Après le succès de l’adaptation cinématographique de Denis Villeneuve, il semblait inévitable que l’univers de Dune puisse aussi prendre vie sur le petit écran.
Le premier épisode de la série Dune : Prophecy est sorti le 18 novembre, que peut-on en dire ?
Après avoir déjà été adaptée en série dans les années 2000 (Frank Herbert’s Dune et Children of Dune par Sci-Fi Channel), Dune a retrouvé une place de choix dans le cinéma contemporain grâce à Denis Villeneuve. Alors que Dune s’impose comme une saga phare de notre époque, cette nouvelle adaptation en série, DUNE : PROPHECY, suscite des interrogations légitimes. S’agit-il d’ un ajout et d’un format pertinent à l’univers déjà vaste de Dune ou voyons-nous une nouvelle tentative commerciale des studios de capitaliser sur une propriété intellectuelle à succès (à l’instar de Star Wars, Le Seigneur des Anneaux, Harry Potter…) ?
Un prélude avec une longue exposition nécessaire mais frustrante
Basée sur le triptyque de livres « Great Schools of Dune » écrit par Brian Herbert et Kevin J. Anderson, la série explore les origines de la sororité (avant qu’elles ne prennent le nom de Bene Gesserit), une organisation secrète de femmes aux pouvoirs mystiques et politiques déterminants.
Le défi de cette série, comme celui des films de Villeneuve, réside dans la densité de l’univers à exposer. Le premier épisode de DUNE : PROPHECY prend un soin particulier à introduire les multiples factions et le jeu de pouvoirs qui façonnent cet empire galactique. Si ce travail d’introduction est crucial, il n’en demeure pas moins qu’il alourdit l’intrigue, notamment pour ceux qui sont déjà familiers avec l’univers de Dune. Là où le premier film de Villeneuve a bénéficié du temps et de l’espace pour poser ses bases, cette série doit non seulement faire face à ce défi, mais aussi naviguer dans des rapports de pouvoir différents, en raison de la temporalité de l’intrigue, 10 000 ans avant la naissance de Paul Atreides. Si la série semble tirer parti du travail d’exposition effectué par Villeneuve, l’on ressent un certain « ralentissement » dans son rythme narratif, ce qui peut déstabiliser.
Le pouvoir des femmes : la sororité au cœur de l’intrigue
Le point fort de ce premier épisode réside sans conteste dans sa représentation de la sororité des Bene Gesserit, bien avant qu’elles n’adoptent leur nom iconique. Ces femmes mystérieuses et dangereuses, qui jouent un rôle de manipulation subtile dans le jeu de pouvoir de l’univers, brillent à l’écran au point de presque éclipser le reste des personnages. Les deux actrices principales, Emily Watson et Olivia Williams, incarnent à la perfection ces figures qui impressionnent naturellement par leurs capacités, leur savoir ésotérique et leur capacité à manipuler les autres. Ce premier épisode réussit à rendre cette faction fascinante en soulignant son influence dans l’équilibre fragile de l’univers politique de Dune.
Une esthétique héritée mais une identité à affirmer
La série s’inscrit dans la continuité de l’univers de Villeneuve, mais peine à égaler la grandeur visuelle de ses films. Si l’on reconnaît immédiatement l’esthétique, les costumes et les décors empruntent largement à l’imaginaire visuel imposé par Villeneuve dans Dune (2021), l’ambition du spectacle se trouve cependant amoindrie. Dune en 2021 a donné naissance à un univers devenu iconique, et la comparaison avec cette série, plus modeste sur le plan technique, est inévitable. L’envergure de la série reste limitée, à la fois dans la narration et dans la mise en scène, ce qui peut décevoir certains spectateurs à la recherche de la grandeur cinématographique qu’on associe à l’ampleur de l’œuvre de Frank Herbert. Contrairement aux films, la série mise en effet sur un approfondissement des personnages et de l’univers, exploitant pleinement la force narrative propre au format sériel. Si la lenteur de l’exposition, parfois essentielle pour saisir la complexité des enjeux, peut déconcerter, elle permet également d’explorer en détail des aspects que le format cinématographique ne peut qu’effleurer. Peu d’œuvres, par leur densité et leur richesse, se prêtent aussi bien à un tel développement que l’univers foisonnant de Dune.
Facilité ou prise de risque ?
Il est indéniable que DUNE : PROPHECY s’appuie sur un terrain conquis, avec un public déjà acquis à l’univers de Dune. Cette série profite ainsi de l’aura de la saga et du lien avec une base de fans appréciant les enjeux politiques complexes et les intrigues de pouvoir.
On est ainsi en droit de s’interroger sur l’originalité de cette adaptation dans son ensemble. Il est toujours compliqué de faire des propositions novatrices lorsqu’on se base sur une œuvre si connue, surtout après le succès récent des deux longs métrages de Villeneuve.
Toutefois, c’est avec surprise et curiosité qu’on constate que DUNE : PROPHECY ose, dès les premières scènes, représenter le Jihad Butlérien (la Grande Révolte contre les machines pensantes), un événement historique majeur mais toujours relégué en toile de fond dans les livres de Dune. Dans l’univers de Dune, cet événement est chargé de mystère et de terreur, et son absence de représentation concrète dans les livres participe à sa puissance. Ici, la série choisit de le rendre visible en introduction, mais cette exposition prématurée lui ôte une partie de sa grandeur. Cette révolution contre les intelligences artificielles, qui fait l’objet de nombreux mythes dans l’univers de Dune, perd de son mystère une fois mise en scène de manière aussi explicite.
Un début prometteur mais lent à s’installer
DUNE : PROPHECY a tout le potentiel pour s’inscrire dans la légende de Dune, mais ce premier épisode présente des défis narratifs et visuels. Il réussit à capter l’essence de l’univers sans toutefois parvenir à l’ampleur de la version cinématographique de Villeneuve.
Cependant, la richesse politique et l’univers dense, caractéristiques de Dune, sont bien présentes et la série réussit à capter cet esprit complexe. Les amateurs de l’univers apprécieront cette plongée plus profonde.
C’est une série ambitieuse mais encore en quête de sa propre identité, qui pourrait se révéler au fur et à mesure de son développement. Si le temps est ce qu’il faut pour déployer la complexité de l’œuvre, il faudra espérer que la suite réussisse à captiver pleinement son public.
La comparaison la plus pertinente pourrait être celle avec la série Fondation, adaptée des livres d’Isaac Asimov. À l’instar de DUNE : PROPHECY, Fondation s’appuie sur une narration qui s’étend sur plusieurs siècles, dans le cadre d’un empire galactique où coexistent une multitude de mondes. Ces récits complexes nécessitent un long travail d’installation pour rendre toute leur richesse narrative perceptible. Ce n’est qu’à partir de la saison 2 que Fondation a pleinement trouvé son rythme et a réussi à rendre évidente la qualité de son récit. Une approche similaire pourrait se profiler pour DUNE : PROPHECY ; c’est une série qui prend son temps pour déployer ses enjeux.
Nathan DALLEAU