Aux Etats-Unis, rôde un ancien policier militaire mystérieux. L’homme, vagabond, ne possède qu’un peu d’argent, une médaille et une brosse à dents pliable. Il adore le café, noir bien sûr, parle peu et s’élève à 1m96 de muscles. Et s’il vit toujours seul, il y a néanmoins une fidèle amie qui semble ne jamais vouloir le quitter: la poisse, le plongeant toujours dans toutes sortes d’emmerdements. Mais il n’est pas du genre à se laisser faire. Cet homme s’appelle Jack Reacher.
Si le grand public l’a découvert sous les traits bruns de Tom Cruise en 2012 avec l’adaptation du roman Folie furieuse (One Shot) de Lee Child et réalisée par Christopher McQuarrie — une belle surprise avant la déception du vraiment fade Never Go Back en 2016 — le personnage est connu et apprécié aux States. Ce qui a valu un certain nombre de critiques puisque Cruise était à l’opposé du bonhomme des romans : petit et brun au lieu de grand et blond. Et si l’ami de un mètre soixante dix s’en sortait plutôt très bien et en imposait pas mal (Lee Child déclarait à l’époque “Avec un autre acteur, vous aurez peut-être 100% de la taille mais 90% de Jack Reacher, avec Tom, vous aurez 100% de Jack Reacher avec 90% de la taille »), le physique posait donc un problème conséquent, étant donné que c’est une composante essentielle des livres. Mais « l’erreur » est réparée : aujourd’hui, c’est sous les traits de l’impressionnant Alan Ritchson que revient le bon Jack. Et ça va cogner.
Avant toute chose, il est essentiel de préciser certains aspects des romans. En effet, contrairement à ce que l’on a vite envie de penser, Reacher n’est pas qu’une armoire à glace qui distribue des mandales à tour de bras et ouvre des bières avec son biceps. C’est, particulièrement dans les romans, un fin enquêteur qui n’est pas sans rappeler un certain Sherlock Holmes. Usant de son expérience, de son sens de l’observation et de la déduction, cet aspect demeure un réel plaisir dans les livres. Que ce soit dans les combats ou dans des scènes d’investigation, Reacher se sert de sa tête, et il est fréquent d’avoir le droit à des réflexions très poussées que ce soit pour déterminer une stratégie de combat ou pour analyser une scène, ajoutant un élément très appréciable à un genre assez classique. Taiseux mais expérimenté, l’homme apparaît même presque infaillible, mais tout ceci rend donc ses aventures plutôt très agréables à lire, le lecteur attendant toujours de voir comment Reacher va réussir à mettre la misère à ses opposants.
Il n’en sera pas autant de la série qui, disons le tout de suite, est très classique et peu surprenante. Mais cela ne nous empêchera pas de suivre avec plaisir cette enquête, ou plutôt ces personnages : soit des êtres attachants pour les héros, et agréablement détestables pour les antagonistes malgré le manque de profondeurs de tout ce petit monde. Et l’atout se trouve, bien sûr — et heureusement ! — être le colosse au regard perçant. Ritchson, qui trouve là pour l’instant le rôle de sa carrière, en impose suffisamment et sait alterner brutalité et finesse dans un mélange de violence, analyse et moments plus intimes. L’acteur, qui ne mesure d’ailleurs « que » un mètre quatre-vingt huit, parvient à trouver le bon équilibre entre menace physique et présence psychologique et parvient à adhérer notre sympathique. À l’image de son visage aux traits fins malgré une mâchoire imposante, Ritchson parvient donc à proposer plus que juste une impressionnante présence physique en amenant une certaine subtilité, en tout cas autant que le scénario lui permets. Car l’histoire est malheureusement très classique. On a le droit aux archétypes et aux situations déjà vus, au révélations et rebondissements attendues ou encore aux motivations peu surprenantes, nos bons gros méchants étant seulement motivés par, devinez quoi : le pognon ! Mais la mise en scène assez sobre ou encore le montage plutôt solide demeurent propre. Heureusement, l’intérêt n’est pas dans l’enquête, mais plutôt d’avancer aux côtés d’un personnage au potentiel assez intéressant.
Car, dans la lignée de ces mystérieux solitaires qui semblent toujours surgir de nulle part et qu’il ne faut pas emmerder, ce Jack Reacher en représente une belle création. Aux côtés d’un Homme sans nom de la Trilogie du Dollar ou du chauffeur de Drive, le bon dosage a été trouvé entre faits et mystères pour arriver à un cocktail agréable. Dans la tradition des personnages qui ressemblent à leur auteur (ici, les similitudes concernent la taille, le goût pour le café ou encore le style vestimentaire) Lee Child est parvenu, au fil de la bonne vingtaine de romans existants, à rendre son personnage assez fascinant, figure puissante car mystérieuse, à la fois homme et légende insaisissable, au nom qui sonne bien. C’était d’ailleurs la femme de l’auteur qui trouva celui-ci, lançant à son mari sollicité par les gens dans les magasins grâce à sa taille : « Tu pourras devenir Reacher si ça ne marche pas » (to reach signifiant « atteindre »). Ce qui n’a jamais été le cas, l’homme ayant réussi à atteindre, non pas les paquets de pâtes positionnés trop haut, mais suffisamment de gens, puisque ses romans sont des best-sellers et qu’une deuxième saison de la série a déjà été commandée. Tasse de café à la main et blues dans les oreilles, on attend donc plus que le retour du plus costaud des vagabonds pour reprendre notre dose de mandales bien distribuées et de bonnes vieilles intrigues policières à travers les petites villes américaines…
Simon Beauchamps
• Créateur.rice.s : Nick Santora
• Acteurs : Alan Ritchson, Malcolm Goodwin, Willa Fitzgerald
• Date de sortie : Février 2022
• Durée des épisodes : 52 minutes