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Pour parachever son film, un réalisateur indépendant kidnappe une grande vedette. S’ensuit une guerre idéologique entre cinéma expérimental et cinéma grand public. Le cul ainsi posé entre deux chaises, CECIL B. DEMENTED est souvent perçu comme une œuvre mineure dans la carrière de John Waters, réalisateur adulé de l’underground américain.
John Waters tient cette particularité qu’il est à la fois l’auteur de chefs-d’œuvre de l’underground et de l’expérimental – citons éparses le midnight movie Pink Flamingos ou le premier film en odorama Polyester – mais aussi le père de productions un tant soit peu plus populaires – comme le film original Hairspray ou la comédie musicale Cry Baby. Néanmoins, parmi les obsessions qui parcourent l’ensemble de sa filmographie, la quête de reconnaissance et de gloire occupe une place prépondérante. Et CECIL B. DEMENTED s’avère d’autant plus intriguant qu’il s’inscrit dans cette thématique, mais se veut aussi tiraillé entre le Waters mainstream et le Waters pape de l’indépendant.
En effet, Mélanie Griffith et Stephen Dorff dans les rôles principaux étaient, à la sortie du film, encore au sommet de leur carrière. Le choix n’était donc pas anodin. De même que, si le budget de 10 millions de dollars ne représente pas une somme colossale à l’échelle d’Hollywood, l’investissement est tout de même notable. CECIL B. DEMENTED devait donc assurément avoir une ambition commerciale. Or, ce fut un échec cuisant, avec des recettes à l’international estimées à 2 millions de dollars seulement. Péniblement réhabilité, il reste, de plus, considéré comme un film mineur dans la carrière de John Waters.
Entre l’indépendant et le grand public
Cet échec s’explique certainement par la dimension méta du film. En effet, s’il semble – du moins dans les grandes lignes – marketé pour plaire à un public assez large, CECIL B. DEMENTED ne porte pas pour autant un message limpide pour le spectateur non cinéphile. En effet, le long-métrage présente un groupe de cinéastes, prêts à kidnapper une star pour la forcer à jouer dans leur petit film indépendant. Les membres de ce groupe parodient les clichés de cette caste bien précise d’artistes issus du cinéma underground. De même que le réalisateur fictif Cecil B. Demented reflète de manière caustique, l’arrogance et la suffisance des auteurs de ce milieu. Des codes et des valeurs pas nécessairement acquis pour le grand public.
À l’inverse, le rôle de diva pédante de Mélanie Griffith, le jeu cruel des médias et la bêtise des spectateurs parodiés dans le film s’avèrent bien plus lisibles, mais ne se situent pas suffisamment au centre de l’intrigue pour que CECIL B. DEMENTED puisse séduire le spectateur non-initié. Nonobstant, on reconnaît bien là tout le sel des œuvres de John Waters, qui ne cesse d’évoquer l’art et sa réception à travers sa filmographie. Et CECIL B. DEMENTED est certainement son métrage le plus parlant quant au milieu de la production cinématographique… Qui ne brille pas exactement par son glamour et son intelligence. D’autant que le film ne donne raison ni aux extrémistes de l’indépendant, ni aux pisse-froids du mainstream.
Évidents parallèles
Il est amusant d’ailleurs de constater le parallèle entre la carrière de Mélanie Griffith et le traitement de son personnage dans le film. Pastichant une sorte de Julia Roberts, elle incarne l’actrice kidnappée par ce groupe de cinéastes underground. Or, Cecil B. Demented ne cesse de lui asséner qu’un passage dans l’indépendant pourra relancer sa carrière en perte de vitesse. À l’aube des années 2000, Mélanie Griffith vit, en parallèle, plusieurs échecs et notamment, celui de La Tête dans le carton à chapeau, réalisé par Antonio Banderas, son mari de l’époque. La transition de l’actrice vers un cinéma plus expérimental avec CECIL B. DEMENTED sera cependant moins auréolée de gloire que celle de son personnage. Et depuis, Mélanie Griffith tente régulièrement de nouvelles incursions dans le genre, avec plus ou moins de succès.
Visionnaire, Waters a véritablement su capter l’essence de l’objet parodié. Il faut dire qu’en 2000, à la sortie du film, l’homme traînait déjà ses guêtres dans le milieu depuis près de 30 ans. Cependant, bien qu’il s’appuie sur l’humour grotesque et trash de son auteur, CECIL B. DEMENTED semble tenir un propos un peu plus aigri que ses prédécesseurs. Car, si d’ordinaire, Waters offre allégresse et reconnaissance aux outsiders, aux freaks et aux paumés, la bande de bras cassés entourant Cecil B. Demented nous paraît ici tout aussi risible que ses opposés du cinéma grand public. On y décèle également une part évidente de second degré et d’auto-parodie, tant certains traits du réalisateur fou semble coller au Waters des années 70. Pas si mineur qu’il n’y paraît, CECIL B. DEMENTED se révèle ainsi comme le film le plus pessimiste de son auteur. Bien qu’il nous indique aussi que le cinéma a besoin d’être régulièrement malmené par une bande de sales gosses pour avancer… Le cul entre deux chaises. Définitivement.
Lily Nelson