LES AFFRANCHIS

LES AFFRANCHIS, plaisir cinématographique – Critique

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LES AFFRANCHIS est un tel plaisir cinématographique qu’il est plus simple de parler de ses relatifs défauts que de s’étendre sur ses qualités. Ainsi, quelques points nous ont marqués sans pour autant nous gâcher quoi que ce soit.

Pour la première fois (à mon sens), le réalisateur marie idéalement divertissement et motifs/obsessions personnelles.
LES AFFRANCHIS est ainsi le film le plus accessible de Scorsese, dans sa volonté de nous raconter une bonne histoire avant tout. Il délaisse pour cela les portraits de personnages à la psychologie complexe et souvent torturée, auquel son cinéma nous avait habitués.

Cette perte de psychologie au profit du récit se ressent dans la mise en retrait des thèmes habituellement présents chez l’auteur. Ainsi, ces rapports hommes/femmes développés en profondeur depuis Who’s That Knocking at my door font figure d’éléments scénaristiques fonctionnels dans LES AFFRANCHIS, malgré une certaine volonté de construire un personnage féminin fort.

Par ailleurs, la présence de Robert de Niro comme personnage très secondaire reflète également cette volonté de mettre la psychologie multi-pistes de côté. L’acteur, à travers les 3 masterpieces Taxi Driver, Raging Bull, et La Valse des Pantins ainsi que le très bon mais mineur New York, New York, servait de réceptacle schizophrénique aux traits de personnalité et obsessions de Scorsese (et par extension, celles de Paul Schrader). Il y a une toute petite déception à le voir interpréter une vulgaire parodie de ses divers rôles, plutôt qu’un de ces personnages charismatiques, complexes et imprévisibles ayant façonné notre imaginaire. Robert de Niro laisse donc sa place à l’effacé Ray Liotta (qu’on reconnait volontiers être totalement adéquat dans le rôle d’Henry), le récit se fait linéaire et la fresque d’ampleur remplace le portrait d’individus ballottés par l’existence ou leur inadaptation au monde extérieur.

En fait, en se concentrant exclusivement sur le récit, Scorsese définit clairement des enjeux, ce qui n’a quasiment jamais été le cas avant LES AFFRANCHIS. La toute première scène du film, ultra violente, est ainsi présentée comme un point de basculement par la désormais fameuse phrase : « As far back as I can remember, I always wanted to be a gangster » (Aussi loin que je puisse me souvenir, j’ai toujours voulu être un gangster.).

En proposant dès la scène suivante un flashback pour recommencer l’histoire du début, Scorsese utilise un procédé simple mais éminemment emphatique, favorisant d’emblée l’immersion dans cet univers mafieux. Habituellement transmise par la mise en scène, l’immersion se fait, dans LES AFFRANCHIS, également par la narration. Un peu comme dans Raging Bull, mais cette fois au service d’une bonne histoire, et non d’un portrait psychologique. Scorsese conserve tout de même ce trait auteurisant typique de son cinéma en nous racontant certes une grande histoire tragique, mais par de petits instants. Il nous montre comment les destinées individuelles peuvent façonner un empire, ou le détruire.
Logiquement, le récit est donc divisé en deux : passé le point de rupture, la déconstruction du petit monde gravitant autour de cette famiglia quasi-parfaite s’amorcera : respect, confiance, amour et amitié se transformeront progressivement en paranoïa, trahisons, et meurtres à la chaîne.

Il y a ainsi quelque chose d’extrêmement jouissif à observer comment la violence s’immisce dans ce quotidien bien huilé, avant de devenir si envahissante qu’elle pourra jaillir de n’importe où, de n’importe qui, envers n’importe qui. Au milieu, évolue le personnage d’Henry auquel le spectateur peut s’identifier sans peine, grâce à son statut d’observateur, d’infiltré. En effet, Henry, toléré malgré son sang mixé (mi-Irlandais, mi-Sicilien), ne fera jamais vraiment partie de la famille. Cela lui permet d’évoluer en marge d’un univers amoral qu’il considère avec recul, bien qu’il ne le montrât jamais. Un personnage nourrissant ses propres ambitions dans l’ombre des plus influents: ceux qui jouissent du charisme de leur hiérarchie (Paulie), ceux qui s’imposent par la violence (Tommy, Jimmy), les intouchables (Les Caïds).

En bref, plutôt que de construire le film autour d’un personnage emblématique et iconique (comme dans les Parrain de Coppola), c’est dans la description d’une grande famille mafieuse, dans ces portraits d’hommes tous différents la composant et dans l’immersion dans leur quotidien de plus en plus violent, que Scorsese nous fascine.

Un tel plaisir cinématographique qu’il est plus simple de parler de ses relatifs défauts que de s’étendre sur ses qualités.

LES AFFRANCHIS est également un film de mise en scène, en image et en musique. Les trois caractéristiques fusionnent pour immerger le spectateur dans une bulle à la fois réaliste et purement cinématographique. Scorsese exploite encore mieux ces gimmicks que dans le déjà puissant Raging Bull, en les faisant interagir non pas avec des personnages, mais avec le récit.

On retiendra ces arrêts sur images présentant les personnages ou renforçant la gravité d’un évènement, l’utilisation décalée de la bande son rock’n’roll, les longs plans synonymes de liberté pour les personnages et d’immersion pour le spectateur, l’imprévisibilité des situations à l’intérieur de la linéarité du récit, notamment via le personnage psychopathe de Tommy (génial Joe Pesci). Le plus troublant restera peut-être la narration d’Henry, en voix-off, qui se place en observateur cynique des évènements.
À l’image des deux temps du récit, cette voix off décrit les personnages et situations avec fascination avant de devenir de plus en plus cynique, d’ironiser même, avec le destin de chacun. Scorsese par ce procédé joue avec nos perceptions pour mieux diriger nos émotions. Du génie.

Photo du film LES AFFRANCHIS

LES AFFRANCHIS est autant une fresque « historique » (s’étalant de 1955 à 1980), qu’un récit d’ascension et de chute, une histoire d’amour, de famille, que le compte rendu d’une époque.
La grande force du film est donc de nous happer de la première à la dernière minute via quelques personnages servant idéalement le récit à défaut d’être inoubliables. Un film réjouissant et généreux par l’ampleur de sa fresque autant que par la violence réaliste qui en émane. Un masterpiece !

Georgeslechameau

Note des lecteurs11 Notes
4.5

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