Objet pop estampillé Sundance et sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs, Kajillionaire est une comédie à la fois tendre et amère sur l’émancipation d’une jeune femme.
Old Dolio (Evan Rachel Wood) est la fille d’un couple d’escrocs à la petite semaine, élevée pour aider ses parents dans leurs magouilles foireuses. Tous les trois vivent, sous des conditions précaires, dans les bureaux désaffectés qui jouxtent une usine à bulles. La famille Dyne évolue à la marge, selon un code de conduite qui lui est propre. C’est ce que s’évertue à dépeindre Miranda July dans le premier tiers de son film. Elle brosse le portrait de cette famille atypique qui vit en vase clos et dont le fonctionnement asocial se révèle quasi sectaire.
Theresa et Robert fustigent les valeurs conformistes de la société auxquelles ils opposent leur morale parfois douteuse. Old Dolio est le résultat de ce formatage radical, personnage presque mutique qui subit la marginalité de ses parents. La jeune femme de 26 ans est dès l’ouverture caractérisée par son apparence loufoque, ses cheveux longs et ses habits trois fois trop grands et trop larges forment une espèce de carapace qui l’isolent du monde extérieur. Premier élément comique et plastique du film, il cristallise tous les enjeux liés au personnage. Sa relation problématique à son corps et une identité impossible à affirmer, refoulée sous une importante couche de vêtements. C’est également le moyen de souligner le côté candide du personnage, un enfant piégé dans des habits trop grands pour lui, prisonnier du cadre familial qui l’empêche d’évoluer.
Puis débarque Mélanie (Gina Rodriguez) dont le charme et l’enthousiasme vient bouleverser l’équilibre du clan. La jeune femme est vite acceptée par le couple de parents, ce qui agace Old Dolio. Malgré la jalousie, cette dernière ressent un irrépressible sentiment d’attraction qu’elle ne parvient pas à identifier. Le socle familial vacille et Old Dolio se confronte à l’étrangeté du monde extérieur. Une première impulsion pour peut-être s’affirmer en tant qu’individu et emprunter sa propre voie. Au delà de son apparente frivolité de comédie décalée, KAJILLIONAIRE aborde des thématiques profondes avec parfois une cruelle amertume. Les relations filiales contrariées, l’incommunicabilité, la transmission et la marginalité, l’éthique et la morale, sans oublier les quêtes d’identités notamment sexuelles.
Mais KAJILLIONAIRE est un pur produit du cinéma indépendant américain avec tout ce que cela sous-entend en terme de maniérisme de mise en scène. Film Sundance par excellence, l’esthétique arty hipster finit par lasser tant elle apparaît surannée. Avec cet humour à froid, ce ton décalé de manière ostentatoire, l’ambiance légèrement dépressive, le tout associé à une obsession pour le loufoque et le bizarre qui finissent par agacer tellement ils peinent à masquer des intentions froidement calculées. Elles apparaissent comme de vulgaires postures davantage que de réelles marques d’une patte singulière. Miranda July ne fait que surfer sur une vague esthétique en essayant de nous faire croire à l’originalité de son univers artistique, en réalité cruellement creux.
Le rythme du film épouse le détachement émotionnel de son personnage qui par ailleurs connaît quelques moments d’intenses épiphanies. La réalisatrice réussit par instant, notamment à travers l’utilisation de son excellente BO, à transcender sa mise en scène pour nous offrir quelques séquences remarquables. Qu’est-ce qu’une famille normale ? Miranda July compose une mise en abyme à l’intérieur de laquelle la fiction pose subtilement la question. Au détour d’une scène dans laquelle le clan Dyne se met à jouer à la famille modèle, se joue tout à coup une bouleversante pantomime. Il y a quelque chose de profondément attachant dans cette famille dysfonctionnelle, souvent irritant par ses choix esthétiques, KAJILLIONAIRE se révèle une comédie un peu snob, parfois cruelle mais finalement touchante.
Hadrien
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