Après la très réussie Dark, Baran Bo Odar et Jantje Friese reviennent avec la série 1899, puzzle métaphysique où les passagers d’un bateau en route vers l’Amérique se retrouvent piégés face à d’étranges phénomènes. Critique hors d’haleine après les 8 épisodes palpitants d’une fresque épique mais inégale.
Malgré une saison 3 en demi-teinte et un multivers aux contours difficilement discernables, l’épilogue de Dark attestait une réelle maîtrise scénaristique. Chacun des arcs narratifs se concluait pertinemment et le destin de toutes ces figures tourmentées se scellait avec brio. Les premières minutes de 1899 rassurent quant à cette science du personnage, au détriment des enjeux. En effet, avant de lancer les dés pour en activer les rouages, le prologue commence par caractériser les principaux actants de l’épopée. Outre l’opposition classique entre les différentes castes sociales, on retrouve un panel assez élargi de protagonistes aux objectifs bien définis. Ainsi peut débuter la quête de sens face au surgissement de l’incompréhension et des mystères.
Car de mystères, il en est bel et bien question à chaque fin d’épisode, portée par un suspense de tous les instants. Les découvertes progressives des contours de la machination s’accompagnent de plans en contre-champ vertigineux, joyaux visuels séduisants qui prouvent bien la propension des réalisateurs à imaginer un univers ambitieux tel qu’on en voit peut sur le petit écran. En imposant une véritable identité par l’image comme support de la narration, Odar et Friese distillent les ingrédients-clés rendant la compréhension du récit évidente (contrairement à certains passages de Dark, où l’on aimait pourtant se perdre). Fascinés par le piège pensé de la sorte, les metteurs en scène ne sont jamais avares de spectaculaire, mais oublient parfois une portée tragique qui aurait été bienvenue.
Souvent comparée à Lost, 1899 en est pourtant l’antithèse quand il est question d’intensité émotionnelle. Ainsi, c’est autour de Maura et du capitaine que se dévoile progressivement l’envers des apparences, et le reste des passagers ne revêt finalement que peu d’importance, ce qui fait perdre le récit en intensité. Ainsi, la narration s’enlise quand il s’agit de conclure leurs arcs respectifs et l’histoire puise dans la grammaire la plus classique du genre au terme de leur épopée. Regrettable, quand on sait l’imagination débridée des maîtres à jouer. A peine bousculés lors d’une bataille spectaculaire métonymique de l’aliénation progressive des Hommes face à la peur, la plupart des seconds couteaux du navire sont épargnés et empruntent une pente désaffectée, bien loin de la justesse des angoisses existentielles de Maura.
C’est le talon d’Achille d’une œuvre singulière, dont on espère rapidement voir la suite, surtout vu la teneur du twist final. Allégorie de la maestria d’artistes dévoués à l’épure, 1899 fascine plus qu’elle ne frustre. Les visions grandioses se déploient et la forme fait merveille. D’un enfant égaré sur un champ de bataille dystopique à l’irruption d’une pyramide à à l’aube du XXème siècle, difficile de ne pas succomber au charme étrange et dense d’un microcosme unique en son genre. On en redemande.
Emeric Lavoine
• Créateur.rice.s : Jantje Frise, Baran Bo Odar
• Acteurs : Emily Beecham, Aneurin Barnard, Andreas Pietschmann
• Date de sortie : 17 Novembre 2022
• Durée des épisodes : 52 minutes