Photo du film KILLERS OF THE FLOWER MOON
Crédits : Paramount Pictures

KILLERS OF THE FLOWER MOON, jusqu’en enfer – Critique



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Avec cette épopée lugubre aux faux airs de western, Scorsese autopsie la violence et les différentes incarnations du mal à l’ère des Osages et de l’héritage maudit des terres pétrolières. Un chef-d’œuvre du genre.

A l’aube du dernier tiers du film, survint sûrement la séquence la plus significative du tour de force qui s’offre à nous tout au long de ces trois heures trente. L’officier Tom White assiste circonspect à l’incendie commis volontairement par William Hale afin d’engranger les recettes d’une assurance lucrative. Le policier sourit amèrement, abasourdi par la bêtise et le déferlement de violence sur ces terres pacifistes, sublimées lors du prologue. A elle seule, cette scène se fait la métonymie de la nouvelle étude de cas opérée par Scorsese. Loin des paillettes acerbes du Loup de Wall Street, des rouages politisés de The Irishman, le réalisateur scrute les flammes d’un effroyable microcosme contaminé par le mal et les velléités d’antagonistes de premier plan tels qu’il a toujours su les écrire.

Photo du film KILLERS OF THE FLOWER MOON
Crédits : Paramount Pictures

Peut-être l’horreur entrevue lors de l’incendie naît-elle ici du fantastique, d’une sorte de défaillance jusqu’au-boutiste voulue par Scorsese. Imprégné de croyances mystiques, le récit démultiplie les pistes auxquelles le spectateur, de même que le nouvel arrivant Esther Burkhart, sera confronté. Ce mysticisme est souligné dès l’incipit, où une prière indienne constate, implacable, que cette « terre » échappera aux Osages. KILLERS OF THE FLOWER MOON tire sa force de cet incroyable pantin campé magistralement par Leonardo Di Caprio. Pour la première fois, l’acteur se métamorphose en une sorte de Sganarelle cupide sans certitude, et obéissant à des impulsions primaires. Au rythme de trois accords de basse signés Robbie Robertson, il accomplit, deux heures durant, les méfaits dictés par son oncle. Henry Hill dans Les Affranchis ou Sam « Ace » Rothstein dans Casino marchaient sur les traces d’un idéal, bercés par l’illusion d’un rêve américain défaillant, suscitant la fascination autant que le dégoût. Ici, Scorsese ne dévoile jamais ce qui motive réellement l’odyssée macabre du protagoniste : une véritable vocation de criminel sous l’égide de l’argent, ou un désir pervers de manipulation et de quête de contrôle. Peut-être bien les deux.

Autant le film semble habité par ce désir de scruter le mal sous toutes ses formes, autant le récit porte une dimension satirique dénonçant la transformation de la figure du grand mafieux « classique » en une version bouffonne et primaire. L’analogie avec le personnage de Sganarelle n’était pas si anodine. Le valet n’a rien d’un parangon au charme envoûtant telles que pouvaient l’être les figures cultes de longues épopées scorsesiennes. Ernest est un peu le Jack de Lars Von Trier avant son procès à l’aube des enfers, un objet fragile et ambigu, souvent déstabilisant tant ce type de personnage a rarement eu lieu d’être au cinéma. La part d’ironie dans le ton de la fable est troublante, à l’image du lien imperceptible qui unit Ernest à son oncle. L’emprise de William sur son neveu s’établit de prime abord au détour de dialogues disséquant leur personnalité. Mais, perdant progressivement leurs nerfs face à leur chute certaine, de pitoyables antagonistes aux accents clownesques se substituent à la figure du grand voyou spirituel qu’ils voudraient incarner.

Photo du film KILLERS OF THE FLOWER MOON
Crédits : Paramount Pictures

Toutefois, le film ne se contente pas de dépoussiérer et moderniser la figure du vilain. En effet, la parabole du Blanc bercé par le capitalisme fait définitivement sens sous fond d’une actualité brûlante. Mais l’apologue acquiert une consistance avec la présence d’un personnage féminin fort, plutôt méconnu du cinéma de genre scorsésien. En préambule de la projection du festival lumière, Thierry Frémaux nous avait avertis : loin des écueils de la diva ou de la « bimbo », terme qu’il a lui-même employé, Lily Gladstone devient l’héroïne d’une quête de justice. Capable malgré tous les vices qui se dressent face à elle de présenter une réflexion libre sur la gestion de l’héritage des Osages, elle bouscule William qui n’a de cesse de chercher à l’éliminer. Buckhart esquive aussi les jalons d’un parcours balisé à la Henry Hill, dans la complexité de la relation qui l’unit à Mollie. Le récit progresse au rythme des doutes de l’Osage face à son mari, dont le parcours constitue la seule quête initiatique digne d’empathie. Ce qui détonne avant tout, c’est la manière dont Mollie semble étrangère à toute forme d’impureté. Cela explique qu’elle ne doute jamais des intentions d’Esther et rend cette rupture finale, cristallisée dans une fuite radicale, d’autant plus efficace.

De par sa richesse de ses thématiques, on en oublierait presque le témoignage historique et l’engagement du film. Scorsese porte lui-même le message explicite de son œuvre dans un épilogue déroutant, qui ferait presque passer KILLERS OF THE FLOWER MOON pour un film testamentaire. Dans un discours épuré éminemment politique, le réalisateur traite de ce qui se capte à l’écran – l’horreur imposée par les Blancs, mais aussi de ce qui disparaît. Ce qui disparaît, c’est le peuple Osage, qui subit une paix qui n’en est pas une. Même si le film jusqu’à sa conclusion ne tient aucun discours explicite sur la question, un plan suffit pour exprimer le sentiment des Osages de vivre dans un territoire occupé. On en revient donc à cette extraordinaire séquence d’incendie, dont les flammes deviennent métaphoriques de la politique dictatoriale de l’Homme blanc. Signe le plus cruel de cette inéluctable disparition des Osages, ces braises disent aussi jusqu’où le cinéma de Scorsese peut nous mener. En l’occurrence, vers une sublime oraison funèbre bravant sans scrupule les portes de l’enfer. Du très grand cinéma.

Emeric Lavoine

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5
Brillant.

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