs principaux : Toshirô Mifune, Masayuki Mori, Kyôko Kagawa
Pays d’origine : Japon
Sortie : 9 mars 2016 – Version restaurée
Durée : 2h31
Distributeur : Carlotta Films
Synopsis : M. Iwabuchi, puissant homme d’affaires, s’apprête à marier sa fille Yoshiko à son secrétaire particulier, Koichi Nishi. Les festivités du repas de noces sont troublées par une succession d’événements : l’arrestation de l’un des comptables de la société et l’arrivée d’une mystérieuse pièce montée faisant écho au suicide d’un employé cinq ans auparavant. Éclate bientôt un scandale financier mettant en cause le fonctionnement de la compagnie. Au cœur de cette tempête médiatique, le fidèle Nishi se révèle bientôt moins loyal qu’il n’y paraît…

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Rédacteur depuis le 16.05.2015
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