Mon voisin Totoro

Mon voisin Totoro et Kiki la Petite Sorcière : explorer l’imaginaire pour grandir – Analyse

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Il n’est plus nécessaire d’en faire mention : le génie d’Hayao Myazaki est devenu au fil du temps une évidence. La galaxie qu’il a créée laisse miroiter une quinzaine d’étoiles toutes plus brillantes les unes que les autres. Analyser une œuvre aussi dense dans sa globalité paraît quasi impossible tant la diversité des thèmes abordés et des histoires est importante. Il convient dès lors de corréler les astres pour en saisir ce qui en fait l’essence : Mon voisin Totoro (1988) et Kiki la petite sorcière (1989) peuvent dès lors être considérés comme un diptyque à analyser ensemble.

Destinés aux enfants, présentant des personnages suivant une quête initiatique quasi-identique, les films suivent le schéma actanciel de contes dont l’histoire est guidée par le processus de création chère à Myazaki. En effet, la dimension onirique et l’imaginaire s’imposent comme des outils essentiels dans la narration et le spectateur est invité à participer à ces voyages expérimentaux, d’où fécondent de nombreux paysages contemplatifs, nous poussant à chavirer dans la méditation et une familiarité apaisante.

Sophistiquer l’imaginaire pour construire l’initiation.

Les personnages sont, dans les deux films, placés d’emblée face à un bouleversement. Si Kiki, jeune sorcière doit s’émanciper et vivre seule, entamant sa formation d’apprenti sorcière, Satsuke et Mei suivent leur père, jeune anthropologue, dans un déménagement imposé par ses nouvelles fonctions. Le prétexte du voyage vers l’inconnu ouvre de nombreux fils scénaristiques confrontant les jeunes héroïnes à un sentiment d’émoi et d’effervescence jusqu’ici inconnu. Kiki s’accomplira en se mettant au service d’Osono et en proposant un service de livraison dans une boulangerie. Pour Myazaki, cette nouvelle fonction est une fenêtre ouverte sur le monde, son monde. Kiki, en plus de s’affirmer en tant qu’adolescente, découvre de nouveaux paysages, se forgeant au contact de l’imaginaire débordant de son créateur. La pluralité architecturale des villes n’a de cesse de surprendre et le prétexte des vols en balai entraîne le spectateur dans des peintures bucoliques et rurales. Dès lors, on réalise toute l’importance du dessin, la rigueur artistique se mettant définitivement au service du processus narratif.

Photo de Kiki la petite sorcière
Kiki la petite sorcière (1989) © Studio Ghibli

Le Japon rural est aussi au centre de Mon voisin Totoro et si, comme dans Porco Rosso la voie des airs était privilégiée pour Kiki, Satsuke et Mei sont très vite placés face à l’énigmatique et au mystère, véhiculés par deux structures : le nouveau domicile et la forêt. Le spectateur réalise que ces nouveaux décors seront propices à l’intervention de nouvelles créatures, devenues emblématiques avec le temps pour le studio Ghibli. Les noiraudes, Totoro ou le chat-bus, en plus de dévoiler comme dans Kiki les capacités illimitées de Myazaki à construire l’utopie, participent à la composition des personnages. Les deux jeunes sœurs sont empreintes d’une sensibilité et d’une solidarité qui suscitent l’empathie dès les premières minutes. Confrontées au vide maternel du fait d’une maladie, Satsuke et Mei se réfugient dans les chemins d’un labyrinthe naturel à la fois réconfortant et source d’émancipation. Surtout, le panel d’environnements naturels exploré par les jeunes héroïnes semble inépuisable.

La curiosité et la soif de découverte liés à ces nouvelles esthétiques donnent à voir l’affirmation du personnage en tant qu’être concret : Satsuke se substitue à sa mère en tant que grande sœur protectrice, méfiante face au surnaturel avant de participer à sa création, s’accaparant totalement cet imaginaire délié, notamment lorsqu’elle accepte le voyage final dans le chat-bus. Mei, suscitant le doute autour d’elle, en perpétuelle quête d’aventures et de liberté , deviendra l’allégorie d’une foi sans faille en la fiction revendiquée par Myazaki dans son œuvre. La plus jeune des deux sœurs finira par ailleurs, par remporter l’adhésion de ceux qui doutaient, Satsuke en tête. Dès lors, le réconfort apporté par Totoro aux personnages s’élargira au-delà du champ fictionnel : si le film a acquis avec le temps le statut d’œuvre culte, c’est sûrement parce qu’il procure indéniablement l’allégresse et la légèreté propres à l’enfance et découvertes au contact du nouveau monde exploré.

Photo du film Mon voisin Totoro
Mon voisin Totoro (1988) © Studio Ghibli

Guider l’enfant

Surtout, comme à son habitude, Myazaki ne se contente pas d’offrir un spectacle purement esthétique. Chacun de ses films invite le spectateur à réfléchir sur des problématiques inhérentes à notre époque : l’écologie, l’union familiale, la lutte contre le despotisme, l’impact de l’industrialisation et les questionnements qu’elle entraîne…Le diptyque précédemment énoncé n’y échappe pas, les films devenant même de réels guides pour l’enfant dans sa construction. Myazaki place ses personnages face à des enjeux qui les dépassent pour souligner tout ce qu’il y a de plus admirable chez ses héros.

Kiki, dans un final épique, parvient à sauver son ami en grande difficulté. Surtout, alors qu’elle a perdu ses pouvoirs, elle se remet en question et réfléchit face au manichéisme du monde qu’elle surplombe, notamment au contact d’Ursula. Peintre et admiratrice de la jeune fille, son discours maternel peut être perçu comme porteur d’un double message, Myazaki en profite pour souligner poétiquement toute l’importance de l’art, tout ce qui fait l’essence de l’humanité et ce qu’il y a de plus beau chez l’Homme. Dès lors, le spectateur ne peut que se délecter du final où Kiki termine son initiation au contact du monde, inversant la situation initiale et en vainquant la difficulté : elle sauve son ami au terme d’un vol riche en rebondissements et trouve la stabilité initialement recherchée.

Photo de Kiki la petite sorcière
Kiki la petite sorcière (1989) © Studio Ghibli

Il en est de même pour Satsuke. Alors que Mon voisin Totoro propose des péripéties qui minimisent la tragédie au profit des joies de l’enface, la dernière demi-heure installe progressivement un suspens latent. Suite à la disparition de Mei, le récit se focalise sur l’aînée des deux sœurs et sa course effrénée vers l’objet de la quête. La partition de Joe Hisaishi, jusqu’ici harmonieuse et entraînante, s’accapare des tonalités plus mineures, renforçant la tension. Myazaki n’hésite pas à jouer avec les nerfs de ses personnages, notamment lors d’une séquence dont le ressort narratif rappelle même les scènes d’ouverture de M le maudit. Chez Fritz Lang, le ballon emprisonné par les fils symbolisait la mort de la petite fille et sa disparition. Lorsque la grand-mère tend la chaussure à Satsuke, le spectateur ne peut qu’être rassuré de l’entendre dénigrer l’objet, ne confirmant pas le lien avec sa sœur et désamorçant toute la portée tragique.

Happé, le jeune spectateur participe aussi à l’initiation que vivent Satsuke et Mei : il découvre au contact de l’œuvre de Myazaki la compassion et l’empathie, l’importance des liens familiaux. Les séquences de baignades nocturnes avec le père ou les interventions de Totoro, odes à l’imagination et l’onirisme, trouvent désormais un écho retentissant dans les lois du destin inévitables pouvant découler du monde. Celui-ci, bien réel, ne laisse rien au hasard et la maladie de la mère déteint comme une ombre sur le film, une piqûre de rappel soulignant que la fatalité du réel n’est jamais loin. La force morale intarissable de Satsuke s’inscrit alors dans la continuité de ces moments de joie et donne à voir à l’enfant spectateur un exemple de bravoure et de sensibilité qui ne le laissera forcément pas indemne.

Photo du film MON VOISIN TOTORO
Mon voisin Totoro (1988) © Studio Ghibli

Myazaki, sans tomber dans la didactique, participe grâce à ses récits, à l’initiation du spectateur et à son affirmation en tant qu’être contemplatif empreint d’empathie. Le fait que Netflix rajoute à sa plate-forme de visionnage la filmographie du metteur en scène n’a rien d’étonnant : encore diffusés régulièrement lors de rétrospectives au cinéma, Mon voisin Totoro et Kiki la petite sorcière font figures de contes poétiques immortels délivrant des messages plus que jamais d’actualité. La continuité entre les deux films et les résonances se traduisent même à l’échelle des personnages : Kiki, de par son courage et sa bravoure, perpétue l’exemplarité morale de Satsuke. Un passage obligatoire de l’enfance à l’adolescence mais aussi vers l’âge adulte. Fio dans Porco Rosso, parachève cette construction de l’ethos de l’héroïne modèle, attachante par ses qualités humaines et vecteur formateur pour le spectateur. Elle est le dernier segment d’un triptyque entamé dans Mon voisin Totoro, formalisant une rupture dans la filmographie de Myazaki. Princesse Mononoké, loin des jardins paisibles de l’enfance, abordera plus radicalement des thèmes similaires, introduisant une violence jusqu’ici inédite dans l’œuvre du dessinateur. Un renouveau illustrant le génie d’un maître souvent copié, rarement égalé.

Emeric Lavoine

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