Photo du film COMME LE FEU
Crédits : Shellac / Tandem

COMME LE FEU, puissant et sauvage – Critique

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4
EXCELLENT

Presque six minutes de travelling, à regarder une voiture prendre les virages d’une longue route canadienne, au milieu de la forêt et de ses sapins qui défilent, sans parole, sans commentaire. La scène d’ouverture donne le ton : nous allons donc les suivre, les observer en retrait, plongés pendant 2h41 dans une atmosphère immersive, lente et intime. Sorti en France le 31 juillet 2024, COMME LE FEU captive et plonge les spectateurs dans les méandres des relations humaines, au cœur de la nature canadienne. 

Photo du film COMME LE FEU
Crédits : Shellac / Tandem

Réalisé par Philippe Lesage, le film raconte l’histoire de deux anciens amis cinquantenaires, Blake (Arieh Worthalter) et Albert (Paul Ahmarani), qui ont travaillé ensemble (Albert comme réalisateur, Blake en tant que scénariste) et qui se retrouvent pour des vacances dans le chalet isolé de Blake, sorte de mâle alpha moderne (à chacun de juger si cette présentation le rend attrayant ou non, libre à vous). Ils sont entourés d’autres personnes, notamment les enfants d’Albert, dont sa fille Aliocha (Aurélia Arandi-Longpré) est aimée, plus ou moins secrètement, par Jeff (Noah Parker), adolescent tourmenté de 17 ans. Ces jeunes sont le premier public (et victimes) de ces retrouvailles entre les deux hommes, qui se transforment rapidement en une confrontation intense, où les émotions refoulées, les tensions accumulées refont surface, dévoilant la toxicité de leur amitié.

Un des points forts réside dans les scènes de dîners, qui viennent comme un rituel, mimant d’ailleurs l’essence même du repas le soir entre amis, passage obligé des vacances. A partir d’un mot, d’une phrase mal interprétée, la situation dérape totalement jusqu’à devenir des dialogues vigoureux que plus personne ne maîtrise, des conflits d’une extrême intensité. Ces séquences qui reviennent à intervalles réguliers, sont filmées en longs plans-séquence, avec des jeux de caméras qui embrassent totalement la situation qui s’envenime, les dérapages et les explosions de colère, qui filment des gros plans de visages angoissés puis retournent à des visions extérieures de la table, simulant l’immersion totale du spectateur jusqu’au plus près des émotions, puis nous rappelant à notre statut d’observateur, presque voyeuriste. 

Photo du film COMME LE FEU
Crédits : Shellac / Tandem

Le film excelle effectivement dans l’art de l’observation, avec ses plans séquences très longs, où les lents mouvements de caméra nous laissent le temps de capturer les expressions subtiles des personnages. Ces derniers, superbement interprétés, sont à vif, immergés dans des émotions tordues et incontrôlables. Philippe Lesage les dissèque minutieusement, tout comme le sont les animaux traqués lors des scènes de chasse.

Mention spéciale pour la magnifique scène où trois générations de femmes danse sur le chanson « Rock Lobster » du groupe B-52’s. La caméra, prise dans ce tourbillon de liberté, ne sait plus qui suivre, reflétant à merveille le lâcher-prise collectif qui s’empare des personnages, le chaos joyeux et éphémère de cet instant.

Les thèmes abordés sont aussi spécifiques, rarement traités au cinéma : la toxicité involontaire des liens amicaux, la difficulté de s’aimer sans pourtant se supporter, la déception du monde des adultes, surtout ceux qu’on admire professionnellement et qui sont pourtant si puérils, et la honte aussi, viscérale et visqueuse, celle qui imprègne les relations interpersonnelles, celle inéluctable entre les générations qui se jugent, et celle de l’adolescence, qui se retourne contre elle-même.

Photo du film COMME LE FEU
Crédits : Shellac / Tandem

Le travail sonore mérite également d’être salué. Le jeu d’alternances brutales entre de lourds silences, des disputes assourdissantes et des morceaux de musique, insuffle une puissance aux transitions des images. Ce choix de variations sonores contribuent à l’atmosphère étouffante et sauvage du film, renforçant son impact émotionnel jusqu’à parfois lui donner des airs de thriller.

COMME LE FEU est un film intense et complexe, sauvage et délicat, aussi riche à analyser qu’à simplement ressentir, qui brûle lentement mais intensément et parvient à capturer l’essence des émotions humaines dans toute leur brutalité.

Agathe ROSA

Auteur·rice

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