« Soit je serai célèbre, soit je serai assassiné. » Le destin d’Édouard Savenko sera grand, il le sait déjà. Mais pour l’instant, il n’est qu’Eddie. Un jeune Russe qui vient de poser ses valises à New-York. Affublé d’une veste en jean blanche et d’une paire de lunettes fumées, Eddie parcourt la ville en quête de gloire.
Un garçon à la personnalité explosive, comme en témoigne son nom de plume : Limonov. Un savant mélange de « limonka », un mot d’argot russe désignant une grenade, et « lemon », non sans rappeler l’acidité de son caractère.
Toujours l’extrême
Edichka, Eddie, Édouard… Autant de noms et de facettes pour un seul homme insaisissable. Qui est vraiment Limonov ? De Kharkov à Paris, lui-même semble se chercher. Il multiplie les expériences, soit disant pour écrire dessus. Majordome d’un richissime New-Yorkais, prisonnier politique en ex-URSS, écrivain populaire à l’Ouest… Limonov aura vécu mille et une vie.
Qu’importe l’aventure, une chose reste : le goût de l’extrême. L’extrême amour, lorsqu’il s’ouvre les veines et écrit le nom de sa dulcinée en lettres de sang sur le mur. L’extrême, lorsqu’il fracasse une bouteille sur la tête d’un journaliste dont il ne partage pas l’opinion. L’extrême, lorsqu’il refuse la contestation pacifique. Limonov veut renverser l’ordre des choses. « La révolution, voilà ce qu’il nous faut », assure-t-il. Son ultime virage, à la tête d’un parti fasciste russe, n’a donc rien de surprenant.
Votre Limonov, vous le voulez avec ou sans la barbe ? Plutôt cheveux longs ou rejetés en arrière ? C’est à Ben Whishaw que revient la lourde tâche d’interpréter un tel personnage… et de changer de look au gré des aventures d’Eddie. Langue anglaise oblige, Ben Whishaw n’a d’autre choix que d’adopter l’accent russe. Sensible, impulsif, grandiloquent… Le britannique y trouve le meilleur rôle de sa carrière.
Une fresque punk
Pas étonnant non plus que Kirill Serebrennikov s’empare d’une telle figure. Lui-même dissident du régime russe, il offre un écrin punk à la ballade de Limonov. Une caméra frénétique, un ratio d’image qui évolue au gré des envies… La forme se veut aussi libre que le protagoniste. Il fallait bien cela pour compenser la narration chronologique, inhérente au genre du biopic.
Malgré une structure vue et revue, la mise en scène audacieuse de Serebrennikov offre de purs moments de grâce. À l’instar de cet instant suspendu aux aurores, sur les toits de New-York. Pour la première fois, Eddie goûte à la liberté. Alors il danse. Il danse la poitrine nue, sa silhouette maigre se découpant sur le ciel rose. Il se meut en criant son bonheur… tant pis pour les riverains qui sommeillent encore ! Le morceau « Russian Dance » de Tom Waits, hommage aux danses folkloriques russes, l’accompagne dans sa frénésie.
C’est ainsi qu’Eddie traverse la vie : dans une exaltation proche du chaos. À son image, Kirill Serebrennikov offre un film qui vibre au rythme du désordre.
Lisa FAROU
Cet article a été publié suite à une contribution d’un·e rédacteur·rice invité·e.
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