Avant tout, je dois préciser à quel point je me suis rendu en salles avec un à priori négatif. Prêt à dégueuler sur le film toute ma bile critique, à base de « peu de sexe », « aucune profondeur », « aucun intérêt ». Persuadé, que je perdrais juste 2h de ma vie à voir une classique romance, allant de la séduction à l’amour fou en passant par séparations et retrouvailles.
Pourtant, le cœur du film n’est pas là; la romance prévisible se transforme très vite en une métaphorique réflexion sur la compréhension de l’autre au sein d’une relation amoureuse.
Cela pourrait expliquer le succès planétaire de l’histoire concoctée par E.L. James (que je n’ai pas lue) et la mise-en-images par Sam Taylor-Johnson: un dialogue universel sur les rapports hommes/femmes cachée dans une promesse d’érotisme accessible fusionnant avec une romance ultra-codifiée; un fantasme de sensualité confronté à l’idéalisation de la relation amoureuse. En fait, c’est passionnant.
Si l’étape « coup de foudre & séduction » des premières 25 minutes correspond donc, aux codes de la romance de cinéma, l’introduction du penchant SM de Grey introduit une plongée dans l’intime de ce couple. Ce penchant est indiqué de façon franche, précise et sans équivoque: la présentation de la chambre rouge, le contrat.
Dès lors, les enjeux se déplacent. Il se s’agit plus de « conquérir le cœur » comme dans n’importe quelle comédie romantique, mais de comprendre comment fonctionner et avancer ensemble, malgré l’obstacle. Celui-ci, est particulièrement complexe. D’un coté, Christian met en scène l’acte sexuel comme catharsis à son obscur passé; de l’autre, Anastasia, trop cérébrale et conditionnée, n’est pas suffisamment instinctive pour s’abandonner. L’amour qu’ils se vouent les incite à s’adapter l’un à l’autre, avec plus ou moins de cynisme, et en dépit de leurs aversions respectives.
Le sado-masochisme n’est ainsi, qu’une allégorie de la difficulté à trouver une entente, un équilibre au sein du couple.
Tout cela serait profondément chiant et bergman-ien sans quelques ajouts très mainstream. Le plus évident: le sexe.
Ici, c’est peut-être la sensibilité féminine derrière la caméra qui parle, mais l’accent est réellement mis sur l’excitation par la sensualité, plutôt que sur son caractère prétendument provoc’.
En fait, Sam Taylor-Johnson ne filme jamais vraiment l’acte, mais plutôt ses patients et frustrants préliminaires. Le gros plus, c’est la façon dont elle construit ses scènes de sexes – comme de véritables climax. Ces climax sont par conséquent entourés par une préparation que je qualifierai de Spielbergienne, par l’idée de suspens lié au danger. Danger physique donc, mais également psychologique.
La référence à Spielberg n’est pas innocente. Pour nous, le réalisateur a ré-inventé un langage cinématographique en termes d’Entertainment, en cherchant avant tout à installer des personnages et leur historique, avant de les confronter au danger d’une situation. L’empathie créée est ainsi suffisamment forte pour troubler le spectateur, lui faire ressentir toutes les implications d’une décision, toutes les émotions inhérentes à une situation. C’est de cette manière que fonctionne Sam Taylor Johnson. La romance est cette phase d’empathie, le danger commencera avec l’interaction (ici, sexuelle) entre Anastasia et Christian.
Un sensuel discours sur la relation homme-femme, non pas romancé comme d’habitude, mais franc, brut et psychologiquement étoffé.
On retrouve finalement, le même genre de schéma que dans Les Dents de la Mer, ou… La Vie d’Adèle (Palme d’or cannoise, l’année ou Spielberg était président du Jury). Sam Taylor-Johnson, sans rien bouleverser sur le terrain purement cinématographique, se réapproprie à-la-lettre cette grammaire et l’applique aux codes de la comédie romantique. Les deux personnages principaux ne sont ainsi plus Anastasia et Christian, mais plutôt leur amour, et le sadomasochisme. Chacun est un danger pour l’autre – et c’est ce que le film examine.
Une réappropriation maline qui nous a rappelé le Il Était Temps de Richard Curtis, ou It Follows dans un autre registre.
L’interprétation des deux acteurs est ainsi en accord avec ce fait : Jamie Dornan, disons le franchement, est complètement interchangeable. Heureusement, ce ne sont pas ses talents d’acteur qui sont nécessaires ici, mais sa psychologie impénétrable et sa fonction de catalyseur sensuel. Il incarne donc sans problème cet homme bavard mais psychologiquement mutique, aux traumas présents mais ne s’exprimant jamais que dans la perversion. On rajoute à ce sujet l’intelligence de ne pas avoir eu recours aux flashbacks pour présenter le background freudien du personnage, mais à une histoire purement orale (Spielberg youhou!). Encore plus intelligent, la subtilité de ce moment – lorsque Christian explique le pourquoi du comment.
Dakota Johnson, elle, ne laisse aucune zone de mystère à Anastasia. Son corps (magnifique) est donc régulièrement mis-à-nu, tandis que le caractère, la personnalité et les différentes humeurs d’Anastasia sont étoffés par son jeu d’actrice, constitué d’une quantité de détails hallucinante.
L’alchimie ne vient pas forcément du jeu peu subtil des acteurs, mais plutôt du comportement de leurs personnages.
Impénétrable d’un coté, hyper-expressive de l’autre. Une somme de contraires, quoi. Intéressant.
Dernière note positive, la musique.
Pas le score de Danny Elfman – assez dégueulasse – mais plutôt la playlist, associant avec goût aux scènes les plus attendues, des artistes très… BNM de Pitchfork (The Weeknd, Beyonce, Jessie Ware). Classe.
Au final, 50 NUANCES DE GREY est bien plus surprenant que prévu. Ré-utilisant les codes cinématographiques de la romance et surtout du combo suspens/tension, il nous délivre un sensuel discours sur la relation homme-femme, non pas romancé comme habituellement au cinéma, mais franc, brut et psychologiquement étoffé.
Georgeslechameau