Avec ce long-métrage mené par l’incroyable Viola Davis, George C. Wolfe nous fait découvrir l’histoire de la « mère du blues », mais surtout il nous offre la plus belle performance de Chadwick Boseman.
La chaleur est aussi pesante que l’atmosphère est oppressante. Pourtant, les notes de blues de Ma Rainey volent jusqu’aux oreilles des spectateurs avec une légèreté déconcertante. Nommé pour 5 Oscars en 2021 (Meilleur acteur, meilleure actrice, meilleurs décors et direction artistique, meilleurs costumes, meilleurs maquillages et coiffures), LE BLUES DE MA RAINEY raconte l’histoire de Ma Rainey (Viola Davis), une icône afro-américaine et queer qui a transformé une scène musicale qui ne continue pourtant aujourd’hui de la dédaigner. À travers ce huis-clos adapté d’une pièce de August Wilson, George C. Wolfe se concentre pendant une journée sur l’enregistrement du nouvel album studio de la “mère du blues”.
Pendant une heure et demi, LE BLUES DE MA RAINEY redonne vie au Chicago des années 20 alors que la chanteuse s’apprête à perdre son titre de reine du blues face à la jeune Bessie Smith. Dans son jeu, Viola Davis est fascinante. Aussi maquillée que irrévérencieuse, l’actrice repousse les limites de son interprétation et saisit le spectateur à chaque phrase. Avec sa carrure, l’interprète incarne physiquement Ma Rainey et offre une prestation qui lui vaut aujourd’hui d’être en lice pour l’Oscar de la meilleure actrice. Pourtant, « la mère du blues » ne monopolise pas toute l’attention du spectateur dont le regard est souvent happé par les autres personnages.
Alors que Ma Rainey reste dans son studio, ses musiciens tuent le temps dans une pièce au sous-sol. Dans une pièce oppressante, Levee (Chadwick Boseman), Cutler (Colman Domingo), Slow Drag (Michael Potts) et Toledo (Glynn Turman) discutent de leur vie entre quelques notes de musique. Dans ces instants volés au déroulement de l’histoire, les quatre hommes évoquent leur vie respective, leur foi et leur famille. Au milieu de ces échanges, Chadwick Boseman atteint le spectateur en plein cœur dès qu’il ouvre la bouche. Pendant un monologue poignant, l’acteur évoque ainsi son enfance traumatisante et sa colère contre un Dieu qui n’a pas su protéger sa famille.
À l’époque, ni le réalisateur, ni les autres acteurs du film ne savaient que Chadwick Boseman était en train de lutter depuis quatre ans contre un cancer. Dans un entretien pour Vanity Fair, George C. Wolfe confie qu’après des scènes éprouvantes, l’acteur se retirait parfois dans une cage d’escalier. Son personnage oscille ainsi entre excitation et colère et son visage réussit à capter avec brio toutes les émotions le traversant. Le musicien, ambitieux, n’attend que sa place sur la scène pour s’évader du sous-sol dans laquelle il se sent à l’étroit. Pourtant, le voici, enfermé avec d’autres musiciens bien loin de la lumière sous laquelle il aimerait interpréter ses chansons. Du rire aux larmes, Chadwick Boseman offre une performance absolument déchirante.
Si l’audace et la nervosité du BLUES DE MA RAINEY ne suffisent pas à en faire un film grandiose, les interprétations de Viola Davis et Chadwick Boseman nécessitent néanmoins qu’on s’y attarde. Le film a été diffusé sur Netflix en décembre, soit quatre mois après la mort de Chadwick Boseman. L’acteur, qui avait déjà été propulsé grâce à son rôle dans Black Panther, offre ici sa dernière performance, poignante entre ténacité et fragilité. Grâce à ce rôle, l’interprète de Levee a ainsi reçu sa première nomination aux Oscars qui sera aussi sa dernière.
Sarah Cerange
• Création : George C. Wolfe
• Acteurs : Viola Davis, Chadwick Boseman, Glynn Turman, Colman Domingo, Michael Potts, Taylor Paige
• Date de sortie : 18 décembre 2020
• Durée : 93 minutes
