Après 3 longues années et un prologue plutôt convaincant, la suite des aventures de Paul Atréides débarque dans les salles françaises. Un nouvel opus schizophrénique et frustrant, où Denis Villeneuve oscille entre zone de confort et une ambition désespérément sage. Critique épicée.
On avait tendance à défendre par ici les choix opérés dans la première partie de Dune. Sous-couvert du statut de prologue visant à exposer les enjeux d’une vaste épopée, on excusait à Denis Villeneuve le refus consciencieux de s’éloigner du support originel. Surtout, en n’adaptant qu’un tiers du roman de Franck Herbert, le metteur en scène canadien s’appliquait à dessiner les contours d’un univers à la richesse apparente mais encore inexplorée. Arrive donc cette suite, accompagnée de critiques dithyrambiques et d’éloges prometteuses. Passé le plaisir de retrouver Arrakis et ses héros, le résultat reste questionnable à plusieurs égards.
On se dit d’emblée que les louanges répétées par la presse internationale étaient justifiées. L’ampleur visuel du prologue incarne tout ce qui aurait dû animer le récit. Dans le silence du désert et sans les thèmes monochromes de Hans Zimmer, Paul affronte une escouade ennemies, pressée par le crépuscule et s’emparant d’Arrakis. Le choix de traiter l’action à taille humaine, dans de sublimes plans demi-ensemble, est payant. Le corps suffoquant est soumis aux dangers imposés par Arrakis et une tension absente du premier opus naît du désert. Voilà un sublime condensé de tout ce qu’aurait dû être cette suite : une succession de péripéties épico-mystiques allant de pair avec la création d’un nouveau type de héros, tiraillé entre sa quête inassouvie de vengeance et une révolution légitime.
Peut-être ce prologue est-il la meilleure séquence du film. La déception est ainsi d’autant plus grande quand le récit préfère ensuite se faire le pamphlet d’un apologue bien trop verrouillé. Il est difficile de comprendre ce qui a éloigné Denis Villeneuve du mysticisme du roman. Son talent aurait pu être mis au service d’expérimentations visuelles à la hauteur des visions de Dame Jessica dans le livre. On ne peut être que circonspect quand la mère de Paul raconte oralement ces visions à son fils alors qu’il aurait été logique d’en faire une séquence. Le paradoxe est tel que récemment Rian Johnson osait davantage en s’emparant (sans grande réussite) de la saga Star Wars. A l’heure d’affronter les richesses de sa propre intériorité comme Jessica, l’exploration des doutes de Rey et la découverte du côté obscur trouvaient un écho fascinant au sein d’une grotte de tous les possibles. C’est dire si DUNE : DEUXIÈME PARTIE reste bien sage quand il s’agit de sortir de sa zone de confort.
La comparaison peut paraître fortuite, mais elle traduit finalement le piège dans lequel tombe ce mastodonte. En omettant tout un pan de la mythologie d’Herbert, Villeneuve s’enfonce tête baissée dans une narration casse-gueule, où il démultiplie les pistes vaines. Surtout, sa rigueur apparente omet d’expliciter les enjeux les plus importants de son récit. L’arme « atomique » des Atréides ? Un ressort inexploité. Le retour de Paul vers les Bene Gesserit ? C’est le destin du Muad’Dib. Un contraste qui dénote fortement avec l’écriture méticuleuse de ses antagonistes, à commencer par Feyd Rautha (Austin Butler, parfait).
Progressivement, Villeneuve nous perd. Contrairement à son héros en proie au doute, il se fait sans faillir le prophète d’un nouveau type de fiction. A l’instar des derniers films de Christopher Nolan, on peut en citer le principal écueil : Villeneuve se montre trop sûr de lui en convoquant une b.o assourdissante et des plans qui se veulent iconiques pour couvrir le vide interstellaire qui anime son œuvre. Il oublie l’essentiel : insuffler une âme à l’histoire qu’il a choisi de raconter, comme savaient le faire Peter Jackson ou Georges Miller à l’aube du XXIeme siècle. A force de montrer qu’il est doué et consciencieux, le Canadien étouffe son sujet écrasé par le poids de ses modèles. L’aventure de Paul ne sort jamais des sentiers battus et les débats politiques ou religieux sont survolés. Sans équilibre, c’est en ayant recours à l’artifice que Villeneuve dissimule l’absence d’une réelle identité. Peut-être aurait-il pu atteindre ce point d’ancrage idéal en proposant une histoire originale, détachée de l’exercice formel imposé par l’adaptation.
Il serait hypocrite de ne s’attarder que sur les failles de cet étrange objet traversé par de beaux instants de grâce. Si le mysticisme est occulté, les enjeux épiques du livre sont parfaitement traités et donnent lieu à de beaux climax, malheureusement trop courts. Villeneuve se rue sur une grammaire de l’emphase et de la visibilité au détriment d’un sens plus profond, ou même d’un sens tout court. Timothée Chalamet excelle quand même en Paul et le fil conducteur global qui traverse le récit se tient, jusqu’à un affrontement final ingénieusement pensé, sous fond d’un sublime coucher de soleil. Est-ce toutefois ce que nous désirons voir quand on parle de Dune ? Assurément, non.
Emeric LAVOINE