Avec ce survival politisé et sanglant, Netflix reste dans l’air du temps et affirme ses envies de proposer un catalogue éclectique, naviguant entre les genres. Sous ses faux airs de Black Mirror, La Plateforme, convainc de par sa capacité à divertir, même si la finalité laisse un arrière goût de frustration.
Tout commence dans une cellule. Goreng, jeune trentenaire, se réveille et ne dispose que de peu d’informations quant au lieu dans lequel il se trouve. La première demi-heure est habilement pensée : en utilisant la double-énonciation, Galder Gaztelu-Urrutia, metteur en scène néophyte, distille les informations et joue avec les nerfs du spectateur. L’échange entre les personnages permet de formuler toutes les interrogations que suscite ce lieu, sorte d’immense tour dans laquelle descend d’étage en étage une immense plate-forme de nourriture. Si les occupants des premiers étages sont rapidement rassasiés, il n’en sera bien sûr pas de même pour ceux qui occupent les tréfonds de ce labyrinthe dystopique. Forcés de céder au cannibalisme, les plus démunis s’entretuent dans une quête abjecte vers la survie et la liberté.
Pour expliquer ces enjeux, Gaztelu-Urrutia a eu la bonne idée de confronter deux entités opposées : l’opposition entre Goreng et Trimagasi donne lieu à des dialogues percutants qui renseignent sur les différentes problématiques du film sans basculer dans la didactique. C’est au contact du vieil homme, expérimenté et manipulateur, que Goreng apprend les règles imposées par ce microcosme dystopique. L’exposition est brève et efficace : le danger peut survenir de n’importe quel endroit et peut arborer différents visages. D’une éventuelle calcination à la possibilité d’être dévoré par son partenaire de cellule, Goreng développe rapidement les réflexes nécessaires pour tenir durant les six mois au terme desquels il obtiendra le certificat lui permettant d’acquérir le statut de citoyen.
Les péripéties s’inscrivent dans la lignée du mécanisme exposé en préambule. Le scénario exploite à outrance les possibilités engendrés par la singularité de ce lieu et les voyages à travers les étages participent à l’étude sociale dont se revendique le metteur en scène. Pour dénoncer l’avidité et l’égoïsme, Goreng est davantage pensé comme un cavalier observateur sur un échiquier allant de case en case, tentant de lutter contre les vices de ceux qui l’entourent. Chacun des caractères qu’il rencontre sert l’argumentation et donne à voir un récit dans l’air de son temps, où les bassesses de l’Homme donnent naissance à la violence et la sauvagerie. Gaztelu-Urrutia n’hésite pas à filmer les scènes de cannibalisme sans filtre, conséquences logiques de l’ingratitude et de l’exclusivisme. Résultat du dysfonctionnement de la plateforme, les étages deviennent l’allégorie de l’opposition moderne qui nourrit les différentes strates sociales. Il y a même quelque chose de Metropolis de Fritz Lang dans la capacité qu’a le récit à illustrer la lutte des classes visuellement pour servir la dystopie argumentative.
La structure narrative peut aussi être rapprochée d’un des meilleurs opus de La Quatrième Dimension, Cinq personnages en quête d’une sortie. Cinq amnésiques s’y débattaient dans un puits afin de connaître la raison de leur présence dans ce mystérieux endroit. Alors que la conclusion de l’épisode faisait sens et donnait à voir une morale pleine de réflexion sur la nature humaine, La Plateforme échoue à proposer une conclusion digne de ce nom à une histoire qui méritait mieux. Difficile de comprendre la situation finale d’un schéma actanciel qui se veut inutilement complexe et l’apologue perd de sa superbe dans les ultimes minutes, ne donnant pas les clés nécessaires pour se positionner.
Goreng est sûrement mort mais a-t-il accompli sa tâche ? Que symbolise finalement la panna cotta entrevue au préalable dans le récit ? Il est certain que si ce climax va nourrir la réflexion, celle-ci ne peut être alimentée du fait d’un manque d’indices préjudiciable. Un dessert amer et indigeste pour un repas plutôt savoureux et surprenant.
Emeric Lavoine
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• Réalisation : Galder Gaztelu-Urrutia
• Scénario : David Desola, Pedro Rivero
• Acteurs principaux : Ivan Massagué, Zorion Eguileor, Antonia San Juan
• Date de sortie : 20 mars 2020
• Durée : 1h34min