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CHAÎNES CONJUGALES – Critique

CHAÎNES CONJUGALES
• Sortie : 1949 (ressortie 7 décembre 2016)
• Réalisation : Joseph L. Mankiewicz
• Acteurs principaux : Jeanne Crain, Ann Sorthern, Linda Darnell, Kirk Douglas
• Durée : 1h43min
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4
Note du rédacteur

Chaînes conjugales (1949) a été chroniqué par Antoine dans le cadre de la rubrique Réflexions Poétiques.

Oscars du meilleur scénario et de la meilleure mise en scène en 1949 – doublé qu’il refera en 1950 avec Ève CHAINES CONJUGALES de Joseph L. Mankiewicz rentre dans la catégorie des films à puzzle chère au cinéaste. Fils d’immigrés polonais, Mankiewicz fait aujourd’hui partie des maîtres incontestés du cinéma classique hollywoodien. De la MGM à la Fox, il réalise plus d’une vingtaine de films signant quelques-uns des chefs d’œuvres de la période (L’Aventure de Mme Muir, Ève, Jules César, La comtesse aux pieds nus, Soudain l’été dernier, Cléopâtre, Le Limier) avec les plus grandes stars du moment (Marlon Brando, Humphrey Bogart, Bette Davis, Elizabeth Taylor…).

La principale singularité cinématographique de Mankiewicz repose sur le fait qu’il écrit la plupart de ses scénarios à l’image de celui de CHAINES CONJUGALES, adaptation de l’œuvre de John Klemper, A Letter to Five Wives (réduit aux nombres de quatre, puis trois, par la co-scénariste Vera Caspary et Mankiewicz lui-même). Son style, souvent qualifié de sobre et d’élégant, invite à la plus grande complicité avec le spectateur. Ses récits en puzzle associent le savoir des personnages à celui du spectateur : ici, les trois héroïnes (Jeanne Crain, Ann Sothern, Linda Darnell) lisent ensemble la lettre d’une certaine Addie Ross prétendant être partie avec l’un de leur mari. Tout le plaisir du spectateur réside alors dans la quête d’indices qui lui permettra, tel un détective privé, de reconstituer la vérité. Chez Mankiewicz, prologue et épilogue donnent ainsi le ton de l’intrigue. La voix-off omnisciente d’Addie Ross, qui n’est pas sans évoquer celle de la série Desperate Housewives, invite à s’immiscer dans le quotidien de ces femmes et dans leur ô combien typique quartier pavillonnaire. L’imagerie que convoque le film appelle logiquement les ragots en tous genres corroborés par l’attitude des maris qui semble des plus suspicieuses.

Photo du film CHAÎNES CONJUGALES (1949)

Le film se construit autour de trois flashbacks, chaque héroïne se replongeant dans un épisode plus ou moins marquant de leur vie conjugale avec comme point d’orgue l’absence toujours remarquée d’Addie Ross – quelle figure du hors-champ tout de même – et ce, par l’intermédiaire d’un objet-indice (une bouteille de champagne, un disque, une photo). Parmi cette étude de caractères, le premier flashback semble en deçà des deux autres. La faute au jeu théâtral de Jeanne Crain qui force le trait de la jeune femme innocente, toute juste débarquée de sa campagne natale, et dont l’acclimatation, renforcée par les absences apparemment répétées de son mari, connaît quelques difficultés.

A l’inverse, le second flashback s’avère être un pur régal. Rita (Sothern) et George Phipps (Kirk Douglas) forment à première vue un couple qui s’aime. Mais après sept ans de relation, Rita montre encore un désir carriériste (elle écrit pour une radio à succès) que ne partage plus son mari, resté simple professeur. Au cours d’un dîner où ils reçoivent la « sympathique » patronne de la radio – capable d’interrompre le repas pour écouter une de ses émissions fétiches – Rita prend conscience du gouffre qui la sépare dorénavant de son mari. Complètement obnubilé par son travail qu’elle prolonge souvent jusqu’à tard dans la nuit, elle ira  même jusqu’à oublier son anniversaire ; un événement pour lequel Addie Ross n’oubliera pas d’offrir un somptueux disque de Brahms. Le grand moment de ce flashback reste le « réveil » de George. Frustré de voir sa femme se « mentir » de la sorte, il balance ses « quatre vérités » à la patronne médisant le contenu consternant et mercantile de sa radio (superbe critique de la publicité dans les médias).

« La mise en place sophistiquée du récit, l’efficience des raccords et des ellipses, l’admirable partition du casting (excepté Jeanne Crain) font de Chaînes Conjugales une merveille de rythme et d’efficacité narrative. »

Le troisième et dernier flashback est tout aussi savoureux. Vivant chez sa mère avec sa sœur, Lora Mae est issue d’un milieu pauvre et aspire à la réussite sociale. Cependant, loin de toute féerie naïve, elle ne cherche plus le « prince charmant » mais seulement une forme de pouvoir, de sécurité que représente parfaitement Porter Hollingsway (Paul Douglas), son patron. La séduction qui s’opère ici est donc tout à fait original et moderne. Bien qu’elle soit dans la position précaire, Lora Mae sait parfaitement se faire désirer, languir. C’est elle qui tire les ficelles de ce jeu et qui finit par obtenir ce qu’elle veut, un mariage en bonne et due forme.

Au-delà de l’intelligence des dialogues – véritable plaisir auditif que l’on retrouve dans tous les films scénarisés par MankiewiczCHAINES CONJUGALES travaille les relations conjugales avec beaucoup d’ironie et de lucidité : l’amour qui s’épuise, les sentiments contrastés à l’égard de l’autre, la complicité amicale, les rapports de hiérarchies, la concurrence au sein du couple, les désirs refoulés… La mise en place sophistiquée du récit, l’efficience des raccords et des ellipses, l’admirable partition du casting (excepté Jeanne Crain) font de CHAINES CONJUGALES une merveille de rythme et d’efficacité narrative.

Antoine Gaudé

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