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Échec commercial à sa sortie, SHOCKER est devenu culte des années après sa sortie en salles. Et, à le reconsidérer aujourd’hui, on s’aperçoit qu’il tient une place toute particulière dans la filmographie de son réalisateur.
En 1989, Wes Craven, réalisateur culte des Griffes de la nuit et père de La Colline a des yeux, se trouve dans le creux de la vague. Ses deux dernières réalisations, L’Amie mortelle et L’Emprise des ténèbres, ont été des échecs commerciaux cuisants. L’homme sort également tout juste d’un long et pénible procès, où un plaignant affirmait être le véritable auteur des Griffes de la nuit. Bien que la plainte se révèla finalement infondée, considérant ses échecs récents au box-office, les studios Warner Bros choisissent de l’écarter des projets Beetlejuice et Superman 4. Pour couronner le tout, Craven endure un divorce qui l’affecte douloureusement.
Élan créatif
Essayant tant bien que mal de se relever, il écrit SHOCKER – l’histoire d’un condamné à mort capable de maîtriser le courant électrique et donc, de survivre à la peine capitale par électrocution. D’abord envisagée comme une série, il tente de vendre son idée à Fox television qui, peu convaincue, refuse. Il se dirige ensuite vers Alive Films, une société de distribution plus modeste, orientée vers le cinéma indépendant. SHOCKER devient alors un long-métrage d’auteur, théâtre d’expérimentations et terrain de jeu fertile pour son réalisateur. Une posture que l’on imagine salvatrice, après les nombreux déboires subis par le cinéaste au cours de la post-production de L’Amie mortelle.
Si le film n’a pas permis à Wes Craven de renouer avec le succès, il a, avec les années, acquis un statut culte. Certainement parce qu’on y retrouve nombre des obsessions de son auteur. Qu’il explore cependant avec une créativité et une liberté que l’on observera que trop rarement dans sa filmographie. Craven livre avec SHOCKER l’un de ses scénarios les plus complexes. Il file une métaphore du deuil, en ramenant à la vie un serial killer nommé Horace Pinker, assassin de la famille d’un éminent policier de Los Angeles. Promis à un grand avenir, son fils se voit fatalement coupé dans son élan par ces morts soudaines.
Du deuil de l’insouciance
En revenant sans cesse hanter le jeune homme, Horace Pinker matérialise ici les différentes étapes du deuil et les errances qui en résultent. À ceci s’ajoute un sous-texte sur la peine de mort, que l’on estime incapable d’apaiser la peine et la colère des familles de victimes. Et l’on y superpose encore une troisième strate : la dimension fantastique du récit, où l’antagoniste se sert des ondes électriques pour voyager à travers les écrans de télévision. Vaste, le scénario de SHOCKER manque cruellement d’espace dans ce long-métrage – que l’on comprend alors bel et bien pensé comme une série.
Toutefois, bien que survolée en raison de la richesse de l’univers déployé, la thématique de l’entrée dans l’âge adulte y tient une place importante. Motif récurrent de l’œuvre de Craven – considéré comme un John Hughes de l’horreur -, elle s’exprime ici du point de vue d’une figure masculine, chose rare chez le cinéaste. Rare et d’autant plus intéressante que Craven traite le personnage de Jonathan, comme précédemment ses protagonistes féminins. En effet, le héros entend ici s’affirmer face aux adultes qui l’entourent. Lesquels ne lui témoignent que de l’incompréhension. Un peu à la manière d’une Nancy dans Les Griffes de la nuit en 1984.
Un récit entre fiction et réalité
Par l’entremise du fantastique, SHOCKER questionne aussi le rapport à l’image filmée, soit l’espace entre fiction et réalité. Trop peu évoqué dans l’analyse du cinéaste, cet aspect traverse pourtant bel et bien une part majeure de la filmographie de Wes Craven. Et ce, dès ses Freddy, comme dans Scream – qui en est, d’ailleurs, l’apothéose. Bien avant les meurtres de Woodsboro couverts par la reporter Gale Weathers, SHOCKER aborde la question des médias, de la course au scoop et du traitement des faits divers qui, selon l’angle abordé par les journalistes, racontent tous des histoires différentes, à la manière d’un récit fictionnel. En s’immisçant d’un programme télévisé à l’autre, l’antagoniste Horace Pinker devient même partie intégrante d’œuvres de fiction.
Dans le monde réel, en s’extirpant de l’écran, Pinker se manifeste comme un être fantomatique, issu d’une matrice médiatique et cinématographique, comme évoluent peu à peu certains tueurs en série dans notre imaginaire collectif. Pour donner vie visuellement à sa créature, Craven expérimente comme jamais, en usant d’incrustations et en recourant à la composition numérique. SHOCKER s’en révèle d’ailleurs particulièrement amusant et ludique. Et si le faible budget du film limite quelque peu les décors, ses effets graphiques demeurent remarquables pour une œuvre datée de 1989.
Un film important
D’autant que Horace Pinker, sanguinaire et froid dans sa combinaison de détenu orange, n’en demeure pas moins un boogeyman aussi effrayant que charismatique – comme Craven savait si bien les imaginer. Le personnage doit aussi beaucoup à l’interprétation de Mitch Pileggi. Plus connu par la suite pour son rôle dans la série X-Files, l’acteur s’en donne à cœur joie dans la peau de ce psychopathe sanguinaire et méthodique. Emmené, de surcroît, par une bande son rock’n’roll du meilleur effet, SHOCKER se révèle loin d’être un film mineur dans la carrière de Wes Craven. Au contraire, il en est une pierre angulaire. Indispensable à ceux qui souhaiteraient approfondir leur visionnage de Scream et se risquer à apprécier l’ambitieux Freddy sort de la nuit.
Lily Nelson