adaptations de romans

#ADAPTATION. n°4 : la parole à Katell Quillévéré, Radu Mihaileanu, Stéphane Brizé et Vincent Perez

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Novembre a été un mois particulièrement riche en adaptations de romans au cinéma avec pas moins d’une dizaine de films. Ainsi Mademoiselle, librement adapté du roman Fingersmith de Sarah Waters par Park Chan-Wook, Mal de Pierres de Milena Agus, réalisé par Nicole Garcia, Inferno de Dan Brown, réalisé par Ron Howard ou encore Les beaux jours d’Aranjuez de Peter Handke, adapté par Wim Wanders.

On a eu la chance de rencontrer lors de la présentation de leurs films à Bordeaux quatre réalisateurs adaptateurs de romans : Katell Quillévéré pour Réparer les vivants de Maylis de Kerangal, Radu Mihaileanu pour le roman de Nicole Krauss L’histoire de l’amour (The story of love), Stéphane Brizé pour Une vie de Guy de Maupassant et enfin Vincent Perez pour Seul dans Berlin (Jeder stirbt für sich allein), le roman de Hans Fallada. Mis à part Stéphane Brizé, il s’agit pour tous de leur première adaptation littéraire. On a voulu en savoir plus sur leur envie et les libertés prises par rapport au texte original. Les réalisateurs se sont aussi exprimé sur les relations éventuelles avec l’écrivain, voire la pression et le regard final sur l’œuvre filmée.

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Radu Mihaileanu

Ce qui ressort comme le plus souvent à l’origine de l’envie d’adapter, c’est d’abord la rencontre du réalisateur avec le livre. Bouleversante pour Radu Mihaileanu car le sujet de la force de l’amour dans le  monde actuel de déchirement des liens, lui parlait depuis longtemps. Cette envie a même été vécue comme une urgence de se l’approprier pour Katell Quillévéré, qui considère que l’adaptation d’un roman relève véritablement d’un prélèvement qui réénergise le récit. Pour d’autres, il s’agit plus d’une résonance personnelle. Vincent Perez y a ainsi vu un rapport fort avec sa propre histoire familiale (sa grand-mère allemande) et une réponse à sa curiosité quasi-obsessionnelle pour cette période. Quant à Stéphane Brizé, il s’agit plus du « ressenti d’une fraternité, un regard sur le monde identique avec Jeanne et une impossibilité commune de faire le deuil avec le paradis de l’enfance et les illusions« .

Une vie
Une vie

Leurs émotions en tant que lecteurs se retrouvent d’ailleurs dans de puissantes scènes de leurs films, telles la scène d’ouverture du surf dans Réparer les Vivants ou la dernière phrase de Une Vie « la vie ce n’est jamais si bon ou si mauvais qu’on croit ». Pour Katell Quillévéré, les films sont d’ailleurs toujours liés aux peurs et aux désirs mêlés des réalisateurs: Réparer les vivants l’a ainsi renvoyée à un vécu avec l’hôpital et lui a offert une proposition de catharsis. Il y a aussi un effet miroir avec leur propre personnalité pour certains personnages.Vincent Perez s’est ainsi fortement identifié à celui du Commissaire Escherich, quand Radu Mihaileanu a mis beaucoup des traits de caractère de son propre père dans le personnage de Léo.

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Katell Quillévéré

Quelque soit le sujet, les réalisateurs se retrouvent toujours confrontés à deux types de choix scénaristiques et cinématographiques par rapport au récit original : la mise en scène et les personnages. Il s’agit d’abord de savoir si l’ordre chronologique dans le roman doit être respecté à l’écran. Aussi bien Vincent Pérez que Katell Quillévéré ont décidé de suivre la chronologie du récit, qui s’y prêtait. Pour la réalisatrice, le cinéma permet de faire décoller l’histoire avec lyrisme et d’apporter du mouvement, véritable ADN du film. Elle y a vu un réel enjeu poétique à imager l’écriture et s’est laissée « traverser, inspirer, nourrir par l’œuvre avant de la digérer et la transposer« . Il lui semblait indispensable de montrer toutes les étapes de l’opération afin de mesurer la puissance du cœur et d’en saisir le mystère et le sacré. C’est grâce au travelling qu’elle a pu retranscrire la sensation du flux et cette circulation du vivant.

Radu Mihaileanu et Stéphane Brizé ont préféré déconstruire la narration, souvent à grand renforts de flash forwards. Le réalisateur d’origine roumaine fait confiance au spectateur habitué aux séries américaines, pour remettre en place les bouts du puzzle. Mais il reconnaît que c’était un vrai casse-tête car il devait répondre de façon synthétique à deux questions essentielles : comment simplifier et comment rendre la structure digeste. Hélas, vu le nombre restreint de spectateurs, il semble que cela n’ait pas vraiment fonctionné. Pour Stéphane Brizé, la question essentielle dans le roman Une Vie, c’était le temps. En convoquant des outils de narration différents, comme le point de vue unique de Jeanne, il a veillé à ne pas perdre le spectateur, ni à mettre ses pas dans ceux de Maupassant. « Je voulais retranscrire ce réel qui fait douloureusement irruption dans le monde parfait utopique de Jeanne, tout en essayant de rendre passionnants les temps morts d’une séquence« .

Seul dans Berlin
Seul dans Berlin

Vincent Pérez confirme quant à lui la difficulté à montrer le temps qui passe, surtout dans l’anecdotique, puisque l’histoire de Seul dans Berlin se déroule sur plus de trois ans. Il a finalement choisi de ne pas suivre sa première idée d’indiquer les dates à l’écran.
Certaines scènes fondamentales d’un roman ne sont pourtant pas évidentes à adapter visuellement. Ainsi, Katell Quillévéré trouvait par exemple obscène d’incarner de manière spectaculaire la violence originelle de l’accident. Voulant être à la hauteur du ressenti des personnages, elle a eu « l’idée du tube de la vague amniotique, qui permettait à la fois d’incarner le rêve éveillé et l’endormissement au volant« . Tout comme Stéphane Brizé, qui tenait à mettre en scène la nature telle qu’il l’avait vue dans Une Vie, « comme l’expression de la psyché et des émotions de Jeanne« . De fait les belles images du vent dans les feuilles et de la pluie peuvent paraître un peu longues au spectateur !

Enfin, certains choix d’adaptation peuvent être vécus par les réalisateurs comme douloureux, presque sacrificiels. Vincent Pérez, conscient que le reproche peut lui être fait, regrette ainsi ne pas avoir pu tourner son film en allemand. Adapter l’auteur Hans Fallada n’intéressait pas les producteurs allemands, et il lui a fallu attendre que le livre soit réédité et devienne un best-seller aux Etats-Unis en 2010, facilitant le tournage en anglais et le casting international.

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Vincent Pérez

Enfin, le lecteur du roman s’attend souvent à retrouver au cinéma le respect fidèle, sinon de l’histoire, au moins de certains personnages. Car l’imaginaire, tel un bagage encombrant, s’est déjà emparé de lui. Son regard et ses émotions indélébiles lui donnent des attentes voire des exigences encore plus fortes que le spectateur qui ne connaît pas l’oeuvre originale. Les libertés prises à propos des personnages par un réalisateur ont généralement pour objectif de servir l’œuvre, et l’accent mis sur certains personnages ou le regard différent porté par le réalisateur peuvent encore passer. On n’est donc pas trop gêné quand Vincent Pérez s’attache dans Seul dans Belin au couple Qvanger et au commissaire, laissant de côté les autres protagonistes de l’immeuble. Ou quand Radu Mihaileanu ne développe pas dans L’histoire de l’amour la vie du personnage de Zvi au Chili, préférant se concentrer sur l’histoire de Alma et Léo.

L'histoire de l'amour
L’histoire de l’amour

De même, le choix de Stéphane Brizé d’accorder plus de bienveillance que Maupassant envers Jeanne est également compréhensible. Il refuse de la présenter comme une cruche qui se fait rouler dans la farine et on lui est presque reconnaissant de le voir préférer « la beauté de son âme qui accorde son pardon« . Ou lorsqu’il atténue le coté caricatural de l’abbé Tolbiac décrit dans le roman comme une « pourriture exaltée intégriste, qui a un rapport extrême à la vérité « .

Par contre on est plus réservé à propos des personnages inventés de toutes pièces par le réalisateur, comme celui d’Anne, incarnée par Alice Taglioni, dans Réparer les vivants. Katell Quillévéré reconnaît avoir mis en balance sa propre intuition de l’expérience du film par rapport au roman. Elle savait que le film tombait si l’histoire d‘amour ne fonctionnait pas entre les deux femmes, et ne voulait pas se contenter de montrer le personnage de Claire seulement comme une mère. Il lui fallait une femme amoureuse, avec une raison de se risquer à la greffe. Certes, mais ce choix n’a semble-t-il pas convaincu les lecteurs du roman.

Réparer les vivants
Réparer les vivants

Il est également intéressant de savoir comment les réalisateurs ont vécu la réaction de l’écrivain face à leur œuvre. Radu Mihaileanu a eu un peu peur de la réaction de Nicole Krauss et a souhaité la rencontrer avant de se lancer. Il tenait à la rassurer sur le fait qu’il ne trahirait pas l’esprit du livre car il savait que la tentative d’adaptation de The story Of Love, prévue à l’origine par Alfonso Cuarón, avait été vécue comme une expérience douloureuse. L’écrivain Maylis de Kerangal n’a pas souhaité non plus s’impliquer dans le scénario mais est restée un repère symbolique avec un droit de regard à chaque version. Elle a même accompagné le film dans de nombreuses présentations, dont Venise.

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Une vie

Quant à Stéphane Brizé, qui signe sa seconde adaptation après Mademoiselle Chambon de Eric Holder, les choses sont claires: il estime ne pas trahir l’auteur, mais prolonger les émotions ressenties à la lecture du livre. Son problème n’est d’ailleurs pas de savoir ce que pense l’auteur de son adaptation: « quand j’achète les droits, l’auteur doit accepter le point de vue du metteur en scène qui raconte l’histoire autrement« .

Bien sûr, l’exercice est différent avec un auteur décédé… il y a le poids de l’œuvre, qui peut être écrasant, voire paralysant, surtout si elle est dans l’inconscient collectif. Ainsi Vincent Pérez, qui n’a conservé qu’un quart du roman, a veillé au respect du livre sans trahir l’auteur. Pour lui, la langue d’un scénario est même à l’opposé de celle d’un roman et assume le « Less is more ». Quant à Stéphane Brizé,  le plus grand combat contre la littérature pour accéder à un chemin de cinéma, c’est le temps qu’il lui a fallu pour se détacher de son récit et oublier l’auteur. Il rajoute : »J’ai parfois eu l’impression que Maupassant se foutait un peu de ma gueule et me disait : tu as voulu faire le malin, démerdes toi à présent ! ». Malgré une grande admiration pour l’auteur, le réalisateur s’est pourtant interdit d’avoir voulu faire une œuvre de déférence, ni le petit « Maupassant illustré« .

Voilà… les désirs d’adaptations de romans au cinéma par ces quatre réalisateurs n’ont désormais (presque) plus de secrets pour nous!

Sylvie-Noëlle

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