Si on demande au public, quel est le film de Nicolas Winding Refn qui leur vient en tête en premier, nul doute que DRIVE sera le titre qui reviendra le plus. Prix de la Mise en scène à Cannes, autant estimé par la presse que le public, on peut dire que le 8ème film du réalisateur danois est le plus abouti.
Tiré d’un livre, le scénario joue la carte de l’épure, comme toujours chez Refn : un cascadeur mène une double vie en étant aussi conducteur pour des mauvais coups. Un jour, il rencontre Irène, sa voisine, ainsi que son fils. Mais son mari sort de prison et il a des dettes. Il va alors l’aider mais le braquage ne va pas se dérouler comme prévu.
Cette épure narrative, c’est celle qui a toujours soutenu le cinéma de Refn. Comme une sorte d’armature, un minimum syndical, afin d’y développer via cette base scénaristique, des obsessions thématiques et visuelles. En résulte un héros monolithique, taiseux et froid, qu’on tente de dépersonnaliser le plus possible en ne lui conférant même pas de prénom. Il se contentera d’être « le driver ». Certains réalisateurs aiment être dans le plus, dans la surenchère. Ou pour coller à un sujet ou simplement parce que leur style est fait comme tel. A l’inverse, Nicolas Winding Refn est un homme du moins. Qui ne met que le minimum pour nous faire comprendre des choses. On pourrait penser que ses films sont fait d’additions d’effets formels mais, en réalité, ces effets sont le seul moyen de faire passer un sentiment, une émotion voir carrément de permettre la compréhension (dans Valhalla Rinsing, par exemple) car il n’y a qu’eux lorsqu’ils sont employés. Pourquoi le scène de l’ascenseur a autant marqué et est devenue culte ? Ce petit ralenti durant le baiser est l’élément essentiel de la mise en scène, celui sans lequel l’instant n’aurait jamais le même impact. Parce qu’il dilate le temps dans cette petite bulle romantique, alors l’émotion passe. La réelle faute de trop aurait été de continuer le ralenti durant l’explosion de violence qui s’en suit. Là, il gère son effet, le place avec une précision chirurgicale dans un plan fixe anodin pour que seul lui soit le vecteur émotionnel. Et ça marche du tonnerre.
Pour se permettre un tel refus de caractérisation du protagoniste principal, il fallait un acteur à l’enveloppe charnelle imposante. Le choix de Ryan Gosling est des plus judicieux, Refn le filmant comme une icône. Drive, c’est réellement la rencontre entre un réalisateur et un acteur, et Only God Forgives va prolonger cette idée. Il traverse le film comme un fantôme avec sa tête de premier de la classe, tout en intériorité. La première scène du film annonce la couleur et met bien en perspective son caractère. Alors que les braqueurs à l’arrière de la voiture paniquent, il reste calme, conduit et gère. Là aussi, Nicolas Winding Refn a travaillé par soustractions, lui attribuant un infime nombre de répliques. Si bien que lorsqu’il laisse exploser sa violence, on reste comme Irène, sur le carreau, dans un magnifique champ-contrechamp ponctuant la scène de l’ascenseur. Mais loin d’être le paroxysme de sa déshumanisation, c’est justement dans cette violence si chère au cinéma de Refn que le driver trouve sa place d’humain dans le récit. Bien plus tôt dans le film, une musique nous annonçait tout ça : « a real human being and a real hero ». Outre la violence, la famille – l’autre leitmotiv du cinéma de Refn , anime le récit. Le driver a l’opportunité de devenir un père de substitution mais il préfère protéger Irène et son fils puis partir. Cet homme, sans identité, sans domicile fixe, n’est pas fait pour se poser. Il erre, au mieux il sauve des vies. Un vrai héros, donc.
DRIVE est l’équilibre parfait entre l’exigence des obsessions de Refn et l’accessibilité au grand public. Tout va à l’essentiel.
DRIVE est un réel condensé de tout le cinéma de Refn mais sans gras. Tout va à l’essentiel, combinant avec ingéniosité un sens de la mise en scène prodigieux (l’intro, aux forts accents Mannien, calme tout le monde d’entrée) et tous les thèmes irriguant la filmographie du réalisateur danois. Rien n’est inventé dans ce film mais tout est magnifié. Si bien que cette simple intrigue de polar made in 80’s devient autre chose. Spleen et violence se mêlent sous la caméra d’un Refn captant les discours cachés dans les gestes et les regards, plutôt que dans les dires. Dans les dernières secondes, Irène s’approche de la porte de l’appartement du driver. Elle s’apprête à frapper mais ne le fait pas. Ce geste fugace de main retenue est un crève-cœur. On savait que Nicolas Winding Refn était habile dans l’utilisation du geste et des symboles mais son cinéma atteignait rarement l’équilibre requis pour concilier l’exigence de ses obsessions et l’accessibilité au grand public. C’est chose faite avec DRIVE.
Maxime Bedini