Porté par de prometteuses bandes-annonces, le nouveau Pixar était évidemment très attendu… Et le spectacle est au rendez-vous ! Mais pas autant que nous l’espérions…
Comme d’habitude chez Pixar, la technique est au top. Textures de qualité, détails par millions… C’est beau, et très bien fait – mais chez la concurrence aussi, Disney y compris; la technique n’est plus une composante majeure de la qualité d’un long-métrage d’animation…
C’est donc vers l’émotion ou la richesse d’un univers que le spectateur de 2015 doit donc chercher la différence. Si Pixar rassemblait en fin/début de siècle, TOUS ces aspects dans chacun de ses films, le studio ne s’était plus vraiment fait remarquer depuis l’énorme Toy Story 3 ; Monstres Academy s’apparentait trop à un genre (le college-movie) pour parvenir à remettre au premier plan l’univers riche des monstres, et le sympathique Rebelle, s’il tutoyait le cachet « personnages forts – émotion » faisant la marque du studio, manquait par ailleurs d’un univers iconique (l’Écosse de contes de fées, trop générique…).
Quant à Cars 2, il acceptait ouvertement son statut de toy-seller en troquant la jolie nostalgie du premier volume pour un film d’action exotique et décérébré, sans intérêt.
VICE-VERSA, s’il reste largement au dessus de la moyenne (tous studios confondus), opère toutefois un certain retour en arrière par rapport aux autres Pixar, en termes émotionnels.
Comme dans Là-Haut, le personnage de Riley, 11 ans, est installé par son vécu. Un historique composé de petits instants beaux et magiques (souvenirs avec parents, ou amis) sensés lui composer une personnalité singulière. Mais cette jolie base émotionnelle disparaîtra bien vite dès lors qu’il s’agira de suivre les protagonistes et non leur histoire. Car malheureusement, VICE-VERSA se heurte à un problème de taille : le concept même d’anthropomorphisation des émotions implique une ÉNORME et paradoxale caractérisation des personnages ! Joie n’est que joie, Tristesse, n’est que tristesse, etc. Leurs interactions se résument ainsi à une opposition binaire de sentiments, à quelques gags burlesques, ou à des dialogues utilitaires – moteurs scénaristiques ou vecteurs d’humour…
Résultat : l’empathie envers eux est quasi inexistante, car ils manquent de ces nuances, de cette psychologie, de cette complexité à même de permettre l’identification; sans empathie, difficile de placer des enjeux viables – sans enjeux, peu de suspens… Et donc peu d’intérêt pour le destin de ces personnages.
Plus problématique : au bout d’une heure trente de film, on réalise un certain contre-sens scénaristique qui se reflète dans la morale du film: ce qui compose une personnalité, c’est le mélange d’émotions… Sauf qu’à l’image de cette morale (somme toute, très jolie), le film n’est qu’une somme sans personnalité de qualités diverses, auquel il manque un véritable liant émotionnel.
L’émotion ne se construit pas au fur et à mesure dans le rapport-à-l’autre entre personnages étoffés (par l’histoire, par leur psychologie)… Mais plutôt dans l’interaction de personnages génériques avec un univers riche et inventif.
Il aurait été impossible de donner un meilleur traitement à ce synopsis, d’emblée bancal…
Alors parlons un peu de cet univers, puisqu’il est l’atout principal de VICE-VERSA. Son installation est exemplaire, quoique également très binaire: le monde intérieur de Riley est le parfait contre-point de la réalité; un San Francisco pour une fois assez éloigné des clichés de la ville joviale, épanouie et accueillante. Crade, déshumanisé, ce SF de 2015 est une ville ou l’individu ne semble pas pouvoir évoluer autrement que dans la solitude… C’est ainsi que la multiplication des personnalités dans la psyche de chaque individu prend un sens particulier, presque tragique: l’enfer, c’est le monde réel, l’imagination est la seule solution… Idem pour l’imagerie de chaque univers, grise et sombre pour la ville, contraste total avec le monde coloré de Riley.
Ce monde est d’ailleurs construit de façon assez logique : il s’agit de mettre en image par l’outrance visuelle toutes les données pragmatiques inhérentes à un concept (ici: une personnalité constituée d’émotions). Une fabrique à rêve est ainsi un simili-Hollywood, le subconscient est une prison à phobies; l’oubli, un abysse sans fond… Chacun des très nombreux concept abstraits trouve une représentation concrète, crédible, et surtout s’inscrivant avec cohérence dans un univers au final, très, TRÈS riche.
Là, on retrouve enfin la géniale puissance évocatrice des tout premiers Pixar, lorsqu’il ne s’agissait pas encore de développer des franchises. Il est alors très plaisant d’évoluer avec les personnages dans cet univers, rempli de surprises impossibles à traduire. On relativisera toutefois notre plaisir en précisant que ce concept est relativement facile à retranscrire par l’image, et qu’il s’agit plus d’extrapolation que d’imagination.
En bref, Le rythme du film ne souffre d’aucun temps mort; L’univers dans lequel évoluent les personnage est riche, coloré, vivant, et imaginatif… Pour autant, VICE-VERSA n’est jamais stimulant ni subtil sur le plan émotionnel, la faute à des personnages manquant clairement de… personnalité. Clichés et peu développés, ils sont incapables par principe de proposer cette émotion puissante typique du studio. Si VICE-VERSA est tout de même réussi, on ne peut s’empêcher de se dire qu’il aurait été d’autant plus génial si l’empathie et la nuance étaient plus présentes… Et à la fois, il semblait impossible de donner un meilleur traitement visuel à ce synopsis bancal.
Georgeslechameau