Couverture - DUNE, les choix payants de Denis Villeneuve - Analyse
Crédits : Warner Bros. Entertainment Inc.

DUNE, les choix payants de Denis Villeneuve – Analyse

De la résurgence d’un souffle épique aboli à la contemplation d’un univers ensablé diablement envoûtant, cette nouvelle adaptation du roman dantesque d’Herbert accumule les partis pris payants. Traducteur d’un support originel réputé maudit, Denis Villeneuve opère des choix forts sans jamais trahir les lignes du livre culte. Tentative d’explications.

Nouveaux héros

S’il peut être regrettable que Villeneuve ne s’éloigne jamais des lignes du roman, son schéma actanciel, lui, est parfaitement huilé. Là où Lynch choisissait d’adapter l’intégralité du premier tome, Dune version 2021 prend fin à mi-parcours, privilégiant le cliffhanger synonyme de suite. Ce parti pris s’avère judicieux puisqu’il offre une introduction fluide, un panel de personnages forts et un décor tout aussi influant. S’il était difficile de déceler les traits moraux caractérisant Atréides ou Fremen à la lecture du roman, Villeneuve présente en réponse au mysticisme d’Herbert des figures froides, archétypes de la dystopie. La quête initiatique de Paul donne à voir les stigmates d’une exigeante formation Bene Gesserit et le récit propose de jolis instants figés lorsque le prince est bercé par les visions découlant de son apprentissage. Il en est de même pour Dame Jessica qui n’a de cesse de questionner un destin sur lequel elle n’a jamais l’emprise escomptée. C’est ainsi à bon escient que Villeneuve s’attarde sur ces caractères tourmentées et, si cela n’est peut-être pas volontaire, force est de constater qu’on assiste à l’émergence d’un nouveau type de héros. Bien loin de la structure compassionnelle dite classique où des personnalités exceptionnelles se démarquaient par des faits d’armes émérites, le protagoniste moderne nourrit sa culture et prend connaissance de l’inconnu, l’observe, avant d’aller l’affronter. Sans forcément faire acte de dévotion, il obéit à un destin que ses pouvoirs naissants lui laissent apercevoir. Cette première partie évince à bon escient l’épilogue d’une trajectoire aseptisée et ne cède jamais aux appels d’un manichéisme typique de ce type d’épopées.

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L’épique à hauteur d’Hommes

La crise des salles a sonné le glas du blockbuster moderne créatif. La flamme épique brillamment entretenue par de solides seconds couteaux n’a pu être entretenue malgré quelques braises (Tenet, Invisible man). A cet égard, Dune est un véritable incendie qui accumule nombre de séquences jubilatoires. Passée l’introduction douteuse dans laquelle Zendaya narre les éternels bienfaits de la nature et de l’union des peuples, on réalise les dangers d’Arrakis lorsque Villeneuve place sa caméra à hauteur d’hommes. La première exploration du désert laisse pantois et rappelle la révolution opérée par le cinéma d’aventure politique des années 60. Les plans demi-ensemble en contre-plongée et les travellings aériens suggèrent une forme de menace invisible, qui surgit à de nombreuses reprises, sous des formes évanescentes. Outre les vers de sable, le coup d’état nocturne ou le sacrifice de Duncan Idaho fascinent par leur sous-texte réjouissant. Si l’Homme est promis à un destin funeste, il doit se battre dans l’intérêt d’une justice qu’il croit encore applicable. A cet égard, Dune peut être considéré comme un préquel implicite de Mad Max Fury Road, où l’aliénation avait vaincu toute forme de raison. Chez Villeneuve, certains motifs de croyance poussent à lutter contre l’oppresseur et le totalitarisme, et ce même si la bascule vers le chaos n’est pas si loin. La quête d’une identité territoriale ou encore la volonté de vivre avec les Fremens sont autant d’éléments déclencheurs qui donnent un sens à la lutte, là où Furiosa fuyait par obligation chez Miller. Ce sont précisément ces motifs qui amènent Duncan ou Paul à se relever (littéralement) et à combattre. Rendus explicites, ces enjeux rendent légitimes les différentes quêtes et dignes d’empathie ces figures marquées par l’agressive et sublime planète Arrakis, métonymique d’un climat social au bord du gouffre. On en vient à espérer une épopée encore plus vaste, comme le laissent à penser les multiples visions de Paul.

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We are like the dreamers

Dans son projet de film avorté, Alejandro Jodorowksy avouait avoir pensé Paul comme « l’esprit de tous », une conscience collective que son fils, Brontis, qualifiait de « conscience universelle » et qui rendait possible l’identification. Pour citer Lynch himself dans la saison 3 de Twin Peaks, nous sommes comme le rêveur. Difficile en effet de ne pas trouver un point d’accroche seyant en la personne du jeune héritier. Ses visions exposées à l’écran sont un échappatoire, une fuite fictionnelle rassurante loin d’une réalité abrupte. L’immense bataille, tout comme la potentielle romance, sont autant de signes qui indiquent que le destin du héros se calque sur nos propres obsessions. Villeneuve fait coup double : en plus de s’assurer un passe-droit pour une ou plusieurs suites, il ne trahit jamais ses convictions narratives. Son récit trouve un équilibre entre la contemplation épique d’une guerre certaine et des prédictions ancrées dans l’histoire puisque le pouvoir Bene-Gesserit les justifie. Une fois l’univers introduit, on souhaite toutefois que le Canadien s’essaye au mysticisme prôné par Jodorowksy. Les lignes d’Herbert se prêtent à cette exploration fictionnelle. La froideur et la radicalité de l’ensemble renvoient implicitement à une réalité artistique qui devrait s’accorder avec l’opinion générale, l’accueil dithyrambique à Venise et Paris l’atteste. Il serait curieux de voir un second opus se libérer du sujet rébarbatif qu’est le retour d’un roi sur le trône pour donner la pleine mesure du potentiel idéologique du récit d’Herbert. L’idée de penser Paul comme le centre de gravitation de nos obsessions, épaulé par sa mère dans le dernier acte, est déjà synonyme d’un infime espoir. On imagine difficilement Villeneuve s’éloigner d’une suite qui reprendra sans grand risque les événements de la fin du premier tome, où Paul parachève la révolte Fremen. Qui sait, de Simba à El Topo, la marche peut être mince…

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Emeric

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