En racontant l’histoire de Joe Exotic, ce documentaire détonne plus par l’invraisemblance de son propos que par sa forme, trop didactique.
Il vaut mieux ne rien savoir de Joe Exotic et de son zoo en commençant ces sept épisodes. La surprise en découvrant l’ensemble des faits divers le concernant n’en sera que plus grande. En se penchant sur la descente aux enfers de ce propriétaire de zoo, Eric Goode et Rebecca Chaiklin proposent un documentaire qui surprend par son réalisme et la richesse de son contenu. Dès les premiers épisodes, la série nous plonge au fin fond de l’Oklahoma, dans un monde où il est possible d’élever des tigres dans des parcs et ce avec l’aval du gouvernement. Ces attractions qui attirent le grand public sont à l’image de ceux qui les ont bâties : démesurées et insensées.
Ainsi, les enfants peuvent y caresser des félins et participer à des spectacles mettant en scène des tigres ou autres animaux de la savane. Si l’exposition dérange par sa longueur, les deux premiers opus s’imposent par leur capacité à illustrer la cohabitation viable entre l’Homme fasciné et l’animal sauvage au sein de l’utopie macabre construite par Joe. Surtout, on assiste dans le montage à la volonté louable de donner la parole à toutes les personnes ayant accompagné l’investigateur du projet pharaonique jusqu’à sa chute. Il est ainsi possible d’écouter le témoignage de nombreux repris de justice, parfois commanditaires d’assassinats.
C’est là le principal atout de la série : l’ensemble des témoignages permet de cerner au mieux le caractère de Joe Exotic, mythe hors du commun. S’enchaînent ainsi à l’écran les avis mélioratifs mais aussi des points de vue très nuancés sur la démarche opérée par Joe. On ne peut qu’être saisi par le franc-parler des intervenants pour raconter des anecdotes sidérantes. La pluralité des témoignages rend crédible l’investigation.
Ainsi, pour relater les soupçons de meurtre autour de Carole Baskin, l’épisode trois donne à voir les enfants de la victime plaidant contre la militante, mais aussi la principale concernée qui se défend face à la caméra. Outre le réalisme qu’elle invoque, la corrélation des différents points de vue permet au spectateur d’être un juge impartial face à des événements ahurissants.
Le fait d’avoir filmé le parc durant plusieurs années laisse entrevoir les différentes étapes ayant causé l’incarcération de Joe. De ses projets de sites internets révolutionnaires jusqu’au suicide de son amant, rien n’est laissé au hasard. Il devient même difficile de se positionner face à une personnalité si ambivalente. L’enchaînement des péripéties constituant sa vie renvoie souvent aux univers du romancier Thomas Pynchon. Comme souvent chez l’auteur, on passe du burlesque à l’absurde, d’une attaque de tigre subie en cage à une campagne politique grotesque. Rien ne semble pouvoir arrêter Joe dans ses pulsions et ce même si le phalanstère dont il est roi s’effondre progressivement.
On pense aussi au récent The Beach Bum d’Harmony Korine tant la trajectoire de Joe se rapproche de celle de Moondog, poète maudit joué par Matthew McConaughey. Dans les deux cas, la destruction du rêve américain est amplement dénoncée en suivant les défaites progressives de deux personnalités hors-normes. Le manque de limites et de cohérence des lois engendrent l’horreur, comme ici avec l’essor de sectes animalières dont les propriétaires ne sont guidés que par leurs velléités de pouvoir. Une certaine forme de monstruosité se dégage des séquences où Carole Baskin, déguisée en tigresse, pose en compagnie de son mari, incrédule.
Le documentaire permet ici de rattraper la réalité, de la questionner. Loin d’être un brûlot politique, AU ROYAUME DES FAUVES est un assemblage de faits improbables qui invitent à questionner la capacité d’un pays à être le berceau d’assassins. Comment qualifier autrement ces gourous de sectes animalières guidés par leur mercantilisme, euthanasiant avec un revolver des animaux grandissant loin de leur milieu naturel ? On peut regretter que ces sept épisodes n’aient pas offert un spectacle équivalent à la démesure de ceux qu’ils observent. On aurait par exemple préféré que le parallélisme entre la trajectoire de Joe et celle des animaux soient davantage mis en avant, comme au travers de ce plan trop court où un gecko agonise suite à l’annonce de l’incarcération de Joe. Cependant, la didactique pour laquelle optent les metteurs en scène n’empêche pas d’assimiler la démesure de ce récit, étrange et singulier, dont l’impact ne devrait pas être négligeable.
Emeric
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• Réalisation : Eric Goode, Rebecca Chaiklin
• Acteurs principaux : Joe Exotic, Carole Baskin
• Date de sortie : 20 mars 2020
• Durée : 45min