Le samedi 28 janvier 2017, on apprend la douloureuse nouvelle : L’acteur John Hurt s’est éteint le 25 janvier à l’âge de 77 ans. Rendons lui hommage.
Pas la peine de citer une fois encore la pléiade de personnalités artistiques qui nous ont quitté ces deux dernières années, il y en a malheureusement beaucoup, et pas des moindres. Mais l’annonce du décès du comédien britannique a de quoi faire ressentir un sentiment particulier, au-delà de l’émotion relative à la sympathie de sa personnalité (et de son accent délicieux) : Il n’y aura donc plus de films avec John Hurt. Jamais. Comment être préparé à cette réalité… L’acteur était encore très actif au cinéma – actuellement aux côtés de Natalie Portman dans Jackie, prochainement en père qui cherche à se réconcilier avec son fils dans That Good Night ou encore prédécesseur de Winston Churchill dans Darkest Hour (annoncé pour janvier 2018). Ce boulimique du grand écran ne semblait pas décidé à prendre sa retraite. Le sort l’y aura contraint, et c’est donc avec regret que nous saluons aujourd’hui la carrière d’un comédien immense. Non pas en revenant sur ses films les plus populaires ; de nombreux articles s’y sont déjà employés, et avec raison, tant le comédien a pu y exceller. Mais faisons lui plutôt l’honneur de redécouvrir l’un de ses films méconnus, où il livre une interprétation d’une sensibilité et d’une intelligence qui n’ont rien à envier à ses rôles les plus acclamés : le thriller franco-britannico-espagnol Crimes à Oxford (2008) d’Alex de la Iglesia.
Après Le Crime farpait et avant Les Sorcières de Zugarramurdi, le réalisateur espagnol s’était donc essayé au thriller, et même pourrait-on dire au thriller mathématique. C’est la grande idée du film, qui lui permet de se forger son identité propre dans le grand genre du whodunit : faire de la traditionnelle enquête policière une énigme d’arithmétique. Cela peut paraître assez abstrait au premier abord, voire indigeste, mais la réalisation efficace d’Alex de la Iglesia, l’inventivité du scénario et surtout l’interprétation des comédiens confèrent au long-métrage une force impressionnante. On retrouve ainsi John Hurt dans le rôle d’Arthur Seldom, professeur érudit et adoré, pour ne pas dire déifié, par ses admirateurs. Parmi eux se trouve Martin (Elijah Wood), jeune étudiant américain fraîchement débarqué sur le sol britannique, qui rêve d’attirer l’attention de l’éminent mathématicien.
Les deux hommes se retrouvent liés lorsqu’ils découvrent ensemble le meurtre de la logeuse de Martin, que connaît bien Seldom par ailleurs… Plusieurs crimes vont suivre, tous réunis par un seul point commun : la présence sur les lieux du crime de symboles mathématiques, à chaque fois différents, qui une fois rassemblés forment une suite mystérieuse dont nos héros vont s’employer à comprendre le sens afin de prévenir de nouveaux meurtres. La virtuosité du film réside dans l’intégration de son thème principal au cœur de chacun de ses enjeux : les mathématiques ne servent pas seulement à élucider les meurtres, ils sous-tendent l’ensemble des rapports entre les personnages, les font évoluer, dans le meilleur comme dans le pire. Martin cherche à impressionner Seldom avec sa connaissance des nombres, le professeur lui-même n’existe que par celle-ci. Elle lui vaut sa popularité auprès de ses élèves, et y compris auprès de la gente féminine, puisqu’on apprend rapidement que le personnage de Lorna (Leonor Watling), avant de se laisser séduire par Martin, entretenait des rapports privilégiés avec son idole…
Plus largement, l’accès au savoir (scientifique) et à la vérité (découvrir l’assassin) hante les personnages du début à la fin du film, sous la forme de la compétition entre le professeur et son élève – qui se montrera le plus intelligent ? – et sous la forme du dilemme pour Martin, qui va bien vite se rendre compte de l’incompatibilité entre une quête obsessionnelle de connaissance et une relation amoureuse épanouie…
Sans trop en dévoiler, on peut souligner la subtilité bienvenue de l’intrigue romantique : bienvenue parce qu’a priori très classique, voire cliché, le personnage de Lorna ne semblant n’être que « la fille » dont le seul intérêt serait sa relation avec les hommes qui eux font avancer l’histoire. Mais elle se révèle finalement bien plus lucide qu’eux, les confrontant à leurs faiblesses refoulées – Arthur, aussi intelligent soit-il, est incapable d’empathie. Et Martin en impressionnant son mentor semble rechercher plus qu’un simple sentiment de reconnaissance…
Mais celui qui éblouit le spectateur du début à la fin, celui dont le personnage demeure le plus mystérieux, et donc le plus passionnant, reste incontestablement John Hurt. L’acteur offre au film un jeu d’une finesse savoureuse : il fait de Arthur Seldom un être captivant, et l’on ne peut que comprendre la fascination du reste des personnages à son égard… Monstre d’orgueil galvanisé par ses certitudes dans la première partie du film, il vacille à l’approche du dénouement. Le comédien incarnant avec une subtilité éblouissante la perte de contrôle progressive du personnage, il faut (re)découvrir ce thriller captivant, dont l’intrigue regorge d’inventivité. La mise en scène est certes classique, mais elle permet en cela une lisibilité toujours fluide d’un scénario aux retournements de situations nombreux, et une efficacité redoutable dans le propos, servi avec brio par des comédiens magnifiques.
John Hurt s’en est allé, mais ses rôles demeurent : ainsi ne nous privons pas de continuer à le faire exister, au moins un peu, au moins en partie, au moins sur l’image. Il y a ceci de formidable avec les comédiens : simples mortels comme les autres, ils semblent parvenir à une forme d’éternité quand leur art atteint de tels sommets que ni la pellicule ni l’esprit des spectateurs ne pourrait les effacer… John Hurt était de ceux-là.
A.A
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